Interview : Naomi Campbell fait son grand come-back

Mis à jour le 11 juillet 2024 par Kenya Hunt et Noemi Dell'aira Photos: Quil Lemons
Interview : Naomi Campbell fait son grand come-back

Qu’avons-nous à apprendre de Naomi Campbell, icône intemporelle de la mode qui jongle entre maternité et carrière débordante ? Tout !

Naomi Campbell, pionnière de la mode et top model audacieuse, se tient dans un box chauffé, aménagé à l’intérieur d’un studio situé dans le nord de Londres pour ce shooting photo. Elle doit absolument partir à 15h. Il n’est pas rare que ces séances s’éternisent, s’étirant de l’aube jusqu’à tard le soir. « Je suis désolée, mais je dois aller chercher ma fille à l’école », explique-t-elle d’une voix suave et légèrement enrouée par un rhume hivernal. Les pompes à chaleur font régner une température digne du mois d’août, idéale pour la chemise en coton léger et le short assorti qu’elle porte, tandis que le prometteur photographe Quil Lemons mitraille avec une précision chirurgicale et un calme olympien. La musique de Wizkid s’échappe en douceur d’un haut-parleur placé à l’arrière-plan tandis que Naomi Campbell prend sereinement la pose. Le mythe qui l’entoure est colossal. Mais sur le plateau, sa tranquillité et son silence forcent l’admiration. Fini les entourages survoltés s’agitant autour de la mannequin vedette. À la place, une petite équipe se met au travail. Clic, clic, clic. La première photo terminée, elle enfile un peignoir blanc et des pantoufles en attendant son prochain look. On dirait que la boucle est bouclée. « J’ai décroché mon premier grand shooting avec le ELLE UK quand j’avais 15 ans, un mois avant mon 16e anniversaire. Je ne l’oublierai jamais, ni aucune des personnes qui y ont pris part », raconte Naomi Campbell, plusieurs semaines plus tard, depuis le Moyen-Orient où elle passe ses vacances. « Que je leur donne des nouvelles ou pas, ils savent que je suis reconnaissante. Je sais d’où je viens. »

Naomi Campbell, destinée à briller

D’après la légende, la découvreuse de talents Beth Boldt se promenait un après-midi à Covent Garden avec sa fille adolescente lorsqu’elle a repéré une jeune Naomi Campbell, en uniforme scolaire, faisant du shopping avec des amis. Trois mois plus tard, malgré les réserves de sa mère Valerie Morris-Campbell, Naomi prenait l’avion pour La Nouvelle-Orléans pour sa première séance photo avec ELLE. « Ma mère a donné son accord et c’est parti », se souvient-elle. « Je me rappelle parfaitement. Pour mes premières photos, on me demandait des sauts, des bonds et des sourires. Ils savaient que j’avais suivi une formation en danse, et voulaient donc que je fasse ce genre de poses. À l’époque, je ne savais vraiment pas comment poser », confie-t-elle.

Naomi Campbell
Naomi Campbell en couverture du ELLE UK en 1996.

Tant de choses ont changé depuis. La vie, la célébrité et la maternité. Naomi Campbell est apparue sur pas moins de 25 couvertures mondiales du ELLE depuis ce premier shooting. Pendant ce temps, je grandissais en Virginie, les yeux rivés sur ces magazines. Pour moi, Naomi Campbell incarnait le monde glamour de la mode et un nouveau type de célébrité éblouissante. Comment oublier les images de foules s’enthousiasmant devant les top models avec un zèle d’ordinaire réservé aux boys bands ? Comment éclipser la vision de Naomi, Cindy, Lindy et Christy remuant les lèvres au gré des paroles de « Freedom! ‘90 » de George Michael ? Ou bien Naomi se tenant bras dessus bras dessous avec Nelson Mandela en Afrique du Sud ? Mais elle incarnait aussi une image émancipée, indépendante et décomplexée de la féminité noire que je voyais rarement dans la mode de luxe. J’étais prête à acheter n’importe quel numéro sur lequel elle figurait en couverture. Elle représentait tant de choses. Et c’est toujours le cas.

