Il existe des régions dans lesquelles on dit que les gens oublient de mourir. Des repères où l’on vit centenaire. Des nids à vieux que l’on surnomme poétiquement « zones bleues », juste parce qu’un géographe aurait un jour eu l’idée de les entourer d’un crayon turquoise sur la carte. On les trouve en Sardaigne, au Japon, en Grèce ou encore au Costa Rica. Mais comment expliquer la longévité exceptionnelle de leurs habitant·e·s ?
Cela fait plus de vingt ans que ces anomalies géographiques sont étudiées par les chercheurs et chercheuses des quatre coins du globe. Pourtant, si elles font aujourd’hui l’actualité, c’est parce que Netflix vient d’y consacrer un docu intitulé « 100 ans de plénitude : le secret des zones bleues ». Dans cette mini-série en quatre épisodes, le journaliste américain Dan Buettner nous emmène au sommet des montagnes escarpées d’Ogliastra en Sardaigne, sur l’île d’Okinawa au Japon ou d’Ikaria en Grèce, mais aussi au détour de la Péninsule de Nicoya au Costa Rica.
Des « terres d’immortel·le·s »
Il en existe sans doute bien d’autres. En Belgique, le démographe spécialiste de la longévité Michel Poulain est l’un des premiers à s’être penché sur le sujet en 1999. Ce véritable chasseur à supercentenaires vient d’ajouter la Martinique à la short-list. Le défi ? Prouver la validité de ces âges exceptionnels. Sur le banc des recalés, on citera la Barbade, l’île de Rodrigues, Cuba, ou encore le parc des Madonies, en Sicile, et le village d’Acciaroli, dans le sud de l’Italie. Mais pourquoi ces mensonges à la Jeanne Calment ? Pour éviter un service militaire, toucher une retraite précoce, encourager le tourisme local ou bénéficier de la considération accordée aux centenaires. Parfois, les registres d’état civil ont tout simplement été perdus ou falsifiés par erreur ou par négligence.
Mais lorsqu’elles sont attestées, comment expliquer ces « terres d’immortel·le·s », où le taux de diabète, d’obésité, de maladies cardiaques et de démence est plus bas que partout ailleurs ? « Sûrement pas grâce à des régimes drastiques, des abonnements aux salles de sport et des compléments alimentaires hors de prix. »
Les 5 façons de vivre jusqu’à 100 ans
« Vous avez une probabilité de 50 % supérieure d’atteindre cent ans si vous êtes né à la Martinique plutôt qu’en Belgique », estime Michel Poulain. Mais quel est leur secret ? Cinq grands axes se dessinent. D’abord, les gènes, qui seraient responsables à environ 25 % de notre espérance de vie. « Au-delà de l’aspect purement génétique, il y a parallèlement une composante familiale. On acquiert les mêmes habitudes, on mange les mêmes choses », tempère Michel Poulain.
L’alimentation d’ailleurs, souvent présentée comme le secret n°1, n’occuperait que 15 % de la formule de longévité. Dans les zones bleues, le régime alimentaire est principalement végétal. Ce qui ne signifie pas qu’il faille se priver de viande, mais privilégier les légumineuses, les céréales complètes, les tubercules comme les patates douces et les fruits à coque. Les haricots secs apparaissent comme de véritables incontournables pour les habitant·e·s d’Ikaria en Grèce. Les vins sont locaux, naturels, sans une once de produits chimiques dans leur composition. Finalement, la modération est de mise. L’art de la table est un plaisir qui s’apprécie en prenant son temps, pour mieux ressentir la satiété.
Le troisième pilier ? Bouger naturellement, sans faire nécessairement de sport. Grâce aux progrès technologiques, nous avons délégué la plupart de nos activités physiques aux machines. Résultat : on estime que la chute, causée par la perte de tonus et d’équilibre, est l’une des principales causes de décès chez les personnes de 65 ans et plus. En Sardaigne, un lien direct entre escarpement du village et longévité a pourtant été observé. À Ogliastra, beaucoup de gens sont croyants et arpentent des rues quasiment à la verticale pour atteindre l’église située au sommet du village. La plupart de leurs maisons sont elles-mêmes bâties sur trois ou quatre niveaux, et ça ne pose de problème à quiconque.
Il s’agit ensuite d’être bien entouré (50 %). La Croix- Rouge estimait qu’en 2020, la Belgique comptait un million de personnes âgées souffrant de solitude. Elle va même jusqu’à qualifier l’exclusion sociale comme la « crise socio-humanitaire du XXIe siècle en Europe ». On estime en moyenne qu’une personne perd deux à six années d’espérance de vie quand elle rentre en maison de retraite. À Okinawa, les anciens s’occupent des plus jeunes pour qu’ils leur rendent la pareille en grandissant. Des groupes de soutien social appelé moaï se sont d’ailleurs développés.
Finalement, comment continuer à trouver du sens dans ce que l’on fait au quotidien quand on vieillit ? C’est le dernier grand pilier : l’état d’esprit. Au Japon, on parle d’« Ikigaï », au Costa Rica de « Pura Vida ». Il s’agit d’un objectif personnel que l’on se fixe, d’une raison d’être, qui nous empêche de dépérir. On garde son esprit engagé et on ne s’arrête pas forcément de travailler à 65 ans. On change simplement de rythme. Le bénévolat et la foi sont deux piliers puissants, mais sous-estimés. Les bénévoles seraient plus heureux que les autres selon une étude suisse parue dans le « Journal of Occupational and Environmental Medicine ».
La Belgique, un jour zone bleue ?
Au vu du vieillissement progressif de la population, la question est d’autant plus prégnante. Est-il possible d’exporter un tel mode de vie chez nous ? Faut-il forcément se nicher dans des lieux isolés, préservés des forces corrosives de la mondialisation ? Pas forcément. L’exemple de Singapour, nation-état urbanisée, est sans doute le plus parlant.
Là-bas, les aliments les plus abordables tournent autour des légumineuses et des céréales complètes, les infrastructures ne sont plus organisées autour des voitures, mais des humains, les espaces publics sont conçus pour encourager le lien social et des primes de proximité sont proposées aux habitant·e·s pour les inciter à vivre à côté de leur famille. Deux leviers puissants sont soulevés : la législation, et des arguments économiques. Le challenge ? Créer cette cohésion entre les pouvoirs publics et les individus pour construire progressivement un meilleur cadre de vie. Car les grands piliers des zones bleues, qui nous aident à vivre plus vieux, sont surtout les petites choses qui font que la vie mérite d’être vécue. Il s’agit finalement moins de conjurer la mort que de façonner une longévité joyeuse.
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