Cancer du sein : enfin des solutions pour le stopper ?

Publié le 3 octobre 2024 par Audrey Parmentier et Noemi Dell'aira Photos: Illustrations Klaartje Busselot
Cancer du sein : enfin des solutions pour le stopper ?

Traitements ciblés, médicaments intelligents, dépistages intensifiés, approche plus inclusive, jumeaux numériques... Avons-nous enfin trouvé les solutions pour l'éradiquer ?

Martine Piccart, l’une des pontes du cancer du sein en Belgique, nous fait part des progrès médicaux pour lutter contre la maladie. Son objectif reste le même : aider à ce qu’elle ne tue plus.

Les données donnent le vertige : une femme sur huit risque de développer un cancer du sein au cours de sa vie. Chaque année, ce sont 11.400 Belges qui souffrent d’une tumeur à partir des cellules de la glande mammaire, selon la dernière étude publiée par la Fondation registre du cancer. « C’est une maladie très fréquente dans le monde occidental, heureusement, on a réalisé de gros progrès. Aujourd’hui, la mortalité a diminué dans beaucoup de pays », se félicite la directrice scientifique à l’Institut Bordet. Depuis trente ans, l’oncologue belge se bat contre cette maladie. Ses armes ? Sa persévérance et sa capacité à fédérer. En 1999, la spécialiste cofonde avec le professeur Aron GoldHirsch le Breast International Group (BIG), « le plus grand réseau mondial de groupes universitaires dédiés à la recherche de meilleurs traitements contre le cancer du sein ».

Meilleure prise en charge, allongement de l’espérance de vie… Les dernières décennies ont débouché sur de multiples évolutions. « On s’est dirigé vers une approche chirurgicale moins agressive de la maladie. À une époque, on faisait des mastectomies très mutilantes. En revanche, on assiste à une intensification des médicaments (…) Par exemple, une femme peut avoir une hormonothérapie, une chimiothérapie et des traitements ciblés », expose Martine Piccart. Petit à petit, les chercheurs se dirigent vers des traitements de plus en plus ciblés. « Chaque cancer est différent », assure la spécialiste qui liste dans la foulée les trois différents types. Et pour chacun, il y a des bonnes nouvelles.

Martine Piccart commence par le cancer du sein hormono-dépendants qui concerne deux tiers des patientes (où les hormones jouent un rôle dans la prolifération de cellules cancéreuses). « Il existe un nouveau traitement oral qui vient renforcer l’hormonothérapie », applaudit-elle. Mais c’est sur le cancer HER2 positif (lorsque les cellules cancéreuses surexpriment la protéine HER2) que l’oncologue belge s’enthousiasme le plus : « Pour lui, les progrès sont spectaculaires ! Ces vingt
dernières années, on a découvert des médicaments intelligents, capables de bloquer l’antenne qui aide le cancer à grossir. » Enfin, qu’en est-il des cancers du sein triples négatifs, les plus agressifs ? « Ils n’ont ni récepteurs hormonaux ni taux élevés de la protéine HER2 et c’est là qu’on est le plus démuni. L’avancée la plus récente, c’est la combinaison de l’immunothérapie et de la chimiothérapie où on observe des taux de guérison très importants », explique Martine Piccart.

En plus des dernières approches médicales, l’accent est mis sur la prévention. « Quand j’ai commencé l’oncologie, je voyais des femmes arriver avec des tumeurs énormes ulcérées qui avaient fait disparaître leur sein. Actuellement, ce n’est plus le cas grâce à des diagnostics plus précoces ! », se souvient la professionnelle de santé. La prochaine étape ? Affiner le dépistage, le rendre plus intelligent et l’intensifier chez les familles à risque. « Un peu moins de 10 % des cancers du sein ont une vraie base génétique et sont héréditaires », complète Martine Piccart. Et un jour, pourrait-on arrêter de mourir du cancer du sein ? « C’est compliqué, car plusieurs éléments extérieurs jouent en notre défaveur : les femmes font des enfants plus tardivement, ce qui les rend plus susceptibles de développer la maladie, l’alcool ou encore la pollution ont aussi un impact négatif. Cependant, on avance bien donc il faut rester optimiste ! », conclut-elle.

Le cancer du sein a-t-il une couleur ?

Grâce à des activistes comme Juliette Berguet, le tabou autour du cancer du sein se lève progressivement. Objectif : rendre le combat contre la maladie plus inclusif.

