C’est à peine si l’on est étonné.e. Et pourtant il faut l’être. C’est le seul moyen de conjurer cette banalisation du mal. La justice vient de rendre un avis qui fait l’effet d’un gros doigt d’honneur pour toutes les victimes de violences sexuelles. L’ex barman du Waff et du El Café, celui qui avait donné naissance au mouvement Balance ton Bar, a été reconnu coupable par le Parquet de Bruxelles. Mais il ne sera pas poursuivi, car la justice a estimé “la sanction sociale suffisante”.

Coupable mais pas puni

Petit rappel des faits. En octobre 2021, un ex-barman du Waff et du El Café (deux bars du quartier du cimetière d’Ixelles) est accusé de viol par deux femmes après les avoir droguées. L’agresseur âgé de 28 ans au moment des faits est alors transféré dans un autre établissement, bien que 17 plaintes aient été portées contre lui. À Bruxelles, le mouvement #BalanceTonBar est né. Ce qui se “résumait” à un appel à témoignages des violences sexistes et sexuelles (VSS) subies dans les bars bruxellois dévoile rapidement un phénomène d’agressions systémiques au sein du monde de la nuit. En quelques semaines à peine, des centaines de témoignages sont recueillis et publiés. À tel point que le mouvement commence à raisonner à l’international.

Trois ans après, l’accusé comparaît devant le tribunal correctionnel de Bruxelles, début décembre 2024. La confiance du public en l’appareil judiciaire dans le cas de procès pour violences sexuelles est très certainement proche du néant. On sait aussi que la moitié seulement des victimes arrivent à porter plainte. La moitié de ces plaintes mènent à un procès, et 2% seulement de ces procès mènent à une condamnation effective de prison. Pourtant, naïvement, on y croit. Naïvement, c’est le mot.

Car le parquet de Bruxelles a finalement reconnu l’accusé coupable des crimes qui lui sont imputés. C’est-à-dire que le parquet estime effectivement que la victime n’a pas été en mesure de donner son consentement en raison de son état d’ivresse, et le nouveau code pénal sexuel est clair : s’il n’y a pas de consentement, il y a viol. Les faits sont donc avérés. MAIS s’il y a culpabilité, il n’y a pas forcément peine pour autant. Une suspension du prononcé a en effet été requise, parce que la “sanction sociale” qu’a subie l’accusé a été considérée comme suffisamment lourde.

Une “sanction sociale suffisante”

“Le prévenu a déjà été suffisamment puni sur les réseaux sociaux. L’identité complète de l’homme a été diffusée, de même que son adresse. Des appels aux représailles ont également été lancés et plusieurs plaintes ont été déposées contre lui, qui se sont avérées injustifiées par la suite”, justifie le parquet, évoquant un “lynchage”. La procureure a indiqué que l’endroit où travaillait le barman avait été diffusé sur les réseaux sociaux. Il aurait été expulsé du restaurant qu’il fréquente et serait resté cloîtré chez lui pendant plusieurs mois. Pour le parquet, cette condamnation sociale est suffisante.

Cette suspension du prononcé est une mesure de faveur qui n’exclut pas une éventuelle indemnisation de la victime. Pour rappel, il s’agit bien de réquisitions et non du jugement définitif. Ce dernier aura lieu le 29 janvier. Pourtant, comment ne pas voir dans cette mesure, une banalisation de la culture du viol ? De plus, le risque subsiste que le tribunal suive l’argumentation du parquet, et que le jugement fasse ensuite office de jurisprudence pour d’autres cas similaires à l’avenir. Comment, dès lors, penser qu’une justice est possible dans le domaine ?

De la banalisation du viol

Alors même que l’on sait que l’appareil judiciaire ne demeure qu’une petite pièce dans l’échiquier qui se joue aujourd’hui. Comment endiguer le phénomène des violences sexuelles ? Comment cesser de considérer ce fléau planétaire comme une fatalité ? Car, on le sait, la prison n’a jamais été une solution non plus, et la plupart des victimes de violences sexuelles ne la souhaitent d’ailleurs pas. Pour rappel, le taux de récidive en Belgique est de 60%, tous crimes confondus, selon l’Institut National de Criminalistique et de Criminologie (INCC). “On pense encore que plus la peine est forte, plus elle est préventive, c’est faux”, nous rappelait récemment Miriam Ben Jattou, directrice de l’association Femmes de Droit.

Ce que les victimes veulent, c’est être reconnues. Or, la justice actuelle a fait le choix d’invisibiliser les conséquences fatales que le viol laissera sur tout leur parcours de vie. Il semble même les renier en prenant le parti des “souffrances” des accusés. L’absence de peine de prison sonne comme un fracassant pied de nez aux victimes de VSS. La démonstration flagrante, jusqu’aux plus hautes instances judiciaires, que la culture du viol a encore de beaux jours devant elle. Et que la souffrance incommensurable des agressées vaut finalement peu à côté de la sanction sociale des agresseurs. C’est peu dire.