Le chiffre est pour le moins ahurissant : 70 % des nations mondiales n’ont jamais été dirigées par une femme. Qui occupe les plus hautes fonctions aux États-Unis, en Italie, au Japon ou en Afrique du Sud, par exemple ? Des hommes et uniquement des hommes… jusqu’à présent. Nous nous sommes intéressé·e·s à quelques représentantes de ces rares femmes qui ont eu le privilège de prendre les « rênes » tant convoitées et qui sont ainsi entrées dans l’histoire en tant que pionnières en politique. Si elles ont été élues démocratiquement, cela ne les a pas dispensées de se heurter à des plafonds de verre et à de nombreux préjugés. Pourtant, pour notre génération ainsi que pour les futurs acteurs du monde politique, leur impact est considérable. Nous vous invitons donc à les découvrir… Mais surtout à faire passer le message. Pour que nous puissions élever nos filles de manière à ce qu’elles suivent leurs traces.

En deuil : Sirimavo Bandaranaike, Sri Lanka, 1960 

Des opposants ? Siriminavo n’en a connu que trop. Solomon, son époux, était le Premier ministre du Sri Lanka tout juste décolonisé où la minorité tamoule était déjà très active. En 1959, Solomon est abattu à son domicile. Son parti demande alors à Sirimavo de se présenter aux élections et de prendre sa place. Après une longue hésitation, elle accepte la nomination. La presse la surnomme alors « The weeping widow » (La veuve en pleurs, NDLR) car, accablée de chagrin, elle éclate régulièrement en sanglots lors de la campagne. L’opposition proteste et la stigmatise en évoquant les menstruations : le siège de la Première ministre devra être nettoyé une fois par mois. Sirimavo préfère ignorer les quolibets et remporte le scrutin haut la main. Elle devient ainsi la première femme Première ministre au monde et restera active en politique pendant quatre décennies. On lui doit un Sri Lanka plus social, avec le cinghalais comme langue nationale officielle. Oh, et aussi sa fille, Chandrika, qui a suivi les traces de sa mère et fut élue présidente du Sri Lanka en 1994.  

Une double amputation : Safak Pavey, Turquie, 2011 

Alors étudiante et âgée de 19 ans, Safak est victime d’un terrible accident. En voulant aider un ami à embarquer, elle chute entre le quai et le train alors que celui-ci se remet en marche. Elle y laisse un bras et une jambe. Au terme d’une longue rééducation, elle fait le triste constat qu’Istanbul n’est pas adaptée aux fauteuils roulants. Déterminée, elle choisit Londres pour poursuivre ses études. « Être handicapée ne veut pas dire que je ne dois rien faire », se dit-elle. Safak travaille pour les Nations unies et participe à des missions d’aide humanitaire. En 2011, elle se présente au Parlement turc. La liberté d’expression et les droits des minorités sont menacés. En 2017, elle est contrainte de démissionner pour des raisons de santé, non sans avoir transmis sa vision : « Dans le monde politique (turc), les femmes sont parfois intimidées par le comportement agressif des hommes. Ce n’est pas mon cas, car je connais les normes internationales et je reconnais qu’elles valent la peine d’être défendues. » 

©Emmy Lupin

L’élection d’une femme musulmane, Peri-Khan Sofieva, Géorgie, 1918 

Flash-back au temps de l’Empire russe, aux alentours de 1884. De Peri-Khan, on ne sait que très peu de choses, pas même sa date de naissance. La seule trace qu’on ait d’elle est sa signature sur la liste des élus régionaux de la nouvelle république géorgienne, créée après la chute de l’empire tsariste en 1918. Elle devient ainsi la première femme musulmane élue au monde, dans un pays qui s’emploie d’emblée à organiser des élections démocratiques, à défendre les droits des femmes et à adopter des lois antidiscriminatoires. Mal-heureusement, l’invasion soviétique du pays survient trois ans plus tard et la Géorgie dis-paraît dans les griffes de Staline. Peri-Khan reste une figure de proue active dans sa région et s’occupe des enfants de ses frères, qui n’ont pas survécu aux purges de Staline. C’est un fait certain : Sofieva force l’admiration. 

©Emmy Lupin

Une Reine : Ella Koblo Gulama, Sierra Leone, 1963 

Il s’agit ici de la fille du chef suprême de la chefferie Kaiyamba, qui devint ensuite l’épouse du chef suprême de la chefferie Masimera. À la mort de son père en 1951, 16 candidats sont prêts à prendre la succession et Ella est la seule femme parmi ceux-ci. L’élection des chefs de tribu lui rapporte 60 % des voix. Elle doit alors passer par la Chambre des communes du Royaume-Uni pour demander l’autorisation de gouverner en tant que femme. C’est possible, moyennant un nouveau scrutin (auquel elle obtient 74 % des voix). La Reine Ella, ou « Madame Ella » comme disent les Sierra-Léonais, devient ainsi la première femme à régner sur le royaume. En 1963, après la déclaration d’indépendance, elle est élue première femme ministre en Afrique de l’Ouest. Vive la Reine !

Le drapeau arc-en-ciel : Jóhanna Sigurðardóttir, Islande, 2009 

« Une femme de chiffres », voilà qui définit bien Jóhanna, ou « Sainte Jóhanna », comme l’appellent les Islandais. Après la démission du Premier ministre Geir Haarde, lors du krach boursier de 2009, elle hérite d’une catastrophe économique. Elle licencie alors les PDG de trois banques, les remplace partiellement par des femmes et nationalise les institutions financières en faillite. Ce « Women’s Takeover » (prise de pouvoir par les femmes, NDLR), avec l’égalité des sexes au sein du cabinet, stimule une reprise économique rapide et hisse l’Islande en tête du classement mondial de l’indice d’écart entre les sexes. Le mariage homosexuel est légalisé en 2010. Jóhanna et sa femme Jonina figurent parmi les premières à se dire « oui ». 