À la terrasse d’un café bruxellois, Juliette Berguet laisse son chaï latte refroidir. Le besoin urgent de partager son histoire est palpable. Elle commence en 2019, année où on lui diagnostique un cancer du sein. « C’est en prenant ma douche que j’ai senti des boules au niveau de la poitrine », rembobine celle qui a 41 ans à l’époque. Du jour au lendemain, cette mère de famille enchaîne les rendez-vous médicaux et les traitements invasifs.  « Je venais d’avoir une petite fille, je ne pouvais pas la laisser tomber », soutient-elle. Cinq ans plus tard, Juliette Berguet est en rémission et se décrit comme « une survivante ».

cancer du sein

Sauf que la Bruxelloise originaire du Congo veut être plus qu’un chiffre : en 2021, elle crée l’association Baob qui accompagne sur le volet social et professionnel des personnes frappées par la maladie. « J’ai rapidement vu que rien n’était proposé pour nous aider à vivre, alors j’ai tenté de répondre à ce besoin », justifie l’autoentrepreneure. L’autre but de Juliette Berguet, c’est de briser le silence au sein de la communauté afro-descendante : « Souvent, les femmes ont honte de parler de leur maladie. Résultat : elles sont prises en charge tardivement à cause d’un manque d’informations ou d’accompagnement. »

Non seulement les femmes afro-descendantes sont davantage susceptibles de développer un cancer agressif (d’après une étude américaine publiée dans la revue « JAMA Oncology » qui établit un lien génétique entre les personnes d’ascendance africaine et le cancer triple négatif), mais elles ont aussi 28 % plus de risques de mourir du cancer du sein que les femmes blanches avec le même diagnostic. Tout en rappelant ces inégalités, Juliette Berguet souhaiterait rendre le combat plus inclusif : « Avant, on ne voyait que des femmes âgées blanches, mais c’est capital qu’il y ait des malades qui nous ressemblent. On a besoin de rôles modèles. » Et dès ce mois d’octobre, Juliette Berguet prend part à la campagne de prévention nationale de Think Pink.

Le festival "Bounce Back, Comment rebondir après un cancer ?", se tiendra le 12 octobre. Des conférences, débats, ateliers et consultations seront animés par des expert·e·s, des patient·e·s partageront leurs expériences, et des associations offriront des ressources. Entrée gratuite. Plus d’infos : Baob-asbl.be.

Jumeaux numériques et immunothérapie : des solutions sur mesure ? 

Chaque patiente étant différente, des professionnels de santé espèrent une prise en charge plus personnalisée dans la prochaine décennie.

« On guérit neuf patientes sur dix, c’est la dixième maintenant qu’on aimerait sauver », confie François Duhoux, oncologue et chef de clinique (Saint-Luc). Pour atteindre cet objectif, le professionnel de santé mise sur le projet « BidiTwins » lancé par l’UCLouvain et les Cliniques universitaires Saint-Luc. « On va créer des jumeaux numériques et biologiques de cancers du sein et ainsi vérifier si les tumeurs répondent ou non aux traitements. » Grâce à cette étude, le spécialiste espère, d’ici cinq à dix ans, arriver à des prises en charge davantage personnalisées. Concrètement, il s’agit d’éviter à une patiente une chimiothérapie – et des complications sévères inutiles – à laquelle elle ne va pas réagir. « Aujourd’hui, on est encore sur du prêt-à-porter, même si c’est un peu plus granulaire qu’avant. Nous, on aimerait faire de la haute couture », détaille François Duhoux.

cancer du sein

Et sur la liste des approches prometteuses, l’immunothérapie se hisse en bonne position. Ce traitement – qui voit le jour dès les années 2010 – vise à mobiliser le système immunitaire du patient afin d’attaquer et détruire les cellules cancéreuses. « Certaines formes de cancer du sein métastatique ou les cancers dits triple négatifs peuvent faire l’objet d’une immunothérapie pour diminuer le risque de rechute. Cette méthode est moins toxique que la chimiothérapie, car contrairement à la chimio, elle ne vise pas à éliminer les cellules qui prolifèrent vite (comme les cellules cancéreuses, mais aussi celles de la moelle osseuse ou de la base des cheveux, par exemple) », indique Sophie Lucas, immunologiste à l’UCLouvain.

Selon la spécialiste belge, l’immunothérapie « a transformé l’oncologie » en permettant d’augmenter l’espérance de vie des patients grâce au phénomène de « mémoire immunitaire ». « Des lymphocytes T stimulés par l’immunothérapie persistent dans l’organisme, et peuvent contrôler la maladie cancéreuse et ses risques de rechute à très long terme », synthétise-t-elle. Si les immunothérapies restent le signe d’un « progrès vivace », le chemin reste long, admet Sophie Lucas : « On n’avance jamais assez vite pour les patient·e·s ! »