Que valent les marques de beauté des célébrités ?

Mis à jour le 7 juin 2023 par Valentine Pétry et ELLE Belgique Photos: Getty Images, Karwai Tang, Presse
Que valent les marques de beauté des célébrités ? © Rhode Instagram

De Harry Styles à Naomi Watts, ils et elles sont de plus en plus nombreux·euses à lancer allègrement leur marque de beauté, leurs sérums et vernis à ongles. La qualité et l’innovation sont-elles pour autant au rendez-vous ? Enquête.

Lorsque les acteurs Jared Leto, Brad Pitt et le musicien  Travis Barker ont lancé leur gamme de soins en octobre 2022, internet a explosé. Trop c’est trop : « Nous ne voulons plus de marques de célébrités », a en substance répliqué un collectif de fondatrices de jeunes labels au Royaume-Uni dans une lettre ouverte à Brad Pitt. Jamais en reste pour se payer un bon coup de com’, la marque The Ordinary s’est aussi fendue d’un post Instagram bien senti : « Nos scientifiques ne sont pas des célébrités. Et la plupart des célébrités ne sont ni scientifiques ni experts en beauté. » Caroline Hirons, une experte britannique en soins et autrice réputée outre-Manche pour son franc-parler, a elle aussi pesté : « Nous avons une industrie d’excellence, ne venez pas me parler de ça », avant de lancer sa propre gamme, Skinrocks, quelques jours plus tard.

Mais la « bulle des marques de célébrités », comme l’appelle la presse américaine, n’est pas prête d’éclater. Depuis, le chanteur Robbie Williams a tenté de lancer Hopeium, sa gamme de parfums, mais la société YSL a déposé un recours, car le nom ressemble trop à celui de son jus culte, Opium. On murmure aussi que Sienna Miller créerait ses soins sous peu. S’il y a quelques années le phénomène faisait sourire, il agace désormais. L’urgence environnementale a changé la donne : pour bon nombre de consommateurs et consommatrices d’aujourd’hui, chaque nouveau produit est un déchet en devenir. Bref, ces lignes seraient le symbole de l’opportunisme. Pire, elles sont le symptôme de nos contradictions : à l’heure où le mot sobriété est sur toutes les lèvres, notre modèle économique et nous-mêmes restons désespérément accros à la surproduction et son corollaire, la surconsommation.

Toujours plus de produits

Le marché classique est largement saturé par des produits créés par les marques traditionnelles. Quand un concept fonctionne, des versions alternatives pullulent quelques mois plus tard ; l’industrie appelle cela les « me too products ». C’est précisément ce trop-plein de produits, qui ne répond plus à aucun besoin fonctionnel, qui accorde encore plus d’importance au storytelling et donne l’illusion que tout un chacun peut se lancer.

N’en déplaise aux commentateurs·trices, les lignes de stars ne sont, en matière de qualité, ni pires ni meilleures que celles du reste du marché, car elles sont fabriquées et conçues par les mêmes entreprises. Elles travaillent de plusieurs façons : une marque apporte une recette précise et la fabrique à grande échelle, ou elles customisent une version déjà créée, ou elles inventent une ligne de toutes pièces et apposent le logo sur ces produits. Point crucial pour la sécurité, elles réalisent aussi les tests d’innocuité nécessaires à la mise sur le marché. On peut produire en Europe, et être certifié bio, pour quelques milliers d’euros. « Tout le monde veut lancer sa gamme », confirme Mamoune Khadira, cofondateur de Dôm Labs, un laboratoire belge qui collabore avec des célébrités, dont des mannequins internationaux, selon ses dires, et propose un catalogue de 218 produits. « Je reçois au moins un appel par jour. C’est bien plus facile que de lancer des vêtements, car vous pouvez obtenir le produit clé en main. » En cosmétique, pas de problème de taille ou de saisonnalité. « Le coût d’entrée dans la mode est plus élevé », confirme Hind Sebti, fondatrice et cheffe du développement de Waldencast, un grand groupe cosmétique britannique, « car la qualité est immédiatement visible. Une robe mal coupée se voit à l’œil nu, alors que les soins laissent beaucoup plus de place à l’interprétation. »