©Emmy Lupin

À la croisée des genres : Georgina Beyer, Nouvelle-Zélande, 1999 

Bon, par où commencer ? Par le commencement. Georgina voit le jour en 1957 et est enregistrée en tant qu’individu de genre masculin. Descendante des Maoris, elle se retrouve, en tant que membre de la communauté LGBTQ+, en marge de la société : elle se prostitue et est exploitée. En 1984, elle entame sa transformation et embrasse une carrière d’actrice, d’animatrice radio et de militante pour les droits de l’enfant. En tant que femme transgenre, elle a brisé de nombreux
plafonds de verre : elle a été la première Maorie élue à la mairie, la première maire transgenre au monde (1995) et la toute première députée transgenre au monde (1999). Elle défend les droits des travailleurs du sexe et de la communauté LGBTQ+. Et malgré toutes ses attributions, elle a encore trouvé le temps de participer à « Danse avec les stars ». Et la Nouvelle-Zélande continue d’inspirer : Jacinda Ardern a été la plus jeune Première ministre de l’histoire de la Nouvelle-Zélande, prenant six semaines de congé de maternité pendant son mandat. Seule la Pakistanaise Benazir Bhutto a fait de même. Ardern a été reconnue pour sa gestion de la crise de la corruption et son investissement dans le bien-être de la population. En 2023, elle a démissionné pour passer plus de temps avec sa famille. 

©Emmy Lupin

Un rêve africain : Ellen Johnson Sirleaf, Libye, 2005 

« J’ai toujours cru en mon propre potentiel », déclare Ellen Johnson Sirleaf. Elle a survécu à son ex-mari violent, au coup d’État du dictateur militaire Samual Doe, à l’emprisonnement et à l’exil aux États-Unis. Après la guerre civile sanglante, elle retrouve la Libye en 2003 afin de superviser les premières élections démocratiques du pays. En 2005, elle se présente à l’élection présidentielle et devient la première femme cheffe d’État d’Afrique. La Libye est alors en mauvaise posture. Ellen assouplit les embargos commerciaux et rembourse la dette nationale. Elle met en place un enseignement primaire gratuit et crée une université nationale. Sur sa cheminée ? Le prix Nobel de la paix 2011. 

©Emmy Lupin

Une présidence par intérim : Sviatlana Tsikhanouskaïa, Belarus, 2020  

Enseignante de formation, femme au foyer de profession, Sviatlana fait l’école à domicile à son fils sourd. Nous sommes en 2020, époque à laquelle le président biélorusse Lukashenko considère les mesures de lutte contre la propagation du coronavirus comme des « tracasseries excessives ». Blogueur populaire, le mari de Sviatlana fait écho de la frustration des citoyens. Lorsqu’il annonce vouloir être candidat à la présidence, il disparaît soudainement derrière les barreaux. Pour protester contre son emprisonnement, Sviatlana se porte candidate. Sa grande popularité et ses excellents discours font de l’ombre au régime. Elle fait l’objet de menaces, mais sa détermination ne faiblit pas. Le jour des élections, Loukachenko obtient 80 % des suffrages. Des manifestations éclatent tandis que Sviatlana refuse de reconnaître le résultat du scrutin, puis elle est contrainte à l’exil en Lituanie. Aujourd’hui encore, elle parcourt le monde en tant que présidente nationale élue, faisant campagne pour une Biélorussie libre. 

Hall of Fame politique

– Sophie Wilmès : première femme Première ministre de Belgique (2019-2020). Elle a guidé notre pays à travers la crise du coronavirus. 

Margaret Thatcher : première femme Première ministre du Royaume-Uni (1979), connue pour sa politique ferme et son apparence déterminée. Son sac à main était un symbole de féminité au milieu d’un gouvernement exclusivement masculin. 

– Shirley Chisholm : première femme afro-américaine élue au Congrès des États-Unis (1968). En 1972, elle a lutté pour obtenir une nomination en tant que candidate à la présidence. Elle estimait que l’époque des « hommes blancs » était révolue. 

– Benazir Bhutto : à l’âge de 35 ans, en 1988, elle est devenue la plus jeune femme Première ministre de tous les temps (Pakistan). Elle s’est battue contre la faim et s’est engagée en faveur de meilleurs logements et de soins de santé. Elle est décédée en 2007 à la suite d’un attentat. 

– Angela Merkel : pendant quatre mandats (à partir de 2005), Merkel était la « Mutti » de l’Allemagne et de l’Europe. Son approche pragmatique de la crise économique de 2008 et de la crise des réfugiés en 2011 a fait d’elle une grande dame. 

Mais aussi…

– Kamala Harris : première femme vice-présidente des États-Unis. Avec ses racines jamaïcaines et indiennes, elle brise plafond de verre après plafond de verre. 

– Sanna Marin : la plus jeune femme Première ministre de Finlande, avec un impressionnant parcours. Elle a bien géré la crise du coronavirus, condamné l’invasion de l’Ukraine et a orienté la Finlande vers l’Otan. 

– Yulia Tymoshenko : première femme Première ministre de l’Ukraine (2005), reconnaissable à ses nattes caractéristiques. Elle a perdu face au candidat Zelensky en 2019, mais elle le soutient dans la lutte contre la Russie. 

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