#hopecore : quels sont les pièges de la positivité toxique ?

Publié le 18 novembre 2024 par Maya Toebat et ELLE Belgique
#hopecore : quels sont les pièges de la positivité toxique ? ©Adobe Stock

Après le #cottagecore, le #softcore et le #tenniscore, la tendance #hopecore fait fureur sur TikTok. Cette mouvance exalte la beauté de la vie et souligne l’importance d’en profiter pleinement. Tentant, non ? Mais comment cultiver l’optimisme sans tomber dans la positivité toxique ni fermer les yeux sur les souffrances du monde ?

« Life is good. Life is beautiful. Relax, keep going. Lovely things will come. » Vous avez probablement déjà vu passer des citations motivantes ou des vidéos inspirantes sur Instagram, Facebook ou YouTube. Mais depuis l’année dernière, ces messages sont aussi devenus un véritable phénomène sur TikTok. Un nom leur est même attribué : #hopecore. Ces vidéos au style scrapbook, agrémentées de citations, illustrations, captures d’écran et extraits d’interviews, prônent la positivité et la joie, en réaction à la monotonie et aux nombreuses crises qui déchirent le monde.

Même si je suis plutôt optimiste de nature, j’avoue être un peu perplexe face à ces messages. Une phrase positive peut-elle rendre la vie plus belle en un tour de main ? Pour la psychologue Séverine Van De Voorde, ce mouvement est encourageant. « Instinctivement, les êtres humains obéissent à un biais de négativité, car d’un point de vue évolutif, détecter chaque danger augmentait nos chances de survie », explique-t-elle. « Nos cerveaux sont donc programmés pour accorder davantage d’attention au négatif. Dans un monde saturé de malheurs, ce biais prend
d’autant plus de place, et des phénomènes comme #hopecore représentent un contrepoids appréciable. »

Griet van Vaerenbergh, professeure de psychologie positive à l’université Thomas More, partage cet avis, mais tient à nuancer. « Une mentalité optimiste présente de nombreux avantages, surtout pour les personnes qui se sentent déjà relativement bien. Pour celles et ceux qui sont en proie à des problèmes comme la dépression, il faut aborder ces messages simplistes avec prudence, en particulier sur TikTok, car ils peuvent se révéler un peu trop réducteurs. »

Positivité toxique ?

C’est le côté superficiel des vidéos #hopecore qui me dérange. La vie n’est-elle pas parfois compliquée ? On pourrait presque culpabiliser de ne pas toujours voir le verre à moitié plein. Alors, à quel moment les good vibes sur les réseaux sociaux basculent-elles dans la toxicité ? « Le positivisme devient toxique lorsqu’il est systématiquement utilisé pour nier la douleur ou les émotions
désagréables », précise Griet Van Vaerenbergh. « Lorsqu’on confie à un ami les difficultés qu’on traverse avec notre sœur, par exemple, et qu’il nous répond qu’il faut aimer sa famille, ça ne laisse aucune place aux véritables émotions. Des études montrent que cette positivité toxique peut être nocive, car elle empêche de faire face aux difficultés et à la tristesse. Or, tout le monde traverse des moments compliqués. Vivre, c’est accepter l’existence de ces périodes. »

Pire encore, refouler ces émotions désagréables ou les anesthésier avec, par exemple, de l’alcool ou des messages toxiques, c’est courir le risque d’émousser notre capacité à savourer les bons moments. « On ne peut pas anesthésier ses émotions de manière sélective », résume Séverine Van De Voorde. « Si on repousse la douleur, on profitera moins des bons moments. »

Dans son ouvrage « Toxic Positivity », Whitney Goodman précise : « Une positivité saine laisse de la place à la réalité et à l’espoir. La positivité toxique, quant à elle, nie une émotion et nous oblige à la réprimer. » Pour éviter ça, il est donc crucial qu’on laisse venir nos émotions, agréables ou pas. « Une fois qu’on a identifié une situation désagréable, on peut effectivement lui donner une tournure positive, mais ce n’est pas la même chose que de l’ignorer purement et simplement », souligne Griet Van Vaerenbergh. « Il faut faire preuve de bienveillance et de curiosité envers ce qui se passe en nous. Nous devons accepter la confrontation avec nos pensées et sentiments, sans pour autant nous appesantir sur leur origine. On peut simplement se poser un moment et envisager l’avenir. Si un date nous fait faux bond, par exemple, on pourrait sombrer dans le pessimisme et tomber dans l’autodépréciation. Ou alors, on peut se dire : “J’ai deux heures devant moi, je vais en profiter pour enfin commencer ce livre qui m’attend depuis des mois.” »

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Journal de gratitude

L’idéal consiste à naviguer harmonieusement entre la joie et la douleur, un équilibre que les psychologues nomment « flexibilité émotionnelle ». Atteindre cet état et apprendre à voir les épreuves de manière positive ne s’apprend pas en regardant des vidéos sur TikTok. Pour vraiment entraîner une mentalité optimiste, il est essentiel de faire jouer son filtre attentionnel. « Ce sur quoi on se concentre se développe », explique Séverine Van De Voorde. « Si on s’apprête à acheter une voiture, on va en voir partout. De la même manière, si on se concentre toujours sur le positif, les aspects positifs de la vie finiront par ressortir davantage. Les personnes heureuses ne vivent pas nécessairement plus d’expériences positives, mais elles font affluer les souvenirs agréables en se les rappelant régulièrement. »

Pour y parvenir, Séverine Van De Voorde propose toute une série d’exercices. Par exemple, on peut rassembler des compliments reçus dans un « livre de fierté ». Une autre stratégie consiste à tenir un journal de gratitude, où consigner chaque soir trois moments lumineux. « Notons aussi le rôle que nous avons joué dans ces moments », ajoute Griet Van Vaerenbergh. « Par exemple : j’ai assisté à un magnifique coucher de soleil et je me suis donné la peine de sortir pour le regarder. Ça permet de comprendre qu’on peut soi-même créer des expériences positives. »

Depuis plus d’un an, je tiens moi-même un tel journal dans lequel je note les petites victoires glanées tout au long de la journée. Même les jours gris prennent une teinte plus lumineuse le soir venu, car il y a toujours un détail réconfortant à noter, comme une promenade entre les gouttes ou une caresse prodiguée à un chat dans la rue. Mais je suis consciente de mon privilège. Au moment où je recopie mes moments de gratitude, je vois défiler des vidéos de bombardements à Gaza ou de glaciers qui fondent. Plus que jamais, je ressens ce contraste : ai-je vraiment le droit d’apprécier un bon café dans ce monde si injuste ? « Oui. Il s’agit davantage d’un “et” que d’un “ou” », affirme Griet Van Vaerenbergh. « On peut dire c’est douloureux sans fermer les yeux sur ce qui va bien par ailleurs. Si on se concentre uniquement sur les catastrophes, on risque de se sentir impuissant ou submergé par une détresse empathique qui pourrait nous paralyser.

Être optimiste ne signifie pas attendre que tout s’arrange. Au contraire, la positivité aide à agir, car elle permet de continuer à voir les opportunités qui se présentent. »