Elles sont brillantes, talentueuses, sûres de leurs choix et de leurs succès. Et pourtant, elles ne se sont jamais plongées dans leurs cahiers.
- Céline Aron, 35 ans, agent de DJ
« Fille unique, j’ai été élevée par un père psychiatre et une mère avocate dans un bled paumé de Wallonie. À l’école, c’était l’enfer. Pas de copains, pas de copines, j’étais toute seule. En secondaires, j’étais déjà trop grande, trop blonde, et trop mannequin pour fréquenter les gens de ma classe. Je n’avais que l’amour en tête. En quatrième, j’arrive péniblement aux Beaux-Arts de Namur. Pas parce que je veux être Andy Warhol, non : parce qu’un mec que je trouve beau a choisi cette voie-là. Je ne cadre pas avec la faune ambiante : pas de dreadlocks ni de pull crade, je passe mes week-ends en boîte techno au lieu de boire des bières au Vieux Marché, mon mec n’est pas joueur de djembé mais DJ…
Je triple ma cinquième, un exploit dans cette section, et finis aux Beaux-Arts de Bruxelles, sans trop savoir pourquoi. Là encore, choc des cultures : je vais peu aux cours, j’ai un job de présentatrice à la télé, je travaille en boîte et comme GO au Club Med. Bref : échec scolaire total. En 2000, folle amoureuse d’un producteur de musique, je plaque Bruxelles pour le rejoindre à Paris. Il ne veut pas que je travaille, et de toute façon, les seuls jobs que je trouve sont des contrats d’hôtesse au salon du fruit de mer ou de l’auto.
Heureusement, à l’époque, être Belge à Paris, c’était hype. L’entourage perso et pro de mon mec me trouve rafraîchissante. Au bout de cinq ans, l’histoire d’amour finit mal. Mes parents me rapatrient à Bruxelles. Je n’ai plus rien, je suis brisée, j’ai honte. Je ne sais pas ce que je vais faire de ma vie. C’est là que certains artistes rencontrés à Paris décident de m’aider et me proposent de gérer leur booking (NDLR : conclure les contrats entre les artistes et les scènes où ils se produisent, et faire le suivi de la prestation).
Je n’y connais rien, a priori, mais ces cinq années passées aux côtés d’un pro ont porté leurs fruits. J’ai entendu et retenu. Je décide de monter une société. Première embûche : je n’ai pas de diplôme de secondaire. Il me faut donc retourner aux cours du soir pour obtenir un diplôme de gestion. La tâche me semble insurmontable, d’autant que le soir, moi, je bosse : je suis en boîte, je suis les DJ que je booke, j’entretiens mon réseau. Je demande à mes parents de me faire confiance une dernière fois. Mon père accepte que ma boîte soit à son nom et me donne un peu de sous pour démarrer. Je sais qu’au fond, il n’y croit pas. Tout le monde, amis compris, est persuadé que mon appart-bureau sera le royaume de la glande. Je n’écoute pas, je fonce.
Tout se met en place tellement vite que je n’ai même pas le temps de réfléchir à un nom pour mon entreprise. En partant chez le notaire pour régler les formalités administratives, je tombe et m’étale dans mon appartement. Mon collègue s’exclame : ‘‘T’es vraiment trop blonde, Céline.’’ Déclic : ma boîte s’appellera ‘‘So Blonde Management’’. Mon carnet d’adresses, alimenté au fil des années de fête, devient mon bien le plus précieux. S’il est bourré de contacts d’artistes et de patrons de boîte, c’est parce que je n’ai pas fait d’études. Je n’aurais pas eu le temps de rencontrer ces gens si je m’étais concentrée sur mes cahiers.
Un jour, des clientes me demandent de booker Martin Solveig pour une soirée. Je ne le connais pas, j’y vais au culot. J’envoie un mail délirant. Son staff et lui me prennent pour une folle, mais ça éveille leur curiosité. Quand on se voit, Martin me dit : ‘‘T’es pas encore très douée, mais t’es drôle et sympa, alors on y va !’’ Cette rencontre, c’est ma bonne étoile. Ça a tout changé. Aujourd’hui, ma vie, c’est mon métier, et inversement. Je voyage tout le temps, j’investis dans des talents prometteurs. C’est très fatigant, mais je ne pourrais pas faire autre chose, ni le faire autrement. »