Ligature des trompes : une opération encore taboue

Mis à jour le 9 octobre 2023 par Camille Vernin
Ligature des trompes : une opération encore taboue ©Shutterstock

La pratique est plébiscitée par près de 37 % des Américaines. Pourtant, elle reste globalement taboue en Belgique (8 %) et en France (4 %)*. La stérilisation féminine - surtout quand on est jeune et sans enfant - est même décrite comme un vrai parcours de combattante chez nous. Une mise sous tutelle médicale des femmes qui en dit long sur les injonctions à la maternité encore bien ancrées dans notre société. 

« Je ne veux pas d’enfants », explique Fanny Seligmann, 28 ans. La jeune femme qui a pris la pilule pendant huit ans décide un jour d’arrêter. Comme de nombreuses femmes, elle ne veut plus d’hormones, et elle n’envisage pas le stérilet en cuivre à cause de règles très douloureuses. Elle apprendra par la suite qu’elle souffre d’endométriose. « J’ai compris que la pilule pouvait cacher beaucoup de problèmes de santé. J’ignorais que je souffrais d’hypothyroïdie et de prédiabète depuis des années. » Depuis longtemps, Fanny porte en elle la conviction qu’elle ne veut pas d’enfants et qu’elle n’en voudra jamais. Elle songe à la stérilisation.

Chez l’homme, on parle de vasectomie, chez la femme, de ligature des trompes. Trois méthodes existent : les clips, l’ablation partielle et l’ablation complète des trompes. 80 % du temps, c’est la troisième méthode qui est privilégiée, car elle diminue le risque de cancer de l’ovaire, très rare, mais redoutable. L’intervention se fait sous anesthésie générale. On accède aux trompes via trois petites incisions dans le ventre, que l’on gonfle ensuite d’air pour pouvoir opérer. C’est invisible, indolore, presque 100 % remboursé par la mutuelle et l’effet contraceptif est immédiat. Cela sans aucun impact hormonal (règles, poids, libido, peau, humeur…).

Un parcours de combattante

En Belgique, cette opération est accessible à toute personne de plus de 18 ans. Aucun délai de réflexion n’est imposé par la loi (il est de quatre mois en France). Néanmoins, chaque médecin est libre de la refuser en invoquant une « clause de conscience ». Il ou elle est alors tenu·e de référer à la patiente un confrère ou une consœur susceptible de procéder à l’intervention. Ça, c’est ce que dit la loi. Sur le terrain, les choses sont un peu plus compliquées.

Quand Fanny, alors âgée de 27 ans, expose son envie de se faire stériliser à sa gynécologue, c’est un non catégorique. « Elle m’a sorti le sermon classique “tu es trop jeune, ça va naître en toi” », explique-t-elle. « J’y étais préparée d’ailleurs. J’avais passé des mois sur des groupes Facebook de stérilisation volontaire où je lisais pas mal de témoignages de refus : “vous allez le regretter”,  “qu’en pense votre mère ? ”, “qu’en pense votre mec ?” » Sur ce groupe Facebook s’échangent aussi les noms de chirurgien·ne·s ouvert·e·s sur la question. « Beaucoup de gens expliquent se faire bloquer dès la prise de rendez-vous dans certains cabinets privés. L’avantage à l’hôpital, c’est qu’on ne te demande pas pourquoi tu viens. » Fanny prend son premier rendez-vous en août 2022 au service gynécologique du CHU Saint-Pierre, réputé pour être un des seuls à prendre en compte les demandes de femmes de moins de 30 ans à Bruxelles. Si son désir de non-maternité est pris au sérieux, elle passera néanmoins par un parcours de soin qui sera validé par un conseil d’éthique. Elle aura un rendez-vous avec une infirmière sociale – qui retracera son parcours contraceptif pour vérifier qu’aucune alternative n’a été négligée – et deux chez une psychologue. 

