Lou l’égérie et l’objet de collection se répondent en rondeurs des sentiments, s’accordent dans la mesure des minutes qu’elles consacrent à une poésie métronomée. L’hiver dernier, l’artiste est remontée sur scène pour un hommage à la Baignoire, bijou intemporel gravé dans son histoire.  

« Il y a quelques années, un journaliste qui me connaît très bien avait décortiqué mes chansons, et m’a fait prendre conscience qu’elles parlent presque toutes de la fuite du temps. » Sa sensibilité la tourne vers la valeur des heures, ses souvenirs la relient à des montres Cartier qui ont compté, le temps qui passait aux poignets d’êtres aimés. « Je vois encore mon père ouvrir et fermer le bracelet de cuir de sa montre, la reposer. J’en observais le mécanisme, je m’amusais à le faire et à le défaire. Ce sont des objets qui bougent. C’est très particulier à la Maison Cartier de concevoir des mouvements si vivants. Ces bijoux sont des forces que l’on prend et que l’on s’attache. Pour ça, je suis restée dans une vraie foi, c’est peut-être le seul endroit où j’en ai (rires). J’aime porter ce qui appartient aux gens que j’aime, et transporter avec moi leurs histoires. » 

Avec son ovale réinterprété en profondeur symbolique, la montre Baignoire s’inscrit depuis 1973 au cœur de multiples variations. Une infinité de possibles auxquels Cartier donne forme, pour une montre iconique qui ne ressemble chaque fois qu’à elle-même. Glace bombée, pureté des lignes, cadran frappé de chiffres romains et bordé d’un ruban d’or lisse : c’est un accessoire précieux, essentiel. Pour ses 18 ans, Jane Birkin, la mère de Lou Doillon, lui avait offert une Baignoire, qu’elle a troquée un moment pour une Tank : « C’est une histoire de famille. Cartier incarne une forme de “sobre élégance”, quelque chose qu’on garde pour soi. » La jeune femme tourne généralement le cadran de sa montre vers l’intérieur de son poignet, « pour vérifier l’heure discrètement, aussi ». 

lou doillon

Quel est votre rapport à la montre ? 

J’aime depuis toujours l’objet et la fonction, comme pour la plume et le
papier. Je tiens encore un journal, j’ai des stylos dans mon sac. Le téléphone, que j’ai tendance à ne pas décrocher après 21 h et le week-end, ne me renseigne pas vraiment sur le temps qui passe. J’adore les montres, qui selon leur taille, ou la façon dont on les porte, témoignent de nos habitudes. J’aime beaucoup mon téléphone, mais je suis très contente de pouvoir l’abandonner de temps en temps ou l’oublier dans une pièce. En revanche, pour moi, la montre reste essentielle. On voit que je suis née dans les années 80 et pas dans les années 2000 (rires). Il y a des horloges dans presque chaque pièce de ma maison. Des radios aussi, d’ailleurs.  

Il y a aussi des rituels et des gestes liés au fait de porter une montre… 

Je pose toujours mon journal à côté du livre que je suis en train de lire, et sur lequel je dépose mes bagues et ma montre. J’aime l’avoir sur moi, j’aime la déposer à un endroit précis, dans la coupelle de la salle de bains ou dans celle à côté du lit. Je suis attachée aux endroits où ces objets symboliques se posent. L’avantage de la Baignoire, c’est qu’elle définit un temps rond, un temps doux, un temps sans angles. J’ai longtemps porté une Tank de Cartier, elle était très confortable et il fallait faire attention de l’enlever avant de faire la vaisselle ou de donner le bain aux enfants. J’aime autant voir les montres vivre que les
retrouver près de l’évier, ou posées sur le bureau quand je dessine.

lou doillon

Quel est votre rapport au temps qui passe ? 

C’est mon plus grand vertige, mais il n’est paradoxalement pas relié à une temporalité, ni des gens ni de moi-même. Ça ne me ravit pas de me dire que dans 40 ou 50 ans, je ne serai plus là, mais ça ne m’inquiète pas dans ce sens-là, je m’en suis rendu compte plus tard. Je me souviens de ma toute première crise d’angoisse, je devais avoir six ans, quand on m’a appris à lire l’heure. Je me suis effondrée en me disant il ne sera plus jamais 10h14 ce même jour de cette année. La violence de cette chose-là, qui n’est pas associée à des personnes en particulier, cette idée du temps qui passe inéluctablement fonde probablement la raison pour laquelle je fais des choses, et celle pour laquelle je pense
toujours systématiquement que je n’en fais pas assez. Je me bats en permanence contre ce temps-là. Un temps pas très clair dans ma tête, sachant qu’en plus il y a l’ambivalence que je suis quelqu’un qui aime énormément prendre mon temps. Je passe mon temps à établir mon planning pour le jour d’après, le suivant et ainsi de suite. À faire des listes, des listes, des listes. Ma peur se joue exactement là, et en même temps, c’est grâce à elle que je travaille le plus. Et c’est peut-être pour ça aussi que j’ai eu tant plaisir à faire des enfants parce que là, c’est le temps qui passe de la manière la plus jolie du monde. L’évolution est essentielle, et c’est une façon de rester présente aussi. Je travaille beaucoup sur la récurrence, sur ce qui part, ce qui revient. Les choses cycliques sont celles qui me plaisent le plus. Mes chansons ressemblent à des ritournelles, avec des accords qui reviennent systématiquement.

La démarche artistique conduit aussi à laisser une empreinte…

On oscille entre la tentation de marquer son territoire et celle de marquer son temps. Et les enfants permettent d’accepter celui qui passe, parce que, heureusement, à un moment donné, on est content de les voir commencer à marcher, avoir des amis, quitter la maison. J’en ai un de 21 ans, un autre âgé d’un an, donc je recommence un cycle. Je trouve ça heureux qu’en toute chose, face à la peur, face à la peine, le temps travaille pour nous. Il y a un temps pour tout, un temps pour être là, un temps pour être jeune, un temps pour l’être moins, il y a un temps pour partir, et ils sont importants, ces temps-là. Parce qu’il y a aussi le temps que le corps et le cœur prennent à s’en remettre. Je trouve ça assez équilibré, cette histoire. Ce qui est intéressant avec le temps mesuré, c’est qu’on l’a inventé. Il passait de toute façon.  

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