« Même dans la joie, il faut toujours un peu de tristesse ». Chez Zaho de Sagazan, l’une comme l’autre ont décidé de convoler, au-dessus des nuages, là où le ciel ne peut pas s’effondrer. Alors que « La symphonie des éclairs », son premier album totémique sorti il y a un an et demi, ressort cet automne agrémenté de sept inédits sous le titre « le dernier des voyages », la « petite tempête » de la chanson française nous parle de sa nouvelle vie de star qui n’a rien de filante, entre « modern love » sans frontières et « dreams are my reality ».

« Le bonheur ne se perçoit pas sans esprit et sans rigueur » : c’est Montaigne qui l’écrit, et Zaho qui l’a lu ne manque pas des deux, elle qui vit à fond son rêve depuis que son album et sa tournée cartonnent, de Bruxelles à New York. « On bosse comme des malades depuis deux ans, mais je suis incapable de me freiner parce que ça me fait trop du bien de chanter sur scène et de ressentir tout cet amour et cette énergie du public… Sur le moment t’oublies tout le reste, t’es dans le don total et en même temps tu reçois énormément, c’est un exutoire merveilleux ! ». Malgré la fatigue (rien que cet été, elle a joué dans plus de 30 festivals), Zaho profite à fond de ce qui lui arrive, et ce n’est que le début. « En fait, ce qui est marrant, c’est que tout a changé autour de moi, et en même temps rien du tout. Disons qu’avant on était 4 dans un van, et maintenant on est 16 dans un tourbus ! Mais je bosse toujours avec mes meilleurs potes, j’ai toujours les mêmes colocs… C’est surtout la notoriété qui a changé, mais comme j’adore les gens, ça m’embête pas quand on m’arrête dans la rue ou qu’on m’agrippe pour faire un selfie… J’ai été auxiliaire de vie (en Ehpad, l’équivalent de nos maisons de repos, ndlr), donc ce n’est pas trop compliqué pour moi ! ». Parce qu’avant les Victoires (de la Musique), Cannes, les JO, les concerts sold out et les covers des magazines, Zaho de Sagazan était une fille comme les autres, qui postait ses chansonnettes sur Insta (vers 2015 par là) et reprenait du M sur le podium de la fête du lycée. Quoique.

Zaho de Sagazan

© Zoe Joubert

« Les zinzins de Sagazan »

Le questionnement de la normalité, l’affranchissement par l’art, la physicalité, et cette façon d’être sans concession, indépendante et libre – à tout prix – ça ne vient pas de nulle part… Mais alors pas du tout : fille nobiliaire d’une institutrice/autrice (Gaëlle Le Rouge de Rusunan) et d’un plasticien/sculpteur/performer dont les spectacles défient toute bienséance (Olivier de Sagazan), Zaho et ses quatre sœurs ont grandi dans « une maison absolument chelou », envahie de sculptures en glaise et de bottes de foin. « Tout autour de nous était original, et notre père nous imposait cette originalité… Même si à 10 ans tu préfèrerais t’appeler Camille que Zaho ! », confie-t-elle… « Mais ces valeurs que mes parents nous ont inculquées, l’esprit critique, la créativité, l’engagement total dans ce que tu fais, le fait de ne pas juste te fondre dans la masse, c’est ce qu’il y a de plus beau au monde ! Et j’ai su très vite, en voyant mon père bosser comme un dingue, que le talent ça ne s’improvise pas : c’est du travail ». Quand vers 13 ans Zaho découvre Tom Odell, c’est la révélation : « C’est mon idole ! Je ne sais pas combien de jours je l’ai écouté depuis que je suis née, mais je ressens beaucoup beaucoup d’amour pour lui ». C’est d’abord par admiration et par mimétisme qu’elle se met donc au piano, puis « très vite » elle en tombe amoureuse, et c’est le début de tout… « Another Love » tu l’as dit : encore merci à ton modèle.

« Là ça va exploser »

Crier, pleurer, « alors que t’es une petite tempête dans le cœur » comme l’est Tom sur son piano, c’est le premier déclic et « t’en deviens addict » et « tu y restes ». Mais au-delà de l’instrument, c’est le chant qui devient une obsession pour Zaho l’ado, en pleine puberté bref en plein doute, avec cette voix si grave, singulière, qu’elle doit d’abord apprendre à contenir tellement ça doit sortir… « Je ne sais pas pourquoi ça me fait tellement du bien de chanter, mais c’est comme un orgasme, c’est physique, c’est un exutoire de fou ! Même quand j’étais en GEA (ses études en « Gestion des entreprises et des administrations » à Nantes, ndlr) j’étais frustrée de pas faire assez de musique, ça devait tout le temps sortir, comme si des larmes allaient tomber »… Et ça sort, d’abord sur Insta comme toutes les filles de son âge, puis en single en 2022 (le premier, « La déraison »), avant cet album donc, composé dans le noir les yeux fermés (dixit la légende), sur une période de plus de quatre ans… Un album qui tient donc presque de l’exorcisme, ni french pop ni variété, hyper-musical et hypersensible, dans lequel Zaho de Sagazan mixe l’oxygène des synthés au verbe haut de Brel et de Barbara, la techno à la chanson à texte : comme si « Peau d’Âne », Anne Clark, Brigitte Fontaine et Kraftwerk étaient restés coincés dans un ascenseur… Émotionnel, l’ascenseur.

Zaho de Sagazan

© Zoe Joubert

« C’est pas un album fun »

Tristesse, addiction, violence, amour – enfin surtout son manque : on l’oublierait presque, mais « La symphonie des éclairs » n’est pas ce qu’on appelle un disque joyeux. « Mais je pense que j’ai réglé pas mal de choses depuis sa sortie, même si, c’est sûr, Tristesse est une amie proche, je ne peux pas dire qu’elle n’est plus là ». Et même si notre chanteuse experte en PLS avoue n’être « jamais contente ni fière » d’elle-même, elle espère quand même que ses concerts donnent de la joie aux gens. On la rassure : c’est le cas. Comme Stromae qui chante des trucs graves en nous faisant danser sous l’orage, Zaho, elle aussi, maîtrise l’oxymore. « Ce n’est pas très léger mais ça fait du bien, un peu de folie… Et puis je crois que la musique, par sa forme, par son intensité, allège le côté sombre de mes paroles. En fait j’essaie de puiser dans la tristesse une énergie que je trouve assez ouf… À chaque concert il y a un moment où je parle de mes émotions, de mes peurs, du fait que pleurer sur mon piano ça me fait un bien fou et ça fait de mal à personne et surtout ça fait de jolies chansons, et puis après j’invite le public à danser et à lâcher prise et chaque live se termine par un quart d’heure de techno… Bref si la tristesse tu l’embrasses et tu la mets au bon endroit, ça devient quelque chose de merveilleux… Et je pense que les gens ont besoin d’entendre ça, c’est tout ». Et c’est déjà beaucoup.

« La symphonie des éclairs » en version augmentée paraîtra le 25 octobre.

Zaho de Sagazan sera en concert à l’ING Arena (Bruxelles) le 24 novembre.