La thérapie par les tattoos : quand la peau raconte des histoires

Mis à jour le 15 avril 2024 par Maya Toebat et ELLE Belgique Photos: Carmen De Vos
La thérapie par les tattoos : quand la peau raconte des histoires © Carmen De Vos

Cela fait maintenant bien longtemps que les tatouages ne sont plus l’apanage des marins virils. De plus en plus présents, ils sont le reflet des souvenirs, tantôt précieux, tantôt plus douloureux, de celles et ceux sur qui ils s’affichent. Quel regard portent les tatoueurs et tatoueuses sur leurs propres tattoos et quelles leçons de vie sont à tirer de leur profession ?

Amber Craeye - Kraey

Tattoo thérapie
Kraey

« Avant, j’étais dingue de piercings. J’en avais plus qu’il n’en fallait, mais j’étais grisée par la pose de chaque nouveau bijou. La douleur me procurait un tel choc que j’étais proche de l’évanouissement. J’ai alors cherché à me démarquer différemment et c’est ainsi que le tatouage s’est imposé, assez logiquement. À l’âge de 18 ans, j’ai donc poussé la porte d’un salon de tatouage brugeois sans rendez-vous et y ai fait encrer un triangle au bas de ma jambe. Comme on m’interrogeait très régulièrement sur sa signification – alors qu’il n’y en avait pas – je l’ai fait transformer plus tard en maison. Cela suscite apparemment beaucoup moins de questions. »

« La plupart de mes tattoos n’ont aucune valeur symbolique. Je dirais d’ailleurs que, souvent, je ne choisis le dessin que le jour même. La cruche sur mon bras est l’un des seuls tatouages ayant une histoire : elle représente une œuvre en argile que j’ai trouvée un jour dans la maison de mon grand-père, c’est donc un souvenir de lui. Ce tatouage a été réalisé par mon ex pendant la période où j’ai moi-même commencé à tatouer. J’ai étudié l’illustration et, avec quelques amis d’école, nous nous entraînions les uns sur les autres. Ce métier me convient davantage que celui d’illustratrice : les gens viennent désormais me voir pour mes propres dessins et, en tant que tatoueuse, je n’ai pas non plus à travailler sur commande. »

« Je propose donc principalement des tatouages flash (illustrations prédessinées, NDLR) et non des créations personnalisées. C’est d’ailleurs peut-être pour cela qu’on n’a pas l’occasion d’entendre des discussions profondes sur certains traumatismes dans mon studio. Je ne me considère pas du tout comme une thérapeute. Pourtant, nous discutons beaucoup, car je serais mal à l’aise de travailler des heures durant dans le silence absolu. Toutefois, même si j’apprécie ces échanges, ils n’en sont pas moins socialement épuisants par moment : il faut en effet mettre le ou la client·e à l’aise, vérifier régulièrement si tout va bien et instaurer un cadre de confiance où tout peut être dit. »

« Même si vous ne traversez pas de fortes émotions, le tatouage contribue à augmenter votre confiance en vous. Quand vous affichez un beau tatouage sur une partie de votre corps, vous vous souciez en effet moins de la graisse ou des cicatrices. Pour tout vous dire, je n’aimais pas beaucoup mon dos auparavant et, grâce à mes tatouages, je me sens désormais beaucoup plus belle. On pourrait donc bel et bien dire que les tatouages fonctionnent comme une thérapie, ou plutôt comme une autothérapie, dirons-nous. Un tatouage contribue à raviver le corps. C’est un cadeau que vous vous faites. »  @kraeykraeykraeykraey

« Je ne me considère pas du tout comme une thérapeute »

Emmanuelle De Nazareth

Tattoos - Emmanuelle De Nazareth
Emmanuelle De Nazareth

« Le jour de mes 18 ans, je déambulais dans Stockholm où je faisais un stage dans le cadre de mon cours de mode à La Cambre. Cela faisait des années que je suivais les blogs de tatoueurs, mais là, seule dans un nouveau pays, je me sentais prête à franchir le pas. Pour ce premier tatouage, mon choix s’est porté sur une plume dans un style dont je ne suis plus très fan aujourd’hui, et ce même si les tattoos qui ont suivi ont principalement pour thème la faune et la flore. Je les considère comme une amulette que je porte toujours sur moi pour me porter chance et me protéger. J’ai aussi un serpent, qui symbolise le passage de l’enfance à l’âge adulte, et un perce-neige qui me rappelle le jardin de mes grands-parents où j’ai passé beaucoup de temps quand j’étais petite. »

« Tous mes tattoos ont une signification. J’essaie ainsi de transformer mes expériences douloureuses en intentions positives. J’ai notamment choisi de me faire tatouer un oiseau sur le haut du bras à un moment où j’avais beaucoup de crises d’angoisse. Je venais de décrocher mon diplôme, le rythme scolaire était retombé d’un coup et j’ai alors seulement réalisé que je m’étais tuée à la tâche pendant mes études. C’était à peine si j’arrivais à prendre une douche et à aller au supermarché. L’oiseau représente la liberté. À l’époque, ce sentiment n’était encore qu’un rêve, mais plus tard, j’ai commencé à l’incarner : j’avais toujours la possibilité de prendre mon envol dans toutes les directions. »

