L’essor des intelligences artificielles comme ChatGPT ne se limite plus à la simple automatisation des tâches. Sans surprise, il s’immisce dans tous les aspects de la vie quotidienne jusqu’aux routines beauté. Que ce soit pour élaborer une routine personnalisée, conseiller des produits adaptés à un type de peau spécifique, ou même décrypter des étiquettes souvent laborieuses, l’IA semble devenir notre nouvel expert beauté à portée de clic. Mais ses recommandations sont-elles fiables et comparables à celles d’un dermatologue ?
ChatGPT est de plus en plus utilisé pour obtenir des conseils beauté et pourquoi pas établir une routine de soins. Plus besoin de se torturer les méninges à essayer de décrypter les formules et compositions des produits, l’intelligence artificielle améliore sans cesse ses compétences et peut désormais répondre à des questions comme : ” Quelle crème est adaptée à ma peau ?”, ou encore, ” Quels actifs sont à utiliser pour éliminer mes imperfections ?”. Seulement voilà, si l’IA semble être la nouvelle alliée des beauty addicts, elle soulève aussi quelques interrogations. Peut-on vraiment se fier à une machine pour traiter des problématiques aussi complexes – et parfois médicales – que les soins de la peau ?
ChatGPT donne-t-il les mêmes conseils qu’un·e dermatologue ?
Pour répondre à cette question, on a soumis les conseils ChatGPT au savoir d’une médecin dermatologue pour découvrir lequel des deux devrait avoir le dernier mot sur votre routine beauté.
C’est la Docteure Anne De Liever qui a accepté de jouer le jeu pour nous. Dermatologue depuis les années 2000, le Dr De Liever est spécialiste en dermato-vénérologie, une branche qui traite de tous les problèmes de peau.
Résultats ?
1ère question : “Hello ChatGPT, j’ai une peau mixte à grasse, de l’acné et j’ai 25 ans. Conseille moi une routine de soins de jour et de nuit, avec les produits à utiliser.”
La Dr. De Liever ne manque pas de commencer par une réflexion globale : avoir une belle peau, ce n’est pas qu’une simple question de crème et de sérum. “Il y a des choses avec lesquelles je suis d’accord, mais il y a aussi des choses qui m’interpellent”. Et quand il s’agit de ChatGPT, elle n’hésite pas à nuancer. Selon elle, l’IA peut proposer des routines de soins, mais elle oublie un détail fondamental : la peau, n’est pas qu’un simple produit à soigner, elle est liée à notre santé émotionnelle et notre mode de vie. « C ’est un organe. Elle détoxifie comme le foie et les reins, elle élimine ce dont l’organisme n’a plus besoin”, explique-t’elle. “C’est aussi un organe qui est en lien avec notre système nerveux”, ajoute-t-elle.
Bon à savoir : quand vous vous sentez stressé·e ou que vous traversez une période émotionnellement difficile, votre peau est impactée et … vous le fait savoir. Prenons l’exemple d’un·e adolescent·e sous pression pendant les examens, un classique que le Dr De Liever connaît bien. “Quand l’ado va subir du stress, son contexte hormonal va changer, il va bourgeonner et faire de l’acné.” Mais là où ChatGPT se trompe, c’est qu’il ne prend pas en compte l’aspect émotionnel du problème. “Ce n’est pas suffisant de lui dire : Ok, je vais te donner un nettoyant, une crème et on va exfolier. Je sais que ça ne suffira pas.” précise-t-elle.
L’IA perd encore des points lorsqu’elle recommande des produits comme l’acide salicylique ou l’acide glycolique. “Ici, j’ai le nettoyant à l’acide salicylique ou à base de niacinamide. En dermatologie, on va plutôt conseiller l’acide salicylique pour les taches brunes, et non pas contre l’acné” , nous dit-elle. Et attention à la concentration, elle prévient : ” L’acide salicylique, peut être fort irritant.” Même son de cloche pour l’acide glycolique : ” C’est un acide de fruits qu’on utilise pour des peelings ou pour resserrer les pores, il peut fortement irriter la peau si son utilisation est quotidienne et mal dosée.” Attention donc à ce que vous utilisez et quand et comment vous l’appliquer.