Maintenant, devenue mère, elle jongle avec deux enfants et une carrière pléthorique. Naomi Campbell, alors âgée de 51 ans, a annoncé en 2021 la naissance de sa fille, dont elle garde le prénom secret. L’année dernière, à 53 ans, elle a eu un fils. Elle s’est également lancée il y a peu dans le stylisme, créant une nouvelle collection pour BOSS, et en juin, une exposition lui est consacrée à Londres, au Victoria and Albert Museum, sobrement intitulée « Naomi ». La rétrospective, revenant sur sa carrière de près de 40 ans, sera la première exposition du genre. Professionnellement, 2024 promet d’être l’une de ses années les plus fastes. Cependant, j’ai le sentiment que le rôle de mère est celui qui accapare le plus son attention. Au-delà de son statut d’icône et de sa célébrité mondiale, elle se voit avant tout comme une femme qui essaie de quitter le travail à temps pour aller chercher les enfants à l’école. Lorsque plus tard, nous échangeons quelques messages au cours de ses vacances au Kenya et à Dubaï, elle m’envoie le SMS suivant : « Nous sommes arrivés. Je vais coucher mes bébés et je vous rappelle. »

Naomi Campbell

Avec son calendrier d’un an rempli de défilés, dîners tardifs et Fashion Weeks éreintantes, la mode est un univers impitoyable pour les mères. Beaucoup prétendent qu’y travailler relève plus du mode de vie que du travail. Et c’est encore plus vrai pour celles et ceux qui occupent des postes à responsabilité. Mais Naomi Campbell – qui a longtemps dû se battre, que ce soit pour obtenir le même traitement et le même salaire que ses pairs blancs ou en faveur d’une plus grande diversité dans l’industrie en général – n’a aucun problème à faire valoir son droit de donner la priorité à sa famille. « Quand on devient parent, les choses changent, et je ne suis pas différente des autres mères », précise-t-elle. « Cette nouvelle vie m’a amenée à prendre certaines décisions. Depuis que ma fille a commencé à l’école, on m’a proposé des projets que j’adorerais faire et que je ferais si je le pouvais. Mais je me devais d’être là pour son premier jour d’école. C’est très important. Et je dois aussi être là pour aller la chercher. Mes enfants passent en premier », affirme-t-elle. « Et ma fille est vraiment cool. Elle comprend que maman travaille. Mais, pour moi, il est important d’être là, surtout quand je lui annonce que je viens la chercher. Si je dis que je suis là, je suis là. Et en amitié, il en va de même : si je dis que je viens, je viens. » Le passage d’un à deux enfants peut s’avérer mouvementé, en particulier au cours des premières années, lorsqu’une fièvre, par exemple, ou l’un des nombreux rhumes et grippes qui pullulent dans les salles de classe  peut bouleverser toute une journée. Naomi Campbell se sent bien entendu privilégiée de pouvoir compter sur une équipe qui la soutient, lui permettant de ne pas trop ralentir son rythme de travail : « Je peux bénéficier d’aides extérieures, et ma mère m’épaule beaucoup. Je suis parvenue à jongler avec tout ça et emmener mes enfants avec moi quand je voyage. » D’ailleurs, son amour des voyages et son mode de vie nomade ont inspiré sa nouvelle collection BOSS, lancée il y a quelques mois : un mélange subtil de vêtements de ville et de tenues de travail pratiques avec juste ce qu’il faut de glamour.

