L’industrie cosmétique regorge de nouvelles façons de s’attaquer aux problèmes environnementaux et sociaux. Voici un aperçu des nouveaux acteurs du changement et des innovations durables dans le monde de la clean beauty.
L’industrie cosmétique a largement commencé à s’orienter vers des procédés de fabrication à plus faibles émissions. Cet aspect est désormais au cœur des stratégies marketing de la quasi-totalité des marques. Si nous avons depuis longtemps atteint le sommet des produits « sans » – sans phtalates, sans parabènes…, le défi des années à venir se situe ailleurs. L’emballage est plus que jamais au centre de la révolution verte. Loin d’être une contrainte, la question de la durabilité des emballages est heureusement source d’innovation. Mais ce n’est pas tout : créer des produits de qualité au service de l’humanité, c’est bien sûr polluer moins, mais aussi soutenir celles et ceux qui travaillent à la création de ces produits. Les questions sociales et éthiques rattrapent l’industrie cosmétique. Et ça, c’est une excellente nouvelle !
1. L’agriculture régénératrice, un nouveau défi
Agroécologie, agriculture régénérative ou permaculture : ces termes sont pratiquement synonymes. En clair, l’objectif de cette approche est de redonner aux terres agricoles un état sain et florissant. En nourrissant le sol, on nourrit les plantes et, par conséquent, la population. Il s’agit de reconstituer un sol forestier, riche en humus, en vers de terre, en mycélium et en bactéries. Malheureusement, les techniques agricoles intensives développées au cours du siècle dernier ont eu l’effet inverse : elles ont appauvri le sol, créant des terres arides.
Quel est donc le rapport avec l’industrie cosmétique ? L’agriculture régénératrice commence à inspirer les marques. Certaines utilisent cette technique pour récolter des ingrédients spécifiques, comme Klorane et Le Champ. Clarins s’engage dans la conservation d’une centaine d’espèces menacées en partenariat avec l’association ASTERS Conservatoire d’Espaces Naturels de Haute-Savoie. Chanel, pionnière en la matière, cultive 50 espèces de plantes sauvages et 37 variétés de châtaigniers dans les Alpes du Sud. La maison de couture cultive également 2.700 plantes de camélias à Gaujacq, un village du sud-ouest de la France. « Nous entretenons les haies, nous replantons des arbres, nous étudions les insectes, nous favorisons tout ce qui peut apporter de la petite faune et nous portons bien sûr une attention particulière à la qualité du sol. C’est un travail très important, car il constitue la base de la plante et quand le sol est sain, la plante est saine », résume Philippe Grandry, responsable de l’exploitation agricole de Chanel à Gaujacq.
Des marques plus récentes placent également ce principe au cœur de leurs projets, comme la ligne de maquillage Eclo, certifiée COSMOS. Les fondateurs ont sélectionné 3 actifs pour leurs vertus régénératrices : le seigle (plante qui crée des voies de drainage), l’algue brune bretonne, qui absorbe le carbone, et le chanvre breton, connu pour aérer les sols. « L’idée est de commencer une révolution, d’éduquer les consommateurs·trices. Le laboratoire avec lequel nous avons travaillé a beaucoup investi, en espérant que d’autres marques suivront », expliquent Priscille Charton et Julien Callede, respectivement fondatrice et fondateur d’Eclo. Autre marque pionnière, L’Occitane a créé en 2008 un service agronomique employant 3 personnes au Burkina, pour l’approvisionnement en beurre de karité, et 6 personnes en France. L’équipe travaille avec des agriculteurs·trices sur le plateau de Valensole, près de Manosque, haut lieu des maisons de cosmétiques : on y cultive de la lavande, des amandes, etc. Le groupe Unilever a annoncé l’an dernier qu’il co-créait un fonds d’investissement pour soutenir la transition vers ce type d’agriculture. Quant à Lush, la marque a lancé en 2017 le Spring Prize, pour aider à promouvoir et récompenser les initiatives d’agriculture régénératrice.
