Ce qui me fascine chez Lous and The Yakuza, c’est qu’on ne sait jamais vraiment en définir les contours. Artiste plurielle, elle semble jongler avec les disciplines et s’amuser à brouiller les pistes. C’est la deuxième fois que je la rencontre et il me reste encore énormément de mystères à percer.
Lous and The Yakuza, un artiste qui nous inspire
Il y a un an, sortait ton dernier album, « Iota ». Que s’est-il passé depuis ?
Je suis tombée malade et je me suis concentrée sur ma santé. C’est seulement après que j’ai pu entamer ma tournée, en février (l’album était sorti en novembre 2022, NDLR). C’était génial ! Et puis, la tournée des festivals a commencé, c’est encore mieux, parce que le public est plus grand. J’ai pu vraiment voir que ma musique touchait les gens. Beaucoup de personnes viennent et ne savent pas du tout qui tu es, et c’est top de pouvoir défendre un album: on a une heure pour convaincre qu’on fait de la bonne musique (ou pas). « Iota » était tellement différent de mon premier opus et je suis déjà en train de travailler sur la suite. J’ai hâte.
À l’époque, tu avais déclaré dans nos pages « le succès, c’est super, mais l’amour n’est pas une carrière ». Tu évoquais notamment ton sentiment de solitude, source d’inspiration pour l’album, d’ailleurs. Où en es-tu aujourd’hui ?
Je pense que j’ai de meilleures relations avec mes proches, avec ma famille, mais c’est clair que la solitude reste inhérente à ce métier d’artiste. Et pour beaucoup plus de raisons que je ne le pensais. Ce que j’exprimais à l’époque, c’était que malgré tous les privilèges (vivre de son art en est un), j’avais l’impression que peu de gens de mon entourage pouvaient comprendre ce par quoi je passais, et ça, c’était un peu compliqué. Maintenant, je découvre une nouvelle forme de solitude que j’apprécie beaucoup plus. J’y trouve mes marques.
Tu te sens plus sereine ?
Oui et je me permets plus de choses aussi. Comme voyager. C’est d’ailleurs mon premier voyage au Japon, cette année, qui a changé ma perception de la vie. Je me suis dit : « C’est maintenant que je dois réaliser mes rêves ! Je ne veux pas attendre la Saint-Glinglin (rires). » Je peux vraiment apprécier la vie, ce que je ne faisais pas du tout pendant les cinq premières années de ma carrière.
Qu’est-ce qui a fait que tu as eu ce déclic au Japon ?
Depuis que je suis petite, j’ai cultivé ce rêve : j’aime énormément la culture japonaise, et en l’occurrence la japanimation et les mangas (une folle
passion !). Au début, c’était une question d’argent, puis c’est devenu une question de temps jusqu’à ce que je me fasse la réflexion « tu as créé l’argent, tu peux créer le temps, vas-y ». Ce voyage a changé ma perspective sur la vie entière. J’ai envie d’emménager là-bas, et il s’est passé plein de choses dans ma tête. C’est un pays très serein et, en même temps, avec une vie nocturne très
animée. J’ai adoré les gens. Je me suis très bien entendue avec tous les locaux, et vraiment, ça m’a motivée : j’ai envie d’entrer à l’université pour apprendre le japonais !
Carrément ! Quel est ton rapport avec les mangas ?
C’est une obsession, c’est tout. Toute ma SACEM (droits d’auteur, NDLR) va là-dedans (rires). Franchement, j’ai un budget scandaleux de manga par mois que je n’oserais même pas révéler. Ma collection contient 2.000 mangas.
Et tu as le temps de lire ?
Oui, tu es témoin, en marchant vers le lieu du shoot, je lis. Mais aussi dans les taxis, dans les bus, je passe ma vie à voyager et j’ai énormément de temps à tuer dans les transports.
Le manga, un univers qui m’est absolument inconnu. Quels sont tes auteurs préférés ?
Mon auteur préféré, c’est Naoki Urasawa. Il a écrit « Monster » et « 20th
Century Boys », des thrillers excellents. J’adore aussi Osamu Tezuka, le premier mangaka (auteur de mangas, NDLR) des années 50. Comme dans n’importe quel type de littérature, on retrouve tous les genres.
Je suis très contente de découvrir cette obsession que je ne soupçonnais pas. Il y a plein de choses dans ta vie à part la musique. Qu’est-ce qui t’occupe ?