« Le plus souvent, je dessine des tatouages d’inspiration mythologique adaptés à l’histoire personnelle de celle ou celui qui le portera. Il s’agit de compositions reprenant divers détails, chacun symbolisant quelque chose. Cela aboutit fréquemment à une double lecture : la vue d’ensemble ne permet généralement pas aux autres de déduire la signification du tatouage, mais pour celle ou celui qui le porte, chaque partie est significative. Comme les tatouages représentent habituellement un souvenir ou une émotion, chaque séance débouche sur des conversations assez profondes. C’est un peu comme une visite chez un·e psychologue : cela offre un cadre à la fois intime et rassurant, permettant de se laisser aller à certaines discussions plus personnelles, que l’on n’aborderait pas forcément ailleurs. Il arrive que des client·e·s verbalisent certaines choses pour la première fois, et s’ouvrent ainsi au sujet d’un abus ou de graves problèmes de santé, par exemple. »

« Étant de nature très emphatique, je ressens fortement les émotions que ces échanges peuvent véhiculer. C’est pourquoi je danse beaucoup, afin de me délester du poids de ces confessions. Il faut fixer ses propres limites. Au cours des séances – qui durent parfois plusieurs heures –, un lien se crée, si bien que les client·e·s me considèrent parfois comme une amie et me donnent ensuite de leurs nouvelles. J’essaie alors de prendre mes distances, petit à petit. Mais bien entendu, je suis toujours contente de les voir revenir, que ce soit eux ou leurs proches. Je reste aussi profondément marquée par le souvenir de ce garçon, venu se faire tatouer, et qui s’est donné la mort quelque temps après. Ses amis se sont ensuite tournés vers moi pour faire le même tatouage. C’était leur façon de vivre la même expérience que lui, dans le même fauteuil, dans la même douleur. »

« La douleur peut donc aussi avoir un effet curatif. En temps normal, il est impossible de contrôler la douleur, mais pendant un tatouage, la douleur s’inscrit dans un choix conscient et peut donc être stoppée à tout moment. Le tatouage permet encore de prendre le contrôle d’un souvenir ou de son corps. Il offre la possibilité de transformer des sentiments d’impuissance, de tristesse, de colère ou d’incertitude en quelque chose de positif. Parfois, j’ai l’impression d’être une fée : j’aide les gens à s’aider eux-mêmes. »

« J’aide les gens à s’aider eux-mêmes »

Max Bertré - Pvur

Tattoos
Pvur

« De mon point de vue, les tattoos sont beaucoup plus esthétiques que symboliques. J’ai moi-même étudié le graphisme et cela m’a bien entendu aidé à développer mon propre style, avec des tatouages plutôt surréalistes. Dans mes compositions, j’aime réunir des éléments assez discordants, au premier abord, comme une lune en pleurs dans un paysage de montagne. »

« Quand je me fais tatouer, ce n’est donc pas pour témoigner de quelque chose en particulier. Ce n’est que plus tard que mon tatouage prend une certaine signification en devenant une sorte de capsule temporelle. Pour tout vous dire, j’ai passé deux ans de ma vie au Canada, et la veille de mon vol de retour, je me suis fait tatouer une panthère. Aujourd’hui, quand je la regarde, je repense à la personne que j’étais au Canada. C’est un peu comme un album de musique : au début, il vous semble magnifique et des années plus tard, il vous fait faire un bond dans le temps. »

 

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« Ce qui est chouette avec les tattoos, c’est qu’ils s’apparentent à des œuvres graphiques, mais avec un aspect social. Les gens vous font confiance pour changer leur peau à jamais. Le tatouage est donc bien plus qu’un produit, il crée une certaine proximité et un échange. Comme la plupart des gens viennent chez moi pour mon style visuel, ces échanges ne portent pas sur la signification du tatouage, mais plutôt sur le travail, les intérêts, les relations... Mais cela n’exclut toutefois pas que certaines discussions abordent des sujets délicats. Le mois dernier, par exemple, une personne m’a fait part de tous les moments difficiles qu’elle avait déjà traversés au cours de son existence. Cela n’avait pourtant rien à voir avec son projet d’encrage, mais ces confidences émanent du fait qu’il y a beaucoup de confiance dans un salon de tatouage. Vous êtes allongé·e, sans contact visuel. Il y a alors une libération d’endorphines qui vous amène à confier votre histoire à quelqu’un qui est totalement étranger à celle-ci. »

« Toutes ces rencontres me font davantage prendre conscience que chacun·e est porteur ou porteuse d’une histoire. Nous avons tous nos problèmes, que nous tentons souvent de garder pour nous. J’ai d’ailleurs eu récemment une longue séance avec une personne qui ne m’a dit qu’au bout de 15 heures qu’elle était toxicomane. Je ne l’avais pas du tout vu venir. Quand vous voyez une personne, vous ne savez pas ce qu’elle cache à l’intérieur. Cette prise de conscience m’a poussé à faire beaucoup plus attention à ce que je dis. »

« Les gens vous font confiance pour changer leur peau à jamais »

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