2. Des refuges pour les abeilles
Les bienfaits du miel, l’un des premiers médicaments naturels, sont innombrables : antibactérien et cicatrisant, il nettoie les plaies, atténue les cicatrices, transforme les cheveux, a des propriétés anti-âge et est un « remède polyvalent » pour tout… Sa texture onctueuse en a fait un incontournable de la communauté cosmétique, utilisé par les entreprises depuis des décennies. De nombreuses marques participent activement à la préservation des abeilles. Guerlain s’est engagé, dans le cadre d’un partenariat avec l’UNESCO et l’Observatoire français d’apidologie, à former des femmes apicultrices à travers le monde.
Yon-ka, Nuxe… et bien d’autres entreprises collaborent avec l’ONG « Un toit pour les abeilles », qui permet de parrainer des ruches et de planter des fleurs mellifères. 10.000 ruches ont déjà été construites. Esthederm et Sanoflore ont créé des chaînes d’approvisionnement respectueuses des abeilles pour récolter les ingrédients nécessaires. La société britannique Neal’s Yard Remedies collabore également avec l’ONG « Save The Bees ». Les abeilles, sans lesquelles la pollinisation n’existerait pas, sont plus que jamais au cœur des projets des marques.
3. La « clean beauty » redéfinie
De Dior à Nivea, toutes les marques font la chasse aux ingrédients litigieux. À tel point que la pureté des formules n’est même plus un sujet de discussion. Alors, la « clean beauty » a-t-elle encore une raison d’être ? Pas vraiment. En revanche, elle mérite une nouvelle définition qui tienne compte des enjeux actuels. Sur ce point, les grands distributeurs pourraient avoir un rôle crucial à jouer. « La clean beauty est un terme frustrant parce qu’il ne peut être quantifié ou vérifié », explique Alexia Inge, fondatrice de l’e-shop Cult Beauty. « Au lieu de scruter chaque ingrédient, nous préférons vérifier comment les produits d’une marque ont été fabriqués au sein de la chaîne d’approvisionnement. » À cette fin, elle a créé « Cult Conscious » au sein de son e-shop, en partenariat avec Provenance, une société indépendante qui vérifie les affirmations des marques sélectionnées, telles que le pourcentage de plastique recyclé utilisé ou leur caractère inclusif. « Nous demandons aux entreprises de fournir des preuves de leurs affirmations, telles qu’une étude clinique ou la preuve que l’entreprise est neutre en carbone. Nous exigeons de voir les fonds et les factures lorsque les marques prétendent donner de l’argent à des organisations caritatives ».
En pratique, les client·e·s peuvent cliquer sur une icône à côté du produit, qui ouvre une page générée par Provenance et accéder aux déclarations d’impact. Il s’agit de la technologie blockchain, une sorte de garantie de transparence en ligne. La plateforme présente plus de 70 marques : « La plupart d’entre elles sont indépendantes, car il est alors très facile de contacter directement le·la fondateur·trice. Mais pour que l’industrie change en profondeur, il faut que les grandes marques changent aussi », poursuit-elle. C’est un excellent moyen de lutter contre le greenwashing et de mettre fin aux pratiques contraires à l’éthique, comme l’envoi d’ingrédients à l’autre bout du monde pour bénéficier d’avantages fiscaux.
4. Ingrédients « renouvelables » et abondants
Comment mesurer l’impact environnemental d’un ingrédient ? C’est précisément la question à laquelle l’industrie doit répondre, car tous les ingrédients ne sont pas égaux (par exemple, les avocats sont très gourmands en eau). Le groupe L’Oréal s’est engagé à se procurer 95 % de ses ingrédients à partir de « matériaux renouvelables, de production circulaire ou de terres riches en minéraux » d’ici à 2030. « L’objectif est de n’utiliser que des matières premières qui n’ont pas d’impact négatif sur l’environnement », explique Delphine Bouvier, directrice de la recherche et de l’innovation transition vers les sciences vertes chez L’Oréal. En bref, la société n’utilisera pas seulement des plantes, mais aussi des matériaux « biosourcés », c’est-à-dire « dérivés d’organismes vivants », tels que des souches microbiennes et des sous-produits d’autres industries. C’est déjà le cas, mais il faudra accélérer : certaines marques utilisent des tiges de fleurs, des noyaux de fruits, du son de quinoa ou des chutes de poisson pour extraire des principes actifs ou du collagène, par exemple. Le groupe s’engage également à ne pas utiliser plus de terres que celles déjà présentes. La liste des « minéraux abondants » est en cours d’élaboration : « Ce sont ceux qui sont présents en abondance dans la croûte terrestre et qui peuvent être utilisés sans mettre en péril les réserves, comme les argiles et les oxydes de fer et de métaux, très utiles en maquillage », explique Delphine Bouvier.