Ça fait quoi d’être du côté de la création après avoir travaillé comme mannequin et muse pendant si longtemps ? « J’ai adoré. J’aimerais en faire plus, car j’apprécie vraiment ce travail », confie-t-elle. Sa collection arrive à un moment où la diminution du nombre de femmes stylistes à la tête des plus grandes marques de mode fait couleur beaucoup d’encre. Un débat qui a encore pris de l’ampleur lorsque Sarah Burton a quitté Alexander McQueen. Naomi Campbell a participé au dernier défilé de la maison chapeauté par Sarah Burton, à Paris l’année dernière. « C’était émouvant », se souvient-elle. « Sarah n’est pas seulement une grande amie, elle a du talent à revendre. Il n’y a pas beaucoup de femmes stylistes… Ce serait bien s’il pouvait y avoir un peu de changement en faveur de plus d’égalité. Je soutiendrai toujours Sarah et les créatrices avec qui j’ai travaillé, comme Donatella. » Quant à son propre travail, elle précise qu’il y en a pour tous les goûts. « Je voulais créer des pièces portables qui nous aident à mieux appréhender notre corps », explique-t-elle en référence aux 40 pièces de sa collection capsule. Il y a des tailleurs deux-pièces parfaits pour les vols long-courriers et des tenues de travail faciles pour les réunions prévues à l’arrivée. « C’est simple et chic. Élégant. Un ensemble de basiques de très bonne qualité. » La tenue qu’elle-même endosse lorsqu’elle voyage est composée de pièces « qui épousent le corps à la perfection » pour éviter les ballonnements.

Naomi Campbell

Un visage et une voix

Née à Lambeth, près de Londres, Naomi Campbell a passé une partie de son enfance en Italie avec sa mère Valerie Morris-Campbell, qui travaillait comme danseuse professionnelle. Elle est ensuite retournée vivre chez d’autres membres de sa famille à Londres pendant que sa mère tournait partout en Europe. Il est clair que les expériences nomades de sa mère en tant qu’artiste ont inspiré à Naomi Campbell un sens aigu des possibilités qu’offre le voyage : « Je veux que mes enfants voient le monde et se familiarisent avec différentes cultures, comme ma mère l’a fait avec moi. » Outre sa mère, Naomi Campbell a admiré d’autres femmes puissantes en grandissant. « Josephine Baker, Iman, Tina Turner, Bethann Hardison et Diana Ross. Des femmes qui affichaient leur force et leur pouvoir, s’exprimant à travers leur art tout en restant fidèles à leurs convictions. Je respecte les gens intègres qui n’ont pas leur langue en poche, et se soucient peu de l’opinion des autres », affirme-t-elle.

Bethann Hardison, ancienne mannequin et agent, a rencontré Naomi Campbell pour la première fois lorsque celle-ci était âgée de 14 ans, au moment où Beth Boldt lui a demandé de veiller sur la jeune adolescente. Selon elle, la mannequin n’a jamais eu peur de défendre ses droits, un atout décisif pour une jeune fille en pleine croissance dans une industrie où le sexisme et le racisme étaient monnaie courante. « Elle se bat pour se faire entendre. Qu’elle ait tort ou raison. C’est une force de la nature », précise Bethann Hardison. Lorsque cette dernière a fondé la Black Girls Coalition en 1988, pour célébrer la nouvelle vague de mannequins noires perçant dans une industrie jusqu’alors homogène et enjoindre le monde de la publicité à diversifier ses campagnes, elle a fait appel à Naomi Campbell et à d’autres de ses pairs. En témoigne une célèbre photo d’elles toutes ensemble lors d’une conférence de presse : Naomi Campbell, Roshumba Williams, Tyra Banks, Veronica Webb, Gail O’Neill, et d’autres, aux côtés de leurs mentors, Bethann Hardison et l’icône du mannequinat Iman. « Ce qui était si agréable, c’était de voir ces mannequins issues d’une industrie si compétitive montrer qu’elles avaient un intérêt commun. Je les ai sensibilisées pour qu’elles prennent conscience de ce qu’elles pouvaient faire », raconte par téléphone Bethann Hardison, depuis le Mexique, où elle vit désormais.

