Jeune adolescente, Florentina Leitner s’imprègne de l’ambiance de la Fashion Week de Vienne. Très vite, c’est une évidence : c’est ça qu’elle veut faire plus tard. Bientôt, elle présentera un défilé à Paris pour la deuxième saison consécutive – le rêve ! – et partagera son univers rempli de couleurs, d’imprimés fleuris et de détails maximalistes. Même Lady est complètement Gaga de la créatrice autrichienne.
Entrer dans l’univers de Florentina Leitner s’apparente à une expérience kaléidoscopique, un régal pour les sens. Tout semble à la fois parfaitement en équilibre et pourtant légèrement déséquilibré. Et ça vaut aussi bien pour ses collections que pour les vidéos de campagne un peu étranges qu’elle réalise chaque saison avec son ami et scénographe Jens Burez. Imaginez : Twin Peaks meets Hitchcock meets Wes Anderson. La créatrice de 26 ans plaisante en disant qu’elle a failli étudier le cinéma, mais qu’elle a finalement choisi la mode. À l’âge de 14 ans, elle s’inscrit au Fashion Institute Hetzendorf, une école dont elle a entendu parler pour la première fois lors de la Fashion Week de Vienne. Un an avant d’obtenir son diplôme, elle passe ses examens d’entrée à l’Académie de la mode d’Anvers. « Ce qui m’a laissé suffisamment de temps pour trouver un appartement », souligne Florentina en riant. « Je me souviens de ma première fois à Anvers. Je suis descendue du train et j’ai vu des casinos défiler… ça m’a un peu refroidie. Mais ensuite j’ai découvert la beauté de la ville et rapidement fait la connaissance de personnes incroyables. » Parmi elles, il y avait Brandon Wen, avec qui Florentina a démarré en 2015. « Et maintenant, il dirige l’Académie, c’est dingue ! Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai pris un coup de vieux (rires). »
Florentina avait beau être bien préparée en commençant ses études, la Nationalestraat n’était pas une sinécure. Avec une charge de travail élevée, des attentes tout aussi élevées et des critiques acerbes. « Heureusement, j’ai été éduquée dans la franchise. Ma mère n’y allait pas par quatre chemins : si mes dessins étaient médiocres, elle le disait sans détour. Elle m’a apporté le soutien le plus précieux, tout en estimant que je devais montrer que j’étais capable de suivre une formation en stylisme. Et je lui en suis très reconnaissante, car ça m’a poussée à redoubler d’efforts. Je voulais prouver à tout le monde que je pouvais le faire. Je ne suis pas programmée pour abandonner. »
L’audace paie toujours
« Jetez votre manteau sur le tas. » Après quelques messages échangés viaInstagram, je rencontre Florentina dans l’effervescence de son studio de Berchem. La preuve qu’elle peut le faire est donc là, sous mes yeux. Des murs remplis de moodboards pour la prochaine collection hiver, des stagiaires derrière des machines à coudre ou des ciseaux à la main, des mètres de tissu sur le sol… Je m’assois et trouve tout juste une petite place sur la table pour déposer mon smartphone slash dictaphone, à côté de quelques paires de lunettes de soleil de sa collection été actuelle réalisée en collaboration avec Yuma Labs. Les Spikes pointus sont une variante du modèle qu’elle a eu l’opportunité de concevoir en exclusivité pour Komono lors de sa dernière année d’études.
D’autres collaborations et récompenses ont rapidement suivi, comme le projet Dressed by Antwerp qui lui a permis d’habiller Lady Gaga d’un vertigineux manteau en fausse fourrure, et le prestigieux prix Christine Mathys, du nom de l’ancien bras droit de Dries Van Noten. « J’étais à peine diplômée et je savais que Dries cherchait du renfort. Je les ai donc contactés en leur disant : Salut, je viens de gagner votre prix et en plus je suis disponible pour travailler ! J’ai décroché un entretien – et le poste – dès le lendemain ! » Poste qu’elle a conservé pendant deux saisons, jusqu’à ce qu’elle soit prête à lancer son propre label, qui s’est d’emblée forgé une place dans la Fashion Week de New York. Elle doit, comme elle le dit elle-même, une grande partie de son succès immédiat à son caractère pragmatique. Lorsqu’elle remporte un peu plus tard le Belgian Fashion Award du Emerging Talent of the Year, elle rassemble son courage et s’adresse à Serge Carreira de la Fédération de la haute couture et de la mode. À peine 24 heures plus tard, il est dans son studio et ensemble ils préparent sa première Fashion Week de Paris. « L’audace paie toujours », estime-t-elle. « Il faut saisir les opportunités et ne pas attendre qu’elles tombent du ciel. Sinon on risque d’attendre indéfiniment. »
Florentina n’est pas du genre à se croiser les bras. À l’école de mode de Vienne, elle organisait souvent de petits shootings. Et à Anvers, c’est toujours elle qui prenait l’initiative de prendre des photos en coulisses ou de pitcher une idée d’article aux magazines. Elle aime avoir une longueur d’avance et s’entoure de personnes avec qui elle est totalement en phase. Comme l’agence londonienne Limited PR, avec qui elle collabore depuis sa troisième année à l’Académie. Et son styliste attitré Adrien Gras, « un homme qui déborde d’idées et réfléchit en permanence ». Ils sont les seuls dont elles acceptent les critiques. « Parce qu’ils abordent mon travail avec curiosité et respect. Peu m’importe si un illustre inconnu m’insulte sur les réseaux sociaux. J’ai une fois accordé une interview à une station de radio locale en Autriche et j’ai ensuite lu sur Facebook : “Si vous portez ces vêtements en rue, on va vous en vouloir, c’est sûr.” Je ne peux pas prendre ce genre de publications au sérieux. Tellement de gens ne comprennent rien à la mode. »
Est-ce que Bella Hadid porterait ça ?