Finalement, faire de la musique, c’est très peu de temps dans l’année. Je me consacre plus à l’art, en général. Cette année, j’ai fait une expo avec Sotheby’s, j’ai inauguré l’ouverture de l’immeuble Silversquare que j’ai imaginé à la gare du Nord, c’est un coworking de 7.000 m2. C’était une grosse affaire ! Quand j’ai été embauchée, en 2019, j’avais 27 ans. Je n’avais jamais rien designé de ma vie. C’était un challenge incroyable et je leur en serai toujours reconnaissante, car ils m’ont créé un nouveau pan de carrière. Et aujourd’hui, je
reçois des opportunités dans le design grâce à cela. Et c’est ça qui me permet de vivre en réalité. Si j’avais dû vivre sur mon premier album, je n’aurais pas fait long feu (rires) !
Donc tu as décidé de poursuivre dans le design ?
Oui, j’adore. La musique, le design, la peinture, c’est la même chose finalement, tu exprimes ce que tu ressens sauf que ça se matérialise physiquement.
Mais quel est ton objectif ? Être célèbre ? Devenir une star ?
Je veux devenir une légende, mais ce n’est pas un objectif en soi. Pour ça, je dois juste créer. Je ne pense pas que le but des grands artistes c’était de percer. Ils faisaient juste leur art, c’est leur art qui a parlé pour eux. C’est ça que j’aimerais.
Quel est, pour toi, le rôle que les artistes doivent jouer dans la société ?
Nous devons pousser au questionnement. Nous ne sommes pas tout le temps des activistes et on ne demande pas à tous les artistes de l’être, évidemment, mais je pense que nous avons tous quelque chose à dire, que ce soit social, politique, émotionnel, psychologique. L’artiste est là pour susciter une réaction: si tu crées et que personne ne ressent rien, tu ne fais pas de l’art.
J’ai envie de parler de mode un peu. Comment est-ce que tu décris ton style et comment a-t-il évolué ?
Aujourd’hui, je suis habillée en moine Shaolin (rires). Des vêtements très larges qui ressemblent un peu à des pagnes. Ou alors, l’extrême inverse, je porte aussi des vêtements très serrés, très courts, punk rock, un peu Vivienne Westwood, années 80-90. Ça, c’est vraiment ce que j’aime bien.
Est-ce que c’est une forme d’expression artistique également ?
Bien sûr. Pour moi, le matin, c’est une création ! Ce qui dérange d’ailleurs mon entourage (rires). Quand je dis « je vais me préparer, je vais prendre ma douche »,
les gens s’organisent à passer trois heures sans moi. Ça prend tellement de temps de construire ma personnalité de la journée.
Quelle est ta meilleure expérience dans le monde de la mode ?
La plus fun, c’était l’ouverture du défilé Louis Vuitton à San Diego, l’année passée. Maintenant, je comprends que c’est trop fou d’ouvrir un défilé, en fait ! Je n’avais pas tout de suite réalisé (rires). J’ai senti l’importance et aussi la fierté des gens qui participent à la création. Ils sont hyper contents que tu les représentes. Ça me fait du bien. La mode, c’est le seul domaine artistique où je suis juste une partie de la vision de quelqu’un d’autre.
Et toi qui aimes tout contrôler, tu es OK avec ça (rires) ?
Mais oui, dans ce monde d’hyper contrôle qui est le mien, oui, ça me plaît (rires). Mais ! Il y a un grand «mais ». Je le fais uniquement parce que j’aime Nicolas Ghesquière. Je respecte profondément son art.
Parle-nous de lui ! Il est comment ? Tu le connais bien ?
Oui. C’est un ange. C’est la seule raison pour laquelle je travaille avec Louis Vuitton. C’est lui qui m’a trouvée. À l’époque, je ne connaissais pas très bien cette industrie, je ne pensais qu’à la musique. J’avais été engagée pour faire la campagne de Louis Vuitton et c’est lui qui réalisait les photos. Je me suis mise à lui parler sans savoir qui il était ! C’est quelqu’un de super gentil, de très ouvert. Et je ne savais pas pourquoi il m’avait engagée, alors je lui ai posé la question : « C’est complètement ouf que tu m’as choisie comme égérie alors que j’avais deux jours de carrière ! » Il m’a répondu qu’il avait foi en l’artiste que j’allais devenir. Ça m’a beaucoup émue.
Du coup, comment vois-tu l’intersection entre la musique et la mode ?
Je la vois au quotidien. Dans les clips surtout, mais aussi dans les séances photo comme aujourd’hui, c’est toujours là. Dans un clip, on cherche l’idée du scénario et la première chose qu’on se dit, c’est « qu’est-ce qu’on va porter ? » On repère les lieux et les vêtements. Ils sont indispensables pour raconter l’histoire. Au début de ma carrière, la façon dont je me suis habillée dans mes clips a posé ma direction artistique. C’est ce qui m’a ouvert des portes. Clairement, si je m’étais habillée comme un sac, je ne pense pas que j’aurais eu les opportunités que j’ai aujourd’hui (rires) !
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