- Eugénie Rittweger de Moor, 31 ans, journaliste du ELLE Belgique et entrepreneur
« J’ai terminé mes études secondaires au ras des pâquerettes. Je négligeais purement et simplement les cours qui ne m’intéressaient pas. Je voulais devenir ‘‘nez’’, mais les études en parfumerie impliquaient de s’intéresser aux sciences. C’était inenvisageable. Mes parents étaient catastrophés mais ils m’ont donné la possibilité d’assouvir ma curiosité pour l’art, la photo, le cinéma. Quand j’ai décidé de ne pas aller à l’unif’, ils m’ont soutenue moralement mais pas financièrement. Ils ne voulaient pas que je devienne une fêtarde oisive ! J’ai accepté des boulots alimentaires pour financer mes passions : j’ai filé des coups de main sur des tournages, je suis devenue critique ciné et musique pour un magazine culturel, j’ai beaucoup appris en vivotant pendant deux ans.
Puis le ELLE Belgique a été lancé, et j’ai envoyé un CV complètement décousu à Béa Ercolini, avec en objet du mail : ‘‘Si vous ne me lisez pas, vous risquez de perdre quelque chose.’’ Elle m’a reçu, de manière informelle, et m’a posé des tas de questions sur mon parcours, sur mes références, mes envies. Je n’étais pas formée à la presse, donc je n’avais développé aucun tic, aucun automatisme. Je crois que c’est ce qui lui a plu. Elle m’a engagée comme stagiaire pour trois mois. J’étais assistante de rédaction, le poste idéal pour apprendre les rouages du métier. Mon stage a été prolongé de trois mois, rémunérés cette fois, puis j’ai été engagée comme iconographe, avec un vrai salaire, de junior bien sûr. J’avais 20 ans.
Après quelques années, j’ai commencé à m’impliquer de façon concrète dans les pages ‘‘mode’’ jusqu’à devenir, l’année dernière, fashion editor. Apprendre in situ, c’est la meilleure école, même si c’est plus difficile pour les nouvelles générations. On n’a plus le temps d’inculquer les fondamentaux aux stagiaires, et certains pensent que l’arrogance de la jeunesse est suffisante. C’est faux. Il faut pouvoir faire preuve d’un peu d’humilité.
Il m’arrive de ressentir encore le ‘‘complexe de l’autodidacte’’, ce sentiment qui pousse à se dépasser pour (se) prouver qu’on n’a rien à envier à celles et ceux qui ont fait des études. Quand j’avais 15 ans, mon prof de lettres a dit à ma mère : ‘‘Dans quinze ans, vous serez fière de votre fille. Elle a une volonté d’agir qui la fera aller plus loin et plus vite que les autres.’’ Cette phrase ne m’a jamais quittée. »