De fait, la plupart des gammes sont souvent lancées avec une ligne courte et des produits peu techniques, nécessitant peu d’explications, et des promesses de résultats raisonnables. On retrouve d’ailleurs fréquemment les mêmes mots : « minimaliste » ou « holistique ». Un nettoyant, une crème hydratante, voire un sérum… avec eux, on joue souvent la simplicité et des textures agréables, à l’instar de la ligne de Garance Doré, une version copiée-collée selon ses dires de la « French pharmacy », destinée au marché américain. Ce type de produits ne transformera pas votre peau, mais lui apportera a minima de l’hydratation, bref, la maintiendra en bonne santé. Lorsque ces marques mettent en avant des ingrédients un peu plus techniques, comme le rétinol, la vitamine C ou les peptides, rares sont celles qui en affichent la dose ou font appel à des études cliniques, onéreuses, alors que le but de l’opération est précisément de couper les coûts. 

Un business juteux avant tout

Créer un produit de beauté qui ressemble beaucoup au reste du marché n’est pas difficile, ni même très cher. Le vendre est compliqué. C’est là que la célébrité a l’argument massif : sa communauté. Et tant pis si les quantités achetées sont minimes, les marges sont telles que le « coup » est rentable. « Même si seulement 0,1 % des followers de célébrités achètent, cela va créer un succès à très court terme. Mais les client·e·s vont-ils être fidèles ? Qui aura envie de porter un parfum Jennifer Lopez dans cinquante ans ? Et puis, c’est risqué. Un scandale autour de la personnalité, et tout peut s’écrouler », poursuit Hind Sebti.

C’est vrai, certaines marques sont par essence éphémères. Harry Styles, qui a lancé des vernis et palettes de make-up, confie qu’il ne sait pas ce que sera Pleasing, sa ligne, dans cinq ans. En attendant, elle cartonne. L’investissement financier est impossible à connaître : parfois ce sont de simples accords de licence, mais souvent ce sont des contrats où la star possède à la fois des parts dans l’entreprise et un accord de licence (comme pour Fenty et Rihanna, selon le « New York Times »). Et c’est juteux : le « New York Times » a eu connaissance des sommes concernant Khroma, une marque lancée par les sœurs Kardashian en 2012, qui n’existe plus : les sœurs avaient récolté 1 million de dollars lors du lancement, et le contrat promettait au minimum 4,6 millions de dollars au fur et à mesure des créations de produits.

Torse d'homme avec deux mains aux ongles vernis posés dessus.
Les vernis Pleasing d'Harry Styles.

Créer le besoin, mais surtout l’envie

Rares sont les personnalités qui lancent leur propre entreprise, comme Lady Gaga et Selena Gomez (Rare Beauty), bien que cela reste l’option la plus rentable. Ces deux marques sont de très bonne qualité, car les deux stars tiennent le même discours : les produits sont dédiés aux fans avant tout. Elles misent tout sur leur réputation. Et le succès n’est pas toujours au rendez-vous : Haus Laboratories, la première marque de Lady Gaga, lancée en 2019 sur Amazon, n’existe plus. Elle a été relancée cette année sous un nouveau nom, Haus Labs by Lady Gaga, avec des formulations clean, et un autre revendeur, Sephora – qui appartient au groupe LVMH.