Autre point important, la Dr. De Liever ne néglige pas l’aspect personnalisé des soins. “Il y a des patient·es qui n’aiment pas utiliser un gel qui mousse et qui préfèrent une eau micellaire. Chaque peau a ses besoins spécifiques et chaque patient·e ses préférences.” Impossible donc pour ChatGPT de décoder tout ce qu’un être humain peut ressentir. “Il ne faut pas oublier que la peau est un reflet de notre état émotionnel, et ça, une machine ne pourra jamais le comprendre”.
Ça commence bien, “Je ne dis pas que tout est mauvais, mais il y a des choses auxquelles il faut faire attention”, prévient-elle. Focus sur la fameuse routine du soir ; si le double nettoyage est devenu un must, la Dr. De Liever ne partage pas vraiment cette approche. “Ce n’est déjà pas forcément utile. vous pouvez très bien utiliser un lait ou une huile démaquillante.” Quant à l’utilisation de rétinol et de rétinoïdes, ces dérivés de la vitamine A qui font souvent l’objet de toutes les attentions, elle est formelle : “Le rétinol, c’est très très très agressif pour la peau. Il ne faut pas l’incorporer dans une routine pour l’acné, mais plutôt le conseiller pour les peaux plus matures.”
La simplicité, c’est important. Retenez ces mots: Nettoyage-Hydratation-Régénération-Solaire. NeHyRéSo. « Les mots-clés sont : nettoyage matin et soir, mais en adaptant selon les besoins de la peau” , explique-t-elle. “Soit avec un gel doux nettoyant, soit avec une eau micellaire, soit avec un lait démaquillant.” Pour la Dr., le secret réside dans une crème adaptée, “Toujours en tenant compte de la fragilité et de l’épaisseur de la peau”. Et n’oublions pas, la régénération se fait surtout la nuit, quand notre corps récupère et que nos cellules se régénèrent.
La vrai star de tous les soins : la protection solaire. Le Dr De Liever insiste : hiver comme été, il est important de se protéger des rayons ultraviolets, mais aussi de la lumière bleue, qui peut également endommager la peau.
Bien sûr, l’exfoliation a aussi sa place dans une routine bien pensée, mais avec parcimonie. “Les gommages, les masques, c’est bien pour éliminer les cellules mortes, mais je conseillerais de le faire une fois par semaine, pas plus” . Cela évite les irritations tout en maintenant l’équilibre de la peau. ” Il existe des masques et des gommages déjà tout faits qu’il est possible de se procurer en pharmacie, comme le Kéracnyl de Ducray, à base d’argile verte.” Et pour celles et ceux qui préfèrent les recettes maison, pas de problème : ” Je vois de plus en plus de patient·es qui font leur masque eux-mêmes, en mélangeant yaourt, miel, café moulu, sel et quelques huiles essentielles.”
Un point positif est à attribuer à ChatGPT, celui de ne pas surcharger la peau avec trop de produits. En effet, plus il y a de produits différents, plus il y a de risques de réactions allergiques. Un conseil que la spécialiste applique également à la lecture des étiquettes. “Plus la liste des ingrédients est longue, plus il y a un souci, et on risque d’aller vers des ennuis.”
Alors, que penser des recommandations pour cette deuxième étape proposée par ChatGPT ? ” Tout n’est pas à jeter, il y a des éléments pertinents, mais encore trop généraux”, affirme Anne De Liever. Selon elle, dans une consultation, il est essentiel de personnaliser les soins en fonction des besoins uniques de chaque patient·e. “Même si j’ai 10 cas avec une peau grasse et de l’acné, je ne prescrirai pas la même chose aux 10.” C’est cette approche sur-mesure qui fait toute la différence et promet une meilleure efficacité de la routine.