Naomi Campbell

Naomi Campbell, de son côté, souligne que sa tutrice l’a aidée à comprendre la nécessité de se faire entendre pour faire changer les choses, et la puissance d’une telle prise de position. « Bethann m’a enseigné les bases. Elle m’a toujours incluse dans les démarches qu’elle menait pour améliorer ce qui lui semblait digne de l’être. Le fait qu’on soit toutes réunies sur cette photo de 1988 m’a aussi aidée, car j’ai pris conscience de ce que les autres avaient traversé de leur côté. À 18 ans, je ne me sentais plus seule. J’avais Iman et Gail, et Karen, et Veronica. Nous avions toutes vécu des expériences du même ordre, ce qui a créé un sentiment d’unité, de compréhension et de partage salutaire. Même si je me sentais seule dans certaines des situations professionnelles, je ne l’étais pas, car j’avais désormais des personnes à qui me confier. »

Simplement Naomi

Ces idées – émancipation féminine, épanouissement et sincérité – sous-tendent les projets qui vont marquer la grande année de Naomi. Elle a lancé Emerge, une œuvre de charité liée à la mode pour soutenir la prochaine génération de talents du stylisme à travers l’Afrique, la diaspora africaine et le Moyen-Orient. L’initiative vise à mettre en place des programmes extrascolaires et universitaires. Notre shooting photo de couverture regorge d’ailleurs de talents soutenus par Naomi Campbell, de la styliste Bianca Saunders à la jeune étoile montante Torishéju, au premier défilé de laquelle a pris part Naomi Campbell, à Paris en octobre dernier. Pour Torishéju, l’implication de Naomi Campbell a changé la donne. « Les réactions ne se sont pas fait attendre. Sa présence a eu un énorme impact sur la marque et sur moi à titre personnel : elle m’a ouvert des portes que je n’aurais jamais imaginé franchir. »

 

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« C’est tout l’enjeu de ma démarche », confirme plus tard Naomi Campbell. « On m’a donné une chance. Donc c’est à mon tour de laisser sa chance à quelqu’un. C’est aussi simple que ça. Les grandes marques de luxe seront toujours là. Mais nous avons tout autant besoin de cette nouvelle vague qui arrive. » Après des décennies de titres écrits sur elle, Naomi Campbell se sent enfin l’autrice de son propre récit, notamment grâce à son exposition. « Les gens me voient en photo et sur le podium. Mais ils sont loin de tout savoir à mon sujet », raconte-t-elle. « Je veux que les visiteurs·euses ressortent de l’exposition en ayant appris quelque chose sur moi qu’ils ne savaient pas. Je veux créer une sorte d’intimité avec eux, un rapport plus personnel », détaille-t-elle. L’expo couvre presque 40 ans de sa carrière à travers les vêtements qu’elle a portés et les créateurs et photographes avec qui elle a travaillé. Depuis son étroite collaboration avec Azzedine Alaïa, un designer qu’elle a toujours considéré comme un père adoptif, jusqu’aux robes qu’elle a portées sur le tapis rouge, aucune facette de sa carrière ne sera négligée. Naomi Campbell s’est chargée de la curation, en étroite collaboration avec l’équipe du musée. Un partenariat qui semble s’être déroulé à merveille. « C’était très émouvant », confie-t-elle, « surtout le fait de voir et de toucher les vêtements que je n’avais pas vus depuis des lustres. Tant de souvenirs y sont attachés. Et puis, c’est impressionnant de constater qu’ils ont résisté à l’épreuve du temps, grâce à un savoir-faire hors pair. Ce voyage temporel m’a aussi remis en mémoire les grands créatifs avec lesquels j’ai eu la chance de travailler. »

L’exposition démontre également que Naomi Campbell a plus que jamais la cote. Et, à 53 ans, elle demeure une arpenteuse de podiums prolifique au pouvoir d’attraction intact, capable de susciter l’intérêt d’un public d’initiés célèbres pour leur impassibilité. Je lui demande pourquoi elle continue à le faire. Elle n’a pourtant plus rien à prouver à ce stade. « J’adore, j’adore, j’adore la mode », s’exclame-t-elle. « J’aime avoir encore l’opportunité de faire mon travail. J’aime la créativité. J’aime voir des gens passionnés par ce qu’ils font. Je veux travailler avec de grands noms et des talents émergents. Et j’aime apprendre. On n’en finit jamais d’apprendre ! »

Équipe de production - Coiffure : Rio Sreedharan, Make-up : Esther Edeme, Manucure : Michelle Class, Assistante stylisme : Zoe glanville, Tailoring : Frankie Lee Farmer, Productrice : Jessica Harrison.

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