« Elle m’a demandé d’écrire la raison pour laquelle je ne voulais pas d’enfants », explique-t-elle. « Lors du deuxième rendez-vous, elle a lu le papier devant moi, c’était tellement confrontant de l’entendre dans la bouche de quelqu’un d’autre que j’ai pleuré. J’avais l’impression d’avoir écrit ce papier par obligation, avec beaucoup de colère. En réalité, c’était très doux et bienveillant vis-à-vis de moi-même. J’ai réalisé que je me respectais tellement en faisant ce choix. » Son dossier validé, elle se fait opérer quelques mois plus tard après avoir signé un formulaire de consentement au préalable. « Quand je me suis réveillée, je me suis sentie à la fois heureuse et soulagée. » 

Contrôler le corps des femmes

« Ce phénomène révèle l’attitude très paternaliste de certain·e·s médecins vis-à-vis du corps des femmes », explique Laurène Lévy, autrice du livre « Mes trompes, mon choix ! ». « Mais aussi une forme d’hypocrisie, notamment quand on pense aux stérilisations forcées des femmes réunionnaises dans les années 60-70 en France, pendant que celles de la métropole se battaient pour leur droit à la contraception. Il y a quelques mois à Mayotte, des jeunes femmes ont été invitées à se faire ligaturer les trompes pour contrôler la démographie. » Un contrôle du corps de la femme à géométrie variable dénoncé par la Ligue des droits humains. 

« Il est clairement plus facile pour un homme de demander une vasectomie », confirme le docteur Yannick Manigart, gynécologue-obstétricien et chef de clinique au CHU Saint-Pierre. En cause ? Notamment l’idée communément admise qu’une vasectomie est réversible, contrairement à la ligature des trompes. Or, la technique par occlusion tubaire (par clips) permet aux chirurgien·ne·s de réparer les trompes en supprimant la section bouchée. Les chances de réussite varient entre 40 et 85 %, en fonction de l’âge de la femme. La ligature complète des deux trompes est quant à elle irréversible, et nécessite de passer par la PMA.

« On n’en parle peu ou pas, car la stérilisation féminine est ultra-taboue, on le voit dans nos cercles privés comme dans nos réunions pluridisciplinaires. Ce sont des siècles de morale judéo-chrétienne à défaire. » Le gynécologue explique pourtant qu’une hausse des demandes a été observée depuis 2017. « Ce sont des femmes qui n’ont jamais ressenti le besoin d’avoir un enfant. Elles ont une peur terrible d’être enceintes, et une aversion profonde pour la grossesse. C’est rarement politique, mais plutôt quelque chose de profondément ancré en elles. »

5 à 7% de regrets

Pour répondre à leur demande, Saint-Pierre a donc mis un parcours de soins spécifique (les Cliniques universitaires Saint-Luc lui ont embrayé le pas). « Il permet surtout de nous rassurer, nous, soignant·e·s. Mais aussi d’accompagner dans le processus », explique le docteur. Un protocole parfois décrié par certaines associations féministes pour sa bienveillance autoritaire. Aucun procès n’a été intenté pour l’instant en Belgique, on en compte deux en France. « Pour chacun, il s’agissait d’un manque d’informations. On sait que, plus il y a d’explications, plus le taux de regret est minime. Plus on est jeune, plus celui-ci augmente. En revanche, le fait d’avoir déjà eu des enfants ne change rien, au contraire. » 

Les chiffres varient selon les études, mais on estime que le taux de regret tournerait autour de 5-7%**. « Un chiffre trop faible que pour servir de prétexte à un refus d’opérer », affirme Laurène Lévy qui rappelle le slogan « mon corps, mon choix », pour le meilleur et pour le pire. « La ligature des trompes est inscrite dans la loi. Si une jeune femme le regrette ensuite, ça ne regardera qu’elle. On considère qu’une femme jeune sans enfant ne sait pas ce qu’elle fait, mais qu’une femme jeune enceinte, c’est parfaitement normal. Pourtant, la décision est tout aussi définitive. » 

*D’après l’étude des Nations unies « World Contraceptive Us » de 2022.

**Une étude française rapporte que 5,5 % des femmes stérilisées expriment un sentiment de regret trois ans et demi après l’opération. Une étude des CDC, les autorités sanitaires étasuniennes, compte 7 % de regret à cinq ans pour les femmes stérilisées. Au Royaume-Uni, une troisième étude enregistre 4 % de regrets cinq à quinze ans après la stérilisation et 1,2 % d’opération d’inversion.

À LIRE AUSSI

La réduction mammaire : pourquoi cette chirurgie est-elle tabou ?