2ème question : “Conseille-moi des produits adaptés à mon type de peau mixte à grasse”
L’IA commence bien. Les gels nettoyants sont validés. “Je suis d’accord. Le gel Effaclar purifiant, est très souvent conseillé.” Si l’efficacité de ces produits ne fait pas débat, elle nous rappelle toutefois qu’il faut être vigilant sur le choix du produit adapté. “Le CeraVe gel nettoyant, par exemple, il faut préciser que c’est dans la gamme anti-imperfection, parce qu’il existe aussi un gel nettoyant moussant CeraVe pour les peaux sèches”.
Le tonique, quant à lui, mérite quelques réserves. “On parle ici de toniques à base d’acide glycolique et d’aloe vera. Pourquoi pas, mais à ne pas utiliser tous les jours”, avertit-elle. Un conseil pour ne pas irriter la peau avec une utilisation excessive. Quant aux sérums, ChatGPT revient sur des choix comme le niacinamide et le zinc, mais là encore, le Dr De Liever tempère : “L’Hyalu B5 de La Roche-Posay, c’est bien. Mais pour une personne qui a de l’acné, je conseillerais plutôt le sérum Effaclar.” Un sérum ciblé pour les peaux à imperfections, qui agit spécifiquement sur l’acné.
Pour les crèmes hydratantes, ChatGPT fait des choix raisonnables, mais avec quelques ajustements à faire tout de même. “Neutrogena Boost Water Gel et La Roche-Posay, ce sont des marques qu’on utilise dans notre pratique, donc il n’y a pas de souci. Par contre, ce n’est pas forcément adapté à une peau grasse qui a de l’acné”, souligne-t-elle. Et quand ChatGPT recommande la crème Effaclar Mat, Dr De Liever nuance. “Le nom l’indique, c’est pour matifier, mais si un patient a de l’acné, il faut tout de même privilégier des soins anti-inflammatoires et anti-acné.” Elle recommande donc de se tourner plutôt vers l’Effaclar Duo, un produit phare de la marque, dont les principes actifs luttent directement contre l’acné.
Dans l’ensemble, les produits recommandés par ChatGPT ne sont pas mauvais, mais il faut parfois un petit ajustement pour chaque cas.
L’eau micellaire est idéale pour le soir, surtout si on se maquille. “C’est un 2-en-1 : ça élimine les impuretés et ça démaquille en même temps”, précise la Dr. Son astuce ? Si ses patient·es hésitent entre deux produits, elle leur conseille d’opter pour un nettoyant moussant le matin et l’eau micellaire le soir.
Lorsqu’on aborde les traitements, la dermatologue met immédiatement un bémol : “Le rétinol, je ne le conseille pas pour une peau acnéique.” Une fois le sérum appliqué, elle recommande de mettre une crème hydratante par-dessus pour protéger et nourrir la peau.
Et là où ChatGPT ne fait pas le poids face à un·e médecin c’est qu’il en oublie l’essentiel. “L’IA ne propose aucun traitement spécifiquement conçu pour diminuer les boutons d’acné”. Pour elle, l’intelligence artificielle a tort de placer la crème hydratante en cinquième étape. Selon elle, une bonne routine du soir commence par un nettoyage en profondeur, suivi d’un démaquillage soigneux, puis l’application d’un sérum adapté. C’est seulement à ce moment-là que l’on peut appliquer un traitement anti-acné. Les crèmes hydratantes et apaisantes, elles, doivent être réservées à la routine du matin. Encore une fois, ChatGPT est trop général.
La niacinamide est bien employé et la Dr. De Liever est convaincue de ses bienfaits. “Oui, la niacinamide, on peut l’utiliser matin et soir, elle n’est pas photosensibilisant, donc il n’y a aucun problème avec l’exposition au soleil”, précise-t-elle.