Qui se balade en rue dans une tenue Florentina Leitner ? Lady Gaga donc. Kylie Jenner et la chanteuse suédoise Zara Larsson sont également des fans autoproclamées de ses catsuits ludiques. Pour une créatrice émergente, il n’y a pas de meilleure visibilité, mais ce n’est pas la préoccupation première de Florentina. « Je ne crée pas en me demandant : est-ce que Bella Hadid porterait ça ? Elle peut le porter bien sûr, avec plaisir. Mais créer des vêtements à la mode et capitaliser là-dessus n’est jamais mon point de départ. En moins de temps qu’il n’en faut pour s’en rendre compte, on s’enferme dans une certaine recette du succès et on perd progressivement son identité créative. Je préfère créer pour moi-même, à l’instinct. Et j’ai aussi des fans qui achètent une nouvelle pièce chaque saison parce qu’ils me trouvent sympathique et veulent faire partie de mon monde, précisément parce qu’il est très personnel. »
Le monde de Florentina Leitner est fait de formes étonnantes, d’imprimés psychédéliques, de détails originaux et de fleurs. Des tonnes de fleurs, à la fois imprimées et en 3D. Pas étonnant quand on s’appelle Florentina… Pour sa collection SS23 « oh, dear », elle s’est inspirée de la superbe nature qui entoure son village natal Mödling. Elle transforme des filles en cerfs sauvages, menacés d’extinction, recouverts de pâquerettes, de tee-shirts à strass et de robes de soirée délicates. L’Autrichienne renoue régulièrement avec ses racines, notamment pour le shooting de la collection. « Il a beaucoup changé, il y a beaucoup plus de maisons que dans mes souvenirs. C’est dommage, mais je m’y sens toujours chez moi. » La grande sœur de Florentina, de six ans son aînée, a également été une source constante d’inspiration pendant son enfance. « Elle avait une garde-robe incroyable avec des pièces d’archives rares, comme une paire de collants Pucci. Aucune idée d’où elle l’avait dénichée. Rien n’allait vraiment ensemble, mais le résultat était étonnant. Elle a été ma toute première icône de style. »
Work hard, play hard
Le label Florentina Leitner pourrait être comparé à un one-woman show. La styliste crée, recherche constamment des tissus deadstock et durables, publie sur les réseaux sociaux et s’occupe de la vente, avec des magasins physiques en Autriche, en Italie, à Londres, à Budapest et à Ibiza. Même si elle admet que ce dernier volet n’est pas son fort. « Un assistant qui m’aiderait au niveau de la vente et de l’aspect financier serait un must, mais j’ai du mal à trouver quelqu’un en qui j’ai totale confiance. Vous savez, j’essaie de prendre progressivement du recul. Mes capacités ont des limites et je ne peux pas tout faire seule, je m’en rends compte. Je ne crois pas au travail jusqu’à l’épuisement. Personne n’en ressort gagnant. » Que fait-elle quand elle n’est pas dans son studio ? « Je voyage, je flâne dans les villes… Et l’année dernière j’ai découvert le wave surf au Portugal. Génial ! Mon seul objectif à ce moment-là, c’est de rester sur la planche. Surfer sur les vagues sans tomber dans l’eau. Pas de smartphone dans les parages, comme si le reste du monde n’existait pas pendant quelques heures. »
Comment voit-elle l’avenir ? Son travail la stimule-t-elle suffisamment ? Ou espère-t-elle qu’une grande maison de couture vienne la chercher un jour ? « J’ai toujours voulu créer pour Prada, surtout maintenant que Raf y est. Mais pour l’instant, je veux me concentrer sur mes propres collections. Si un jour ma marque tourne toute seule, j’aurai peut-être le temps d’être directrice artistique ailleurs (rires). La combinaison des deux s’avère difficile, je pense. Raf a également abandonné son label. J’aimerais continuer à investir dans des collaborations passionnantes. Adidas x Florentina Leitner, ce serait cool ! »
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