Dans un contexte de turbulences économiques et de repositionnement des marques, certaines griffes disparaissent quand d’autres naissent. Créatives, alternatives, éthiques et fondées dans le respect du produit et des client·e·s, de nouvelles marques belges de maroquinerie signent une singularité durable.

Les sacs n’ont pas de tailles comme les vêtements, ils sont statutaires, plus facilement transmissibles, on les chérit comme des investissements à la fois affectifs et patrimoniaux. Derrière les nouvelles marques belges qui se lancent sur le marché poussées par le feu sacré de leurs créateurs·trices et fabricant·e·s, il y a des mois de réflexion, des calculs infinis pour réguler la passion, et parfois de bienvenues années d’expertise. C’est, pour commencer notre voyage en nouveauté, l’histoire de Damiaan, maison belge révélée lors de la fashion week de septembre 2022, designée par Damian O’Sullivan et supervisée par Christina Zeller, directrice artistique de Delvaux jusqu’en 2020.

Sac de la marque belge Damiaan.

©presse Damiaan

Avec plus de quarante ans de métier dans les arcanes du luxe, elle a embrassé ce projet tout neuf avec l’enthousiasme des premières fois, et la pertinence de son expérience. Quand on parle des défis de la création d’une marque à cette entrepreneuse au regard clair déterminé, elle évoque sans détour les épreuves qu’auront à surmonter les nouveaux arrivants, et son soutien à la nécessaire ambition des porteurs/euses de projets innovants : « J’ai beaucoup d’admiration pour les jeunes entreprises qui veulent se lancer aujourd’hui sur le marché de l’accessoire, surencombré par des “gorillas players” qui ont à la fois des moyens financiers considérables et un pouvoir de marque inégalable. Il faut aujourd’hui passion, détermination, courage, patience, réseau, un minimum de trésorerie venant essentiellement de love money (amis, famille) ou du crowdfunding, et heureusement une certaine inconscience. Tout est difficile lorsque l’on est seul à devoir créer, fabriquer, se faire référencer dans des points de vente de qualité, avoir un site d’e-commerce, livrer en temps et heure, animer les réseaux sociaux pour créer du trafic sur le site… Tout est une montagne et l’on doit être une femme ou un homme-orchestre. »

Selon cette professionnelle du secteur du luxe qui a fait ses armes auprès de Karl Lagerfeld et coordonné des lignes entières de produits chez Christian Lacroix et Givenchy, ce serait déjà un défi d’élaborer un concept et un territoire de marque distinctifs, au milieu d’une offre exponentielle. Elle nous éclaire à propos des écueils connus seuls des courageux qui se sont jetés dans l’arène : « Les sous-traitant·e·s qui travaillent avec ces jeunes marques n’en font souvent pas leur priorité, les délais de livraison sont très difficiles à tenir vis-à-vis de leurs clients, c’est un combat de tous les jours. Les accès aux composants ne sont pas simples non plus ces maisons émergentes qui rachètent des surplus de matières premières auprès des grandes marques ou tanneries. C’est une démarche de recycling et upcycling qui nécessite de s’adapter aux peaux et aux couleurs disponibles. Ensuite quand on a la chance d’être arrivé à ce stade, le nouveau challenge est de se faire référencer par les grands magasins pour avoir un minimum de visibilité. » 

Pour autant, forte de ses années de direction de collection, Christina Zeller poursuit sa vocation d’accompagnement à la création. L’origine du projet tout neuf qu’elle investit désormais est l’œuvre de Damian O’Sullivan, qui cumule avec elle 70 ans d’expérience pour les plus grandes maisons de luxe françaises et belges. Ils ont rassemblé leurs désirs de liberté pour proposer une maroquinerie singulière et surprendre en s’affranchissant des contraintes « qui brident trop souvent la création, et la banalisent ». Damiaan, c’est le fruit de leur complémentarité : lui est un artiste conceptuel aux multiples influences et disciplines, elle est pragmatique, intuitive, facétieuse, avec un œil exacerbé sur ce métier qu’elle exerce depuis longtemps. Il est toujours en retard, elle n’a jamais été qu’en avance. Avec le design de l’un et le sens du business de l’autre, cette marque aux inspirations surréalistes livre l’excentricité d’une élégance décomplexée, une esthétique peut-être « magrittante ». La première collection ne comprend que deux modèles et leurs variations, parfaits, allégories d’humour et de désir : un trompe-l’œil et un serpent. « L’idée est de faire tourner les têtes et de délier les langues. » Les sacs sont entièrement fabriqués en France, selon la tradition de la haute maroquinerie. Question financement, leur entreprise a bénéficié du soutien de START Invest et du WBDM. Pas de grand groupe derrière cette initiative pour l’instant, rien que des étoiles parfaitement alignées, le long d’une couture de lin cirée.

