Anne rêvait de s’acoquiner avec un homme des champs… Elle a déchanté. 

Si j’ai décidé de partager mon histoire, c’est pour prévenir les rêveuses. Celles qui croient dur comme fer à l’amour simple, pur, et à cette idée un peu idéalisée de la vie à la campagne. J’ai toujours eu cette image romantique de la nature, des champs, des animaux… J’ai grandi en affirmant que je voulais vivre loin du tumulte de la ville sans jamais réussir à m’en extraire. 

Je suis végétarienne, j’achète local et bio, je passe mes week-ends à me promener en forêt avec mon chien, et je rêve d’avoir un jour mon propre potager. Je travaille comme assistante vétérinaire, un métier qui nourrit ma passion pour les animaux. Tout me conduisait à m’intéresser à cette émission de rencontre. J’ai décidé d’envoyer une lettre à un homme qui se trouve être propriétaire d’une exploitation agricole. Je ne cherchais pas la célébrité ni les caméras, mais simplement l’occasion de rencontrer quelqu’un qui partage mes valeurs et mon amour pour la nature et les animaux. Je me disais que cette émission serait l’occasion parfaite de croiser la route d’un agriculteur, un homme authentique, avec des mains calleuses et un cœur d’or. Un homme qui saurait apprécier la simplicité d’une vie partagée au milieu des champs.

Je m’étais préparée à l’idée de ne pas être sélectionnée, et malheureusement, c’est ce qui est arrivé… J’étais pétrifiée face à ce garçon, je n’ai pas du tout montré le meilleur de moi-même. Mais j’ai tout de même été heureuse de faire la connaissance de gens – candidat·e·s ou accompagnant·e·s – avec de chouettes visions de l’existence. C’est avec l’ami d’un participant, présent pour soutenir son copain, que les choses ont pris un tournant inattendu. Jérôme avait un charme brut qui m’a intriguée. Grand, costaud, avec une barbe épaisse et des vêtements délavés qui respiraient l’homme de la terre, il dégageait une grande assurance. Il me parlait avec passion de son mode de vie écolo, de son refus de la société de consommation et de sa quête pour une vie « 100 % naturelle ». 

J’étais bouche bée, super curieuse et excitée. On s’est envoyé plusieurs messages, on a passé des nuits à parler et le week-end suivant, j’ai accepté de passer un week-end chez lui. 

Dès mon arrivée, les premières désillusions ont commencé. Jérôme vivait dans une petite maison très isolée, en bordure de champs. Cela aurait pu être charmant, mais tout dans sa manière de vivre frisait l’extrême. Pas d’électricité, pas d’eau chaude – seulement de l’eau de pluie récupérée. C’était rustique, mais je me suis dit que ça faisait partie de l’aventure. Ce qui m’a d’abord surpris, c’était l’odeur. Jérôme m’a expliqué qu’il ne se lavait pas avec du savon, considérant que même les savons bio étaient « trop transformés ». Il préférait se rincer simplement à l’eau froide, lorsqu’il jugeait cela nécessaire. Pas de déodorant, bien sûr. Le ménage se faisait également sans produits. La maison était envahie de poussière, de saletés et d’une certaine  humidité qui collait à la peau. Jérôme m’a dit en riant que « la saleté, c’était naturel ». J’ai fait mine de sourire, mais au fond de moi, je commençais à me demander dans quoi je m’étais embarquée.

Sa passion pour les animaux dépassait tout ce que j’aurais pu imaginer. Jérôme possédait quelques chèvres, des poules, et vivait en symbiose avec ses bêtes. Il refusait de traire ses chèvres, estimant que le lait leur appartenait. Les poules se baladaient dans la cuisine et il leur jetait des épluchures au sol. Un sol, bien sûr, souillé… « C’est leur droit, c’est moi qui vis chez elles », disait-il fièrement. Mais ce qui m’a profondément choquée, c’était son attitude envers les humains. Pour lui, les animaux devaient être traités avec le plus grand respect, quitte à sacrifier le confort des personnes autour de lui. Quand j’ai gentiment repoussé du bout du pied une poule qui venait me picorer les chaussures, il s’est emporté : « Ne la touche pas ! »,
m’a-t-il dit sèchement.

La première nuit chez Jérôme a été un cauchemar. Son lit était infesté de parasites. Je ne sais pas si c’étaient des puces, des punaises ou des poux, mais rien que d’en parler, les démangeaisons reviennent. Même s’il était très beau, il n’était plus du tout désirable. Je lui ai dit que je ne ressentais pas de déclic et que je préférais qu’on soit simplement amis. On a dormi chastement l’un à côté de l’autre, il a parfaitement respecté ma demande. 

Je me suis réveillée à plusieurs reprises, piquée de tous côtés. Mais lorsque je lui ai parlé du problème, il s’est contenté de hausser les épaules. « C’est la nature, Anne, il faut l’accepter. » 

Le lendemain, j’ai tenté de garder l’esprit ouvert et d’apprécier l’expérience. Mais plus la journée avançait, plus les choses empiraient. Jérôme se montrait de plus en plus rustre et indélicat. Il se moquait de mes efforts pour rester propre, m’accusant d’être « bourgeoise » parce que j’avais osé lui demander un peu d’eau chaude. Pire encore, il se montrait parfois condescendant, m’expliquant que ma vision du monde était « polluée par la société de consommation ». Pour lui, toute interaction humaine semblait être une perte de temps, sauf si cela concernait la protection des animaux. Le soir venu, épuisée et dégoûtée, j’ai décidé de rentrer chez moi. J’étais, à sa demande, venue en train et nous avions parcouru 3 kilomètres à pied depuis la gare, j’étais donc coincée. J’ai appelé ma sœur qui a tracé sur 80 kilomètres pour venir me « sauver ». Je pouvais m’échapper de cet enfer écologique. Jérôme m’a juste dit : « Tu es comme tout le monde et le jour de l’effondrement, tu ne survivras pas longtemps. » J’ai été profondément marquée par ce week-end. Depuis, mon rapport à la nature a changé. J’ai toujours aimé les animaux, et cela ne changera
jamais. Mais cette expérience m’a  appris que certaines positions peuvent devenir oppressantes, déconnectées du respect pour les autres, et même dangereuses. Jérôme avait dépassé les bornes de ce qui me semble raisonnable.

Aujourd’hui, je continue de mener une vie simple, mais je garde un regard plus critique. Et surtout, je suis devenue beaucoup plus méfiante lorsqu’il s’agit de l’amour à la ferme…