Extrême droite : quelles conséquences pour les femmes belges ?

Mis à jour le 4 septembre 2024 par Camille Vernin
Extrême droite : quelles conséquences pour les femmes belges ? ©Adobe Stock

Italie, Hongrie, Finlande, Pays-Bas… Depuis près de 25 ans, on observe une prolifération de partis d’extrême droite ayant réussi à accéder aux cercles du pouvoir en Europe. La poussée du RN en France a même fait craindre la naissance d’un gouvernement nationaliste. La Belgique n’y fait pas exception. Le Vlaams Belang affiche une vitalité notable en Flandre, bien que le reste du pays demeure préservé. De quoi se poser la question : dans un scénario pas si fantaisiste, à quoi ressemblerait une Belgique dirigée par l’extrême droite pour les femmes ?

Les Belges ont voté trois fois le 9 juin dernier, pour les parlements européen, fédéral et régional. Si les sondages les plaçaient à la première place, les indépendantistes du Vlaams Belang ne sont arrivés qu’en deuxième position, derrière les nationalistes de la N‑VA. Côté francophone, le parti « Chez nous », petit frère belge du Rassemblement National, n’a récolté aucun siège. À Bruxelles et en Wallonie, grâce à une riche histoire de luttes sociales et aux combats antifascistes actuels, l’extrême droite est quasi inexistante. 

Si on ne peut donc pas parler de menace directe pour la Belgique, le pays n’est toutefois pas immunisé. D’ailleurs, un Belge sur deux souhaite le retour d’un pouvoir autoritaire, selon le rapport « Noir, Jaune, Blues, cinq ans après » mené par la RTBF et Le Soir en 2022. Un portrait peu réjouissant du mood belge, miné par la pandémie, les chocs climatiques, la guerre en Ukraine et l’inflation galopante. À force d’évoquer la montée de l’extrême droite comme une fatalité, le discours se galvaude, voire se normalise. Mais quelles seraient au juste les conséquences d’une telle conjecture, pour toute la société, mais aussi et surtout pour nous, les femmes ?

La composante sexiste de l’extrême droite

Chaque politique d’extrême droite dépend de particularités nationales et culturelles. Il suffit néanmoins de se pencher sur l’expérience des autres pays, du Premier ministre hongrois, Victor Orban, à la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, en passant par l’ancien gouvernement conservateur de droite en Pologne… tous réduisent les droits et libertés des femmes. Si la composante sexiste est l’un des piliers idéologiques de l’extrême droite, le discours a évolué, adoptant des atours plus séduisants, jusqu’à prétendre agir pour la défense des droits des femmes. 

 

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« Cette stratégie porte un nom : le fémonationalisme », explique Florence Vierendeel, chargée de communication politique pour l’association féministe Soralia. « Si on défend les violences faites aux femmes, c’est pour mieux pointer du doigt les étrangers et plus particulièrement la communauté musulmane. Une instrumentalisation anti-immigration qui détourne en prime l’attention des violences commises aussi par les hommes blancs. » Les études prouvent en effet que, dans 90 % des cas, la victime connaît son agresseur. « Rejeter le problème sur d’autres cultures, c’est aussi une façon de normaliser la situation en Europe occidentale », ajoute Florence Vierendeel. « Le Vlaams Belang fait comme si l’égalité homme-femme était déjà acquise en Belgique. La lutte contre les discriminations telles que le manque de représentativité des femmes ou l’écart salarial ne font d’ailleurs pas partie de leur programme. C’est une façon de se positionner, sans afficher un discours clairement sexiste. » 

Un parti-pris qui s’inscrit dans une idéologie beaucoup plus vaste, celle d’un modèle de famille conservateur et traditionnel. « Dans celui-ci, l’homme et la femme ont chacun un rôle défini et cadré. La femme est relayée au foyer, s’occupe des enfants et des tâches domestiques, et l’homme est le chef de famille. C’est une menace évidente sur les droits des LGBTQIA+, vu que cette communauté va s’inscrire à la marge de ce modèle établi. Mais aussi et surtout pour l’autonomie des femmes. Or, on sait que quand les femmes perdent leur autonomie, elles sont plus exposées aux violences conjugales ou familiales. » Le Vlaams Belang a en outre proposé d’instaurer une prime augmentée pour les femmes qui procréent avant leurs 30 ans. Une politique nataliste que promeut historiquement l’extrême droite, mais qui n’est pas tout à fait absente des discours d’autres partis dits « modérés ». On pense notamment à la proposition de « réarmement démographique » très débattue du Président Emmanuel Macron.