5 nouvelles marques belges de sac à découvrir

1. ASPASSIA TAGLIENTE : LA NAISSANCE D’UNE MYTHOLOGIE

Sac de la marque belge Aspassia Tagliente.

©presse Aspassia Tagliente

Sa marque belge porte son nom : Aspassia Tagliente est grecque et italienne, elle a grandi en Belgique, vit en Flandre et y a fondé son entreprise en février 2019. À 32 ans, elle lance sa propre maison, au format artisanal et pour l’instant uniquement disponible sur son site, après un diplôme de communication Belgique, puis des études de management de mode et de design à Milan. Son premier stage, effectué chez Chanel, lui a permis de découvrir les accessoires de luxe, et a signé sa vocation. « J’ai commencé à rêver de développer ma propre marque, avec une vision à 360°. J’ai choisi la création de sacs parce que ce sont des accessoires qui apportent une touche décisive au look. Au cours de mes études, j’ai appris qu’ils avaient longtemps été réservés aux hommes, car les femmes n’avaient droit ni à la propriété ni à l’intimité. Quand elles y ont eu accès, elles ont pu garder des clés, de l’argent, et leurs objets personnels. Ça, c’est pour le côté philosophique. Il y a aussi une dimension pratique : les sacs à main représentent moins de stock, car ils ne sont pas soumis aux déclinaisons de taille comme les vêtements, cela nécessite donc moins d’inventaires. Lancer cette collection est donc le fruit d’une réflexion stratégique et logistique. » La fabrication est réalisée à Florence par une société familiale, avec des cuirs italiens. « J’apprends et j’éduque ma marque aux pratiques sociales et écoconscientes, pour préparer l’avenir. Je produis en toutes petites quantités, et les prototypes ne sont pas faits en cuir, pour économiser cette matière qui est précieuse. Les client·e·s précommandent sur le site, et les modèles sont produits au fur et à mesure. Les chutes de cuir deviennent des porte-cartes des porte-clés. J’ai appelé ma collection Renaissance, parce que tout est réutilisé. » Aspassia a grandi entourée de mythologie, et elle a développé une passion pour les sirènes. « Elles sont belles, puissantes et douces, mais si on les fâche, elles peuvent renverser un bateau. Il y a une autre raison pour laquelle j’ai utilisé les sirènes comme logo : elles incarnent la force de la sensualité, la terre et la mer, elles sont femmes et poissons. J’ai moi-même toujours ressenti une dualité, outre le fait que je suis issue de deux cultures. » Qui pourrait résister au chant des sirènes d’Aspassia ?  

2. NASTASSIA FINE : PATCHWORKS D’ÉMOTIONS

Sac de la marque belge Nastassia Fine.

©presse Nastassia Fine

Diplômée de l’Académie d’Anvers en 2017, Nastassia Fine, Bruxelloise de 30 ans a effectué à l’issue de ses études un stage d’assistante chez Olivier Theyskens, qui l’a menée à devenir son bras droit : « Une expérience intense, très enrichissante. Le travail se fait en petite équipe, ce qui m’a permis de toucher à tout, de la création à la visite des fournisseurs. » Elle a finalement lancé sa propre marque en août 2021 : « Je ressentais le besoin de me consacrer entièrement à un projet personnel, de m’exprimer en mon nom. » Nastasia est pour l’instant seule aux commandes de son projet, et collabore avec une usine familiale de fabrication haut de gamme au Vietnam. « Je travaille principalement avec des surplus de stocks de grandes maisons : pas de surproduction, pas d’overconsommation. » Sa signature de coutures apparentes lui vient de son expérience dans le vêtement : « J’ai lié cette perception esthétique à ma passion du design. Je crée des sacs objets à porter ou à exposer, numérotés en série limitée, pour me distinguer dans un monde de mode ou on a encore tendance, plus ou moins consciemment, à s’uniformiser. » Pour l’instant, Nastasia distribue uniquement ses modèles sur son site. Son prochain défi sera de développer des points de vente physiques. « J’aime les challenges, je me sens bien dans le rush, je suis plus performante sous pression. Les émotions fortes permettent d’exprimer une énergie. » Un ensemble de bonnes impulsions, liées pour durer.

