On avait 19 ans, c’était notre première année de psychologie à l’unif. J’étais un peu perdu, tout était nouveau, j’étais plutôt du genre discret. Et il y avait Alice, dans le même bateau.
Très vite, on est devenus inséparables. On passait des heures à parler de tout, de nos rêves, de nos peurs, de ce qu’on voulait faire de nos vies. À la fin de l’année, j’ai réalisé que la psychologie, ce n’était pas vraiment ma voie. Alors j’ai changé de cap pour devenir kiné. Travailler avec le corps, la rééducation, c’était plus concret, plus moi. Alice, elle, est restée en psychologie, c’était vraiment sa passion. J’ai eu un peu peur que ce changement de parcours nous éloigne, mais en fait, notre amitié s’est renforcée. On continuait de se voir, de se raconter nos vies, comme si rien n’avait changé.
C’est lors d’un week-end qu’on avait organisé avec quelques amis que tout a basculé pour moi. Elle s’est blessée au genou après une mauvaise chute, et comme j’étais en pleine formation, c’est moi qui ai pris soin d’elle. Je me souviens encore du moment où j’ai commencé à examiner son muscle blessé. Le contact de sa peau sous mes doigts… J’ai ressenti une sorte d’électricité parcourir tout mon corps. C’était la première fois que je la touchais de cette manière, et je me suis rendu compte que mes sentiments pour elle avaient changé. Je ne l’aimais pas juste comme une amie. J’étais tombé fou amoureux d’elle. Mais elle sortait déjà avec Thomas, un mec sympa, drôle, sportif. Le genre de type que tu ne peux pas détester, même si tu le voulais. J’ai refoulé mes sentiments et je suis resté à ma place, celle du meilleur ami.
Les années ont passé, et je suis resté dans cette position inconfortable. Je l’ai vue se fiancer avec Thomas, puis se marier. Et j’étais là, debout à côté d’eux, en train de sourire pour des photos, alors que mon cœur se brisait. J’ai même accepté d’être le témoin de leur mariage. C’était la journée la plus belle et la plus douloureuse de ma vie. Elle était magnifique, dans sa robe blanche, et je la regardais dire « oui » à un autre homme. Mais je n’ai rien dit. J’ai souri, j’ai bu du champagne, j’ai fait semblant d’être heureux pour elle.
Je n’ai jamais arrêté de l’aimer. Mais au fond, je savais que je ne pouvais rien faire pour la récupérer. Plusieurs fois, j’ai imaginé des plans pour saboter sa relation avec Thomas. Je me disais qu’il suffisait de semer le doute, de la pousser à se poser des questions sur leur mariage. Mais chaque fois, je reculais. Parce qu’au fond, je suis quelqu’un de bien, ou du moins j’essaie de l’être. J’étais incapable de lui faire du mal. Et je ne pouvais pas non plus me résoudre à être un manipulateur. Alors, j’ai continué de la regarder de loin, à prétendre que ça ne me faisait rien. Ma vie amoureuse, de mon côté, a été un vrai désastre. Je sortais avec des filles, sans jamais vraiment m’investir. Aucune ne me faisait vibrer comme Alice. Mes amis – parce que oui, tout le monde était au courant – me répétaient que je devais passer à autre chose, que c’était malsain de m’accrocher comme ça. Mais comment oublier quelqu’un qu’on aime vraiment ? Comment oublier celle avec qui j’avais partagé tous les moments importants depuis des années ?
Puis, un jour, tout a changé. J’étais parti en vacances pour quinze jours, et Alice m’a appelé en panique. Elle s’était disputée avec Thomas et cherchait un endroit où se poser, seule, au calme. Sans réfléchir, je lui ai proposé de trouver refuge chez moi. Je me suis dit que ça pourrait l’aider à prendre du recul et puis elle avait déjà la clé. Ce que je ne savais pas, c’est qu’en venant chez moi, elle fouillerait gentiment. Peut-être par simple curiosité, ou peut-être parce qu’elle avait besoin de comprendre qui j’étais vraiment. Toujours est-il qu’elle est tombée sur mon carnet. Dedans, il y avait des années de pensées, de déclarations, de photos de nous, des mots maladroits, des poèmes. Tout ce que je n’avais jamais osé lui dire.
Quand je suis rentré de vacances, elle n’était plus chez moi. Elle m’avait juste laissé un message froid. Elle ne voulait plus me parler. Elle avait besoin de temps pour « réfléchir ». J’ai cru que je l’avais perdue à jamais. Un mois s’est écoulé. Un mois sans un mot, sans une explication. J’étais dévasté.
Puis, un jour, elle a repris contact. Elle voulait qu’on se voie, qu’on aille marcher, parler. Je me rappelle cette promenade comme si c’était hier. On a marché longtemps sans vraiment savoir quoi dire, l’atmosphère était lourde de non-dits. Puis elle a fini par me demander pourquoi je ne lui avais jamais rien dit. J’ai essayé de lui expliquer, de lui parler de mes peurs, de mes doutes, de ce que je ressentais vraiment. Et puis, on s’est embrassés. C’était doux, c’était beau, mais en même temps, c’était étrange. Après tant d’années à se considérer comme des amis, c’était comme franchir une frontière qui n’avait jamais été franchie.
Je me suis posé mille questions. Est-ce qu’elle m’aimait vraiment, ou est-ce qu’elle se tournait vers moi par dépit, parce que son mariage avec Thomas était en train de s’effondrer ? Ce doute m’a rongé. Pendant deux ans, on a essayé d’être ensemble, mais ce n’était jamais simple. Chaque geste était interprété, chaque parole analysée. J’avais peur que son amour pour moi ne soit pas sincère, que je ne sois qu’un pansement pour elle. Et finalement, cette incertitude nous a détruits. On a fini par se séparer, et j’ai essayé de l’oublier, de reprendre ma vie.
Mais le destin est parfois surprenant. Un an après notre séparation, lors d’une soirée avec nos amis communs, Alice a pris la parole devant tout le monde. Elle m’a déclaré son amour, sans retenue, sans peur. Elle m’a dit qu’elle avait compris que c’était moi qu’elle aimait, que c’était toujours moi. Je n’en revenais pas. Ce soir-là, on s’est embrassés à nouveau, entourés de nos proches. Cette fois, c’était magique. Juste de l’amour, pur et simple. Aujourd’hui, on s’aime comme jamais. Et l’été prochain, c’est moi qui l’épouserai.