Tout le monde sait que, pour soigner le burn-out, couper son téléphone et prendre deux semaines de vacances ne suffit pas. Loin des prescriptions traditionnelles, certain·e·s préconisent plutôt des « soins verts ». Une thérapie singulière qui fait ses preuves chez nous comme à l’étranger.

500.000. C’est le nombre de personnes en incapacité de travail longue durée en Belgique selon l’INAMI. Parmi elles, près d’un quart (118.000 personnes) souffrent de burn-out et/ou de dépression. Le Bureau fédéral du Plan (BFP) estime que dans une dizaine d’années, ce chiffre aura augmenté de 20 % pour grimper jusqu’à 600.000 personnes. À moins qu’une politique volontariste ne vienne changer la donne… Et l’argument financier n’est sûrement pas à négliger pour inciter le gouvernement à agir.

Car le burn-out coûte cher à l’État. En 2022, l’OCDE estimait le montant des problèmes liés à la santé mentale à 5 % du PIB belge. Le burn-out a coûté à lui seul plus de 1,6 milliard d’euros à l’INAMI, soit une augmentation de plus de 47 % depuis 2016. 

Une thérapie par la nature

Pour alléger le budget de la sécurité sociale, il faudrait d’abord revoir notre système capitaliste et sa course effrénée à la performance et à la productivité. Mais puisque le ver est dans le fruit, on tentera pour le moment de soigner comme on le peut ce « mal du siècle ». Et certain·e·s sont en train de plancher sur une alternative à l’arrêt de travail ou aux médicaments : les soins verts. Portés par la Fondation Terre de Vie – qui comprend des associations comme la Fondation Roi Baudouin et des expert·e·s de la santé –, ils consistent à prescrire une activité en lien avec l’agriculture ou la sylviculture comme un tremplin pour réintégrer le marché de l’emploi. 

Mettre les mains dans la terre, entrer en contact avec la nature et les animaux, rencontrer des personnes de nouveaux horizons… Ce mixte entre agriculture et thérapie mentale appelé agriculture sociale (ou « care farming ») a déjà fait ses preuves aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. Chez nous, il existe 370 fermes en Wallonie, contre près de 1.000 exploitations côté flamand. Une différence qui s’explique par un soutien institutionnel fort au nord du pays. C’est d’ailleurs le combat de Terre de Vie : réussir à obtenir un cadre légal qui permettrait de dépasser l’étape de projet pilote.

Mais pour cela, il faut une nouvelle fois convaincre le gouvernement d’agir. C’est pourquoi un dispositif expérimental vient de débuter au printemps, en collaboration avec la KU Leuven pour prouver l’efficacité de ces soins verts. L’objectif ? Que ceux-ci deviennent une prescription comme une autre, administrée par un médecin traitant.

Constater le fruit de son travail 

L’ASBL Nos Oignons met en lien les personnes en souffrance psychologique et les maraîcher·e·s bruxellois·es et wallon·ne·s. Parmi eux, À l’Orée du Bois, un maraîchage où l’on récolte soi-même ce que l’on consomme afin de sensibiliser à l’autonomie alimentaire. Derrière le projet, on retrouve Virginie Harmant et son mari Hugo. Tou·te·s deux ont travaillé aux quatre coins du monde dans des projets humanitaires et de développement avant de s’installer ici, à Écaussinnes. « Je croise beaucoup de gens abîmés par le travail », explique-t-elle en déposant une grosse pelletée de levure de bière dans l’auge de ses cochons. « En venant ici, je pense qu’ils ont la sensation de se sentir utiles. En produisant de quoi manger, qui est le besoin physiologique le plus élémentaire, ils reviennent à la base. » 

Nourrir les animaux, récolter les poireaux, semer, replier des voiles sur les cultures, guider les troupeaux en prairie… sont autant d’activités des plus terre-à-terre que viennent accomplir des comptables, des infirmier·e·s, des juristes, des profs ou des office managers en épuisement professionnel. Loin de la simple balade en forêt, il s’agit de mettre la main à la pâte. Une façon de profiter des effets thérapeutiques du travail manuel, tout en se sentant utile et en revalorisant le métier d’agriculteur et d’agricultrice.