3. OCTOGONY : PRATICITÉ AU CARRÉ

Sac de la marque belge Octogony.

©presse Octogony

Avec un positionnement « easy luxury », cette maison fondée en 2020 à Bruxelles cultive des collections genderless par ses courbes inspirées du brutalisme, essentielles et intemporelles par ses couleurs sobres et contemporaines. Architecte de formation formé à Beyrouth, le directeur artistique Charbel Abou Zeidan a choisi l’octogone comme thème graphique récurrent. Libanais installé à Courtrai depuis 2011, il a été pendant neuf ans le bras droit d’Elie Saab, œuvrant aux collections prêt-à-porter, couture et accessoires. « Chez Octogony, l’inspiration vient de l’architecture, bien avant les tendances. Au titre du design, nous développons parallèlement une nouvelle petite ligne de bijoux, évolution naturelle de toutes les pièces métalliques dessinées et produites pour les sacs. » Les pièces sont fabriquées en Bulgarie dans des ateliers artisanaux, les matelassages et tressages effectués en Inde dans des manufactures spécialisées, toujours en petites quantités, dans un cuir italien. Le concept est celui d’une collection de base intemporelle, classique, avec des drops occasionnels, comme les modèles miniatures, qui s’accrochent et s’additionnent. Une esthétique mixte, pour des modèles évolutifs en fonction de l’usage et de l’inspiration. 

4. ENAMOURE : TOMBER POUR LES LIGNES

Sac de la marque belge Enamoure.

©presse Enamoure

Gantoise de 27 ans, Estelle Hanet a lancé sa marque Enamoure en février 2021, pour répondre, « même si ça semble cliché », aux besoins pratiques des femmes en matière d’accessoires : « Il est difficile de trouver des sacs qui ne soient ni peu chers mais de mauvaise qualité, ni luxueux mais hors de prix. C’est l’entre-deux que je trouve intéressant. » Estelle s’est familiarisée avec tous les ressorts de la création avant de lancer sa marque de modèles élégants, multi-usages, conçus pour passer du brunch à la soirée habillée. « Je dessine toute la collection, en partant toujours du cuir. Pour les sacs en particulier, le toucher est très important. Je veux créer des formes qui sortent de l’ordinaire, sortir des sacs carrés traditionnels. Je m’inspire entre autres de la mer et ses vagues, qu’on perçoit dans les lignes de mes modèles. En toute chose, je recherche la fluidité et l’ergonomie. » Estelle produit ses collections au Portugal, avec un souci écologique : les teintures sont non toxiques, les colles formulées à l’eau. La jeune créatrice porte une attention particulière aux poignées de ses sacs, dont certaines sont des clins d’œil au collier de perles, bijoux pour appuyer la silhouette, quand les bandoulières amovibles peuvent se transposer d’un sac à l’autre. Des bijoux à porter au bras, alliances d’équilibre. 

5. 29TH OCTOBER : L’ARC-EN-CIEL D’UNE ÉPURE DURABLE

 

Cette société familiale fondée en 1992 fabrique artisanalement dans ses propres ateliers de Forest des pièces haut de gamme de cuir et de daim. En 2021, Lucie Gulcu, fille des fondateurs et ingénieure de gestion diplômée de Solvay, a lancé la première ligne de sacs signée des ateliers. À 26 ans, autodidacte dans la création, elle a été initiée depuis son enfance à la qualité et au travail des matières. « Après les crises successives des dernières années, j’ai quitté mon job de consultante et j’ai rejoint l’entreprise familiale. Nous avons commencé par une ligne complète de dix modèles, que nous enrichissons chaque année, avec des formes graphiques, minimalistes, intemporelles, hors tendances. » Une quinzaine de  couleurs et des textures sont disponibles pour chaque sac, produit à la commande. C’est l’éthique de l’expertise, au service de la durabilité.

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