En résumé, le groupe souhaite s’abstenir d’utiliser des produits pétrochimiques, dont les réserves ne sont pas renouvelables. Si une entreprise est prête à le faire, c’est qu’il existe déjà des alternatives. Un exemple ? Global Bioenergies a réussi à produire de l’isododécane sans pétrole. C’est une première ! Cette molécule, utilisée comme solvant et indispensable aux produits d’étanchéité, est produite à partir d’une bactérie spécifique « nourrie » de sucres végétaux. Cela a permis à l’entreprise de lancer LAST, la première gamme de maquillage waterproof utilisant des ingrédients entièrement naturels. Autre bonne nouvelle ? Le programme de recherche Marisurf, mené par un collectif de chercheurs·euses européen·ne·s et la marque Apivita, a identifié 2 microbes marins susceptibles de produire des tensioactifs et des émulsifiants, nouvelles alternatives à la pétrochimie.
5. Déchets : du jetable au désirable
S’appuyer sur la nature, valoriser les plantes jusqu’à la dernière fibre : un concept bien connu de nos grands-mères, mais aussi des géants de l’industrie cosmétique. La nouveauté ? Certaines marques en font désormais le cœur de leur communication. C’est par exemple autour de ce discours anti-gaspillage que Shiseido a axé la publicité de sa gamme Waso, dont les formules contiennent de l’eau recyclée issue du jus de pommes, autrefois jetée faute de débouchés commerciaux. Les produits de soin ludiques Pulpe de Vie sont créés à partir de fruits et légumes biologiques provenant de surplus alimentaires et la marque est particulièrement fière d’utiliser les résidus de pommes après extraction. Dermoioniq inclut du « collagène d’eau douce » dans sa ligne de soins anti-âge grâce à un procédé d’extraction breveté utilisant les peaux, les carcasses et les têtes d’esturgeons destinés à la production de caviar. Guérande Cosmetics, quant à elle, récupère les eaux mères des marais salants, ainsi que certaines algues ou plantes marines, dont la salicorne, à forte concentration en minéraux et micronutriments.
Surfant sur la vague verte, des start-up ont fait de l’upcycling leur raison d’être, comme la société scandinave Kaffe Bueno, qui transforme les déchets de café (collectés dans les hôtels) en ingrédients de soins pour la peau, comme le Kaffoil, riche en polyphénols. La jeune marque néerlandaise Honestly It’s propose également des exfoliants à base de marc de café. En Finlande, Innomost recycle des écorces de bouleau issues de l’industrie du bois pour produire différents principes actifs, dont l’acide azélaïque, un agent antiacnéique. Enfin, Lofty Box, en Grande-Bretagne, propose des produits de marques indépendantes en « fin de stock », avec des dates de péremption relativement courtes, afin de limiter le gaspillage.
6. Les produits biologiques conviennent désormais aux peaux sensibles
Les personnes à la peau sensible le savent, certains produits bio peuvent provoquer des réactions indésirables en raison des huiles essentielles qu’ils peuvent contenir. Les choses évoluent. Dans le haut de gamme, la reine du luxe bio, Tata Harper, tente une nouvelle approche. Connue pour ses formules longues, avec plusieurs dizaines d’extraits de plantes et un usage intensif d’huiles essentielles, la marque a lancé une gamme pour peaux sensibles, dont 75 allergènes et irritants sont exclus. Adoptant cette nouvelle philosophie, 3 produits, dont un booster d’éclat, viennent d’arriver dans les rayons. « L’exfoliation des peaux sensibles est un véritable défi », explique Tata Harper. « Nous avons découvert un AHA à la structure moléculaire large, qui limite son effet sur les cellules mortes (il reste en surface). Il n’y a pas de risque de surutilisation, donc pas d’irritation. » Créée en partenariat avec la Mayo Clinic, un hôpital universitaire et une fédération de
recherche américains, la gamme est également certifiée par le label Skin Safe. Bref, les produits bio conviennent enfin à tout le monde !
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