La dermatologue évoque aussi les traitements complémentaires : “Bien sûr, il y a aussi les compléments alimentaires et les médicaments pour traiter l’acné. Mais ça, c’est un autre step”. Des solutions efficaces, mais qu’elle préfère réserver à des situations plus complexes.
Nouvel essai, avec cette fois plus de précisions dans la question :
3ème question : ” Hello ChatGPT, j’ai un peau mixte à grasse, de l’acné et j’ai 25 ans. Conseille moi une routine de soins de jour et de nuit. Je suis en burn out et je viens de me faire quitter par mon copain. Propose moi des produits adaptés.”.
“Globalement, c’est la même chose”. ChatGPT propose des routines de soins qui ne prennent pas en compte la totalité du tableau. Pour la dermatologue, les conseils d’une IA sur l’acné, manquent de profondeur. “Si j’ai un·e patient·e qui vient me voir avec de l’acné et qui me parle de sa vie, en me disant qu’émotionnellement ça ne va pas, je vais lui expliquer qu’il y a un lien direct entre les deux”, explique-t-elle. Car, le stress, les chocs émotionnels, la fatigue ou les angoisses sont autant de facteurs qui peuvent faire surgir des imperfections. “La peau, c’est un peu le reflet de notre mode de vie”.
L’IA n’est aujourd’hui pas capable de comprendre ce lien complexe. En consultation, si le Dr De Liever remarque un problème émotionnel sous-jacent, elle ne se contente pas de prescrire une crème, mais va plus loin : “Je vais conseiller à la personne d’être suivie par un psychologue, pour vraiment aborder la cause profonde de son stress.” Pour elle, la prise en charge doit être globale. “Il faut tenir compte de l’activité physique, du sommeil, de l’alimentation anti-inflammatoire, et de la gestion des émotions. Ce sont des piliers fondamentaux pour être en bonne santé et avoir une peau saine”, insiste-t-elle.
Cependant, la dermatologue ne rejette pas complètement l’IA. “ChatGPT propose parfois des produits que je prescris régulièrement en consultation”, admet-elle. Mais ce qu’il manque à l’IA, c’est cette capacité à saisir la particularité de chaque patient·e. Conseiller des produits c’est facile, mais seul un·e professionnel·le peut réellement prendre en compte l’ensemble des facteurs qui influencent l’état de la peau.
ChatGPT et le futur
Si l’IA a révolutionné bien des domaines, elle a du mal à convaincre dans le domaine de la dermatologie pour la Dr. De Liever. “Ce que je n’aime pas dans les intelligences artificielles, c’est que c’est déshumanisant”, confie-t-elle. “On est quand même dans un métier de contact avec les patient·es.” Et pour elle, dans le soin de la peau, c’est essentiel de discuter. “Même si je n’étais pas médecin, je n’aurais pas l’idée d’aller chercher des conseils uniquement auprès de ChatGPT”, avoue-t-elle. Et pour elle, il n’y a pas de substitut à l’expérience humaine. “Bien sûr, il y a autant de dermatologues que d’avis différents”, ajoute-t-elle, mais l’échange direct reste irremplaçable.
Ce qui la dérange profondément, ce n’est pas tant l’outil en soi, mais les dérives qu’il pourrait entraîner. “Je ne dis pas que ChatGPT est mauvais en soi”, précise-t-elle. Le problème, est que tout le monde, jeunes et moins jeunes, se retrouve à suivre les mêmes conseils alors que tout le monde est unique et différent.
La Dr. Anne De Liever, rappelle que la peau est un territoire vivant, une zone d’interaction complexe et unique en son genre entre le corps et l’environnement extérieur. “L’intelligence artificielle peut aider, mais elle ne remplacera jamais ce lien humain médecin-patient qui est au cœur de la dermatologie”. S’en servir n’est pas mauvais si vous rencontrez des problèmes minimes et ponctuels. Mais pour le reste, elle doute que ce genre d’outils suffisent à satisfaire les personnes souhaitant un traitement efficace et personnalisé.