Quels risques pour les femmes ? 

« Dans un monde dystopique dans lequel l’extrême droite viendrait à prendre le pouvoir en Belgique, on vivrait donc une période durant laquelle les droits des femmes n’avanceront pas, voire reculeront », affirme Juliette Léonard, chargée de recherche au sein du Collectif contre les Violences Familiales et l’Exclusion (CVFE). « Le droit à l’avortement est la première menace. » Si le Vlaams Belang considère l’avortement comme un droit acquis, il s’oppose à toute augmentation du délai d’interruption de grossesse. En Belgique, néanmoins, une interdiction pure et simple de l’avortement comme en Pologne se révélerait compliquée car elle nécessiterait une majorité. 

« Il s’agirait plutôt de rendre plus compliqué l’accès à l’avortement. En réduisant le financement des institutions qui les pratiquent, et en diminuant ou en supprimant les subsides des plannings familiaux et des associations féministes », continue Juliette Léonard. Un positionnement qui raisonne avec l’offensive menée entre autres par l’extrême droite contre la « déconstruction », le « wokisme », les études de genre et les études postcoloniales. « On le voit dans d’autres pays, il y a des attaques sur l’étude de genre qui viendrait diffuser d’autres idées que celle de la famille hétéronormée classique. » 

 

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« En Italie, Meloni a fait sauter le revenu d’intégration sociale. C’est un risque que l’on pourrait imaginer aussi. Or, en s’attaquant aux services publics et à la sécurité sociale, on incite de nombreuses femmes en situation de précarité à compter uniquement sur le soutien personnel du foyer, et plus sur l’État. » Derrière un discours « antisystème », l’extrême droite prône des politiques néo-libérales qui fragilisent les publics les plus vulnérables. Parmi eux, citons certaines femmes issues de l’immigration, les femmes à la tête de familles monoparentales ou encore les femmes dans les secteurs d’activité associés au « care », souvent trop peu rémunérés et valorisés.

Pourquoi certaines femmes votent extrême droite?

« Il n’y a pas de profil type », prévient Juliette Léonard. « Il faut sortir de l’image stéréotypée des “beaufs mal éduqués”, celles et ceux qui votent extrême droite le font pour diverses raisons et proviennent de différents milieux socio-économiques et géographiques. On constate en premier lieu que les électeurs RN, par exemple, ne maîtrisent pas le programme et les idées du parti. Mais c’est un constat que l’on peut poser sur les autres électorats. » Juliette Léonard ajoute qu’il y a aussi l’hypothèse matérialiste qui tente d’expliquer le vote des femmes pour l’extrême droite, comme une recherche de protection. Se conformer au patriarcat, c’est éviter de s’exposer à plus de violences masculines, mais aussi de s’assurer une situation perçue comme « confortable » avec une structure et un ordre social bien établis. 

« Les relations sociales jouent un rôle important. Quand on vote extrême droite, on vote en couple, en famille, entre amis. » Le vote pour l’extrême droite traduit également un sentiment de désillusion et de trahison vis-à-vis des partis traditionnels. C’est le fameux « on a tout essayé, pourquoi pas eux? ». Ce vote exprime parfois aussi une hiérarchisation des priorités, il s’agit alors de privilégier ses galères quotidiennes à ses idéaux et à ses préoccupations sociales. 

La montée de l’extrême droite en Europe, une fatalité ?

« Il s’agit de tout sauf d’une fatalité », soutient Archibald Gustin, chercheur à l’université de Liège. « On l’a vu en France, il y avait un narratif un peu apocalyptique, à juste titre, mais ça ne s’est pas produit. » Le politologue l’affirme : les discours sur la montée de l’extrême droite deviennent des prophéties autoréalisatrices. « Parler de victoire imminente ou inévitable permet à certains partis d’adopter des politiques plus sécuritaires et anti-immigration. Ces discours autour de la montée des extrêmes ont clairement un effet pervers, même s’ils sont bien intentionnés. » 

La solution ? « Le cordon sanitaire poli­tique et médiatique a fait ses effets en Belgique francophone. Le plus grand risque serait que les partis traditionnels commencent à adopter de plus en plus de discours d’extrême droite, laissant apparaître sa rhétorique comme modérée. Or, c’est un phénomène que l’on observe depuis plusieurs années. On a tendance à considérer que la frontière entre l’extrême droite et les partis traditionnels est solide, mais je pense qu’il faut rester très prudent. » 

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