Une façon aussi, dans une société guidée par la course à la performance, d’intégrer la finitude des choses. « On nous répète que pour y arriver, il suffit de le vouloir », raconte Samuel Hubaux, directeur et chargé de recherche-action « soins verts ». « Or, il y a une foule de facteurs extérieurs qui peuvent faire en sorte que ça n’arrive pas. Pour un agriculteur ou une agricultrice, tout peut changer au matin parce que le ciel n’a pas la bonne couleur. Nous ne sommes pas maîtres de tout ce qui nous arrive pendant une journée de boulot. » 

Photo de personnes récoltant des légumes dans un champ.

©Adobe Stock

Relancer la machine 

Au-delà des soins verts, l’agriculture sociale se distingue plus globalement par sa capacité à s’adresser à des problématiques très différentes : burn-out, emprisonnement, handicap, hospitalisation, traumatisme et même rupture amoureuse. Outre le contact avec la nature et le travail physique, il y a également toute l’importance du lien social. « Ça m’a fait beaucoup de bien de sortir de mon cercle », confie F, une jeune graphiste de formation rencontrée chez Virginie ce jour-là, et qui travaillait dans l’industrie pharmaceutique avant de sombrer en burn-out. C’est grâce au bouche-à-oreille qu’elle entend pour la première fois parler de soins verts. Elle contacte l’ASBL Vache et Bourrache qui la met en lien avec la Ferme Clara. Une journée par semaine, elle vient y confectionner yaourts, crèmes et autres préparations laitières. 

« Quand je me suis retrouvée en arrêt maladie, je me sentais comme un véritable paria de la société. J’ai vécu les pires mois de ma vie. Quand j’ai commencé à la ferme, je n’arrivais à retenir qu’une seule information à la fois. Ma mémoire et ma concentration étaient complètement bousillées. Puis j’ai senti que j’allais un peu mieux. J’arrive maintenant à rouvrir mon PC, chaque petite victoire est bonne à prendre. Et il n’y a pas meilleure sensation au monde que de rentrer chez soi avec les yaourts que l’on a préparés soi-même durant la journée », explique F.

Si la façon de résoudre le burn-out n’est vraisemblablement pas d’adopter les soins verts, ils apparaissent comme une bonne béquille entre la période d’arrêt maladie et le retour sur le chemin du travail. 

Un projet menacé

Quant aux motivations des agriculteurs et agricultrices qui y participent, l’objectif semble pour le moment plus philanthropique qu’autre chose. « Chacun·e y va à son rythme, mais ce qui est fait est fait », explique Virginie. « L’objectif n’est clairement pas la rentabilité, mais plutôt de les faire se sentir utiles. » Adieu toute course à la performance.

Le travail, assimilé à du volontariat, n’est d’ailleurs défrayé qu’une quinzaine d’euros chaque jour. Seul bémol, ces ASBL sont menacées aujourd’hui par le manque de financement. D’où l’importance d’introduire les soins verts dans le cadre législatif belge. L’offre pourrait ainsi être intégrée dans le dispositif de la sécurité sociale comme c’est le cas au Royaume-Uni et aux Pays-Bas.

En Belgique, si l’agriculture sociale peine à être structurellement financée, c’est parce qu’elle se situe à cheval entre plusieurs mondes comme la santé mentale, l’agriculture, l’insertion sociale ou le développement durable. Autant de secteurs qui dépendent d’institutions publiques ou de régions différentes. La fameuse lasagne institutionnelle belge…

Seulement, cette inertie a un coût humain et financier qu’il serait temps de ne plus négliger, alors que le nombre de burn-out est au plus haut chez nous.

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