Comment juger du niveau d’implication d’une star ? Il suffit d’observer si elle bosse beaucoup pour vendre le produit. Si elle se contente d’un lancement tiède (Brad Pitt et Travis Barker ont raté le leur, en montrant un intérêt minime pour la cosmétique dans les médias), on peut en conclure qu’elle n’y a jeté qu’un œil. Parfois, l’investissement personnel se sent : Victoria Beckham, rencontrée lors de sa collaboration avec Estée Lauder, est une passionnée de maquillage qui contrôlait alors jusqu’à la taille des paillettes dans les fards. Elle a aujourd’hui sa propre ligne et ses produits sont de bonne qualité, car elle a l’œil d’une directrice artistique doublée d’une consommatrice avertie.

Ce qui est certain, c’est qu’une grande partie de ces gammes ne naissent pas dans le cerveau de votre chanteuse préférée ! Elles sont développées par des incubateurs, qui dénichent le « besoin non adressé » du marché. Une fois que l’on a le concept, l’incubateur trouve la célébrité en accord avec les valeurs (grâce à des outils qui analysent les envies des followers, notamment). Puis le label est développé par des cadres, habitués aux lancements. En un mot, les stars proposent précisément ce dont nous avons envie. D’autres lignes sont créées pour permettre aux revendeurs de recruter de nouvelles cibles – une star jeune pour capter la Gen Z dans un réseau vieillissant, par exemple, ou une marque « black-owned », fondée par une célébrité noire, pour compenser un manque d’inclusivité.

En réponse à ce foisonnement, les célébrités sont de plus en plus nombreuses à s’appuyer sur des expert·e·s pour proposer des produits excitants (et justifier des prix élevés). Harry Styles collabore avec un designer pour les couleurs de sa palette, Brad Pitt avec des chercheurs et chercheuses, Scarlett Johansson met en avant la CEO de sa gamme The Outset… Elles ont tout intérêt à communiquer ces infos auprès du public, pour apporter de la crédibilité à leur affaire. D’autres s’allient avec les fournisseurs d’ingrédients, pourvoyeurs de l’innovation. « Je reçois au moins un appel par semaine d’une personnalité à plus de 10 millions d’abonné·e·s », se félicite John Melo, fondateur d’Amyris, un géant de la biotechnologie, qui fournit plus de 4.000 ingrédients aux groupes cosmétiques du monde entier. « J’accepte de travailler avec elles lorsqu’elles sont enthousiasmées par notre technologie », partage celui qui s’apprête à collaborer avec David Beckham. « La célébrité est un partenaire, mais elle n’est qu’un moyen pour que les gens prêtent attention à notre technologie plus rapidement. »

Brad Pitt présentant ses cosmétiques Le Domaine.
Brad Pitt présentant ses cosmétiques Le Domaine.

Et souvent, le choix de travailler ou non avec quelqu’un est une question de timing. « C’est beaucoup plus rapide de créer ma propre griffe avec une star plutôt que d’aller expliquer aux groupes l’intérêt d’une nouvelle molécule. JVN Hair, la ligne capillaire de Jonathan Van Ness (une star télévisuelle américaine, NDLR), a ainsi généré plus de 50 millions de dollars la première année. » Elle a également permis aux consommateurs et consommatrices de connaître l’actif produit par Amyris, l’hémisqualane. Le fait que les consommateurs·trices deviennent familier·e·s avec cet ingrédient accélère aussi la demande de la part d’autres groupes. Un double bénéfice. Lorsque Naomi Watts a contacté l’industriel John Melo pour lancer une ligne de soins destinée aux femmes atteignant la périménopause (Stripes), il a choisi d’intégrer l’ectoïne – une molécule qui a la propriété de capter l’hydratation – à des concentrations élevées.

Parfois innovantes, souvent de qualité satisfaisante, largement rentables, et finalement élaborées par des expert·e·s, ces gammes ont-elles tout pour plaire ? Pas tout à fait. Pour durer, elles devront devenir plus transparentes : d’où viennent les ingrédients ? Dans quelles conditions ont-ils été produits ? Des questions incontournables pour les consommateurs·trices, qui réclament des garanties indépendantes, via des labels. Les stars ne pourront sans doute pas capitaliser longtemps sur la seule affection que leur porte le public.

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