L’avant-garde de la tendance, la réinvention de l'alphabet de la mode jaillissent d'une école publique, modeste et prodigieuse. Et ça coûte 32,50€.
Au cas où vous auriez échappé au phénomène, La Cambre Mode[s], il s'y passe quoi ?
On y fabrique les créateurs qui animent les studios des plus grandes maisons internationales, françaises notamment. De là à dire que la mode parisienne est bruxelloise il n'y a qu'un pas que hop, regardez, on vient de franchir (en prenant un raccourci, d'accord).
Si d'anciens étudiants, comme Cédric Charlier ou Anthony Vaccarello ont fondé leur propre maison à Paris, d'autres intègrent une marque, et si leur nom n'est pas toujours très connu en dehors du métier, ce sont de tout grands stylistes : Matthieu Blazy, après avoir été assistant chez Raf Simons, John Galliano et Balenciaga, est responsable chez MMM de la ligne podium femme avec Emilie Duval, tandis qu'Oriane Leclercq dessine la ligne artisanale. Tiphaine Bonnaud, après avoir travaillé chez Balenciaga sur les pré-collections à Paris, est parti chez Philippe Lim à New York, Olivier Theyskens a été nommé directeur artistique de la ligne américaine Theory. Léa Peckre a lancé sa ligne, et elle collabore depuis peu avec Lejaby, après une collaboration avec Isabel Marant. Laetitia Crahay est directrice artistique de la Maison Michel et Responsable Accessoires et Bijoux de Chanel. Chez Jean-Paul Gaultier, ils sont nombreux à faire en Thalys la navette Paris/Bruxelles (et réciproquement), on vous en passe des dizaines, parce que vous allez finir par avoir mal à l'index à force de scroller. Et avant de présider au futur de la mode internationale, ils ont défilé à La Cambre, avec les moyens du bord et 2 heures de sommeil par nuit les semaines qui ont précédé le show.
Ce défilé, comment s'y faire inviter ?
On peut pas. C'est un spectacle, mais pas un divertissement.
Monter cet événement coûte 130.000 €, en partie financés par les élèves :
- chacun d'entre eux mettra 500 € de sa poche pour payer la location des Halles de Schaerbeek, la scénographie, la logistique, l'affichage, le catalogue etc...
- la collection qu'ils présenteront et qui leur sert d'examen de fin d'année, ils l'ont financée par leurs propres moyens et quelques partenariats qui leur a permis de rassembler de meilleures fournitures. Vous, normalement, quand vous avez passé votre bac, il n'y avait pas 3000 spectateurs au balcon, invités sur vos deniers.
- Concrètement, presque personne n'est rémunéré pour l'organisation de ces deux soirs de show, principaux happenings mode de l'année à Bruxelles (et globalement en Belgique, où il n'y en a pas des masses de cette importance). Les 250 mannequins recevront « juste » une place pour le défilé, quand aux photographes, scénographe, attachée de presse, DJ etc. , ils seront tout juste défrayés.
- Quand vous achèterez votre billet 32,50€ pour être assis, 17€ pour être debout, vous leur permettrez d'amortir une partie de leur investissement - ce qui fait de vous d'authentiques mécènes - mais surtout, vous contribuerez à l'exploration de la mode de demain, donc de votre placard à venir, ce qui est quasiment égoïste, si on y réfléchit.
On verra quoi ?
Le fruit de la réflexion des élèves des 5 années du cursus, par niveau, sur la nature-même du vêtement comme moyen d'expression, comme objet d'art, et même, comme fringue. Du stade expérimental des premières années à l'aboutissement des aspirants diplômés, ces jeunes prodiges - s'ils sont toujours là, malgré les difficultés à s'accrocher à l'exigence d'excellence, c'est qu'ils en sont - montreront ce qu'ils savent faire de leur imagination et de leurs mains. Ce sera époustouflant, émouvant, parfois même marrant, avec une scénographie culottée.
Eddy Anémian, qui a remporté le H&M Design Awards à Stockholm en janvier, présentera sa nouvelle collection super moderne inspirée de ses origines arméniennes, Louis-Gabriel Nouchi, qui revient juste du Festival d'Hyères, proposera une ligne pour hommes, aux imprimés au moins aussi poétiques que les coupes seront étonnantes. Et puis, il y aura les 50 autres, chacun avec ses histoires de tissus à raconter.
Tony Delcampe, chef de l'atelier stylisme, décode : "Nous formons des profils porteurs d'une vue globale, pas engoncés dans une spécialité. Nous sommes dans une vision de créateurs au sens large. Nos étudiants peuvent aussi bien créer des vêtements que monter des installations. Ils savent situer leur travail dans l’espace." Car La Cambre est l'une des rares écoles de mode qui insiste autant sur le design que sur l'intellect. Former l'esprit de la nouvelle générations de créateurs, c'est aussi sa grâce.
Pour assister à ce show bourré d'énergie le 6 ou le 7 juin aux Halles de Schaerbeek à Bruxelles, achetez donc vos tickets ici.