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« Marcher le Chemin » est devenu l’une des expériences les plus en vogue du moment. Notre journaliste Céline Gautier a tenté l’aventure et a vécu pendant deux mois et demi avec six kilos sur le dos et deux t-shirts. Elle passe en revue les bonnes et mauvaises raisons de prendre la route.

L’Erasmus ? C’est fait. Le grand voyage en Asie ? C’est fait. La retraite de méditation vipassana ? C’est fait. Dans ce cas, il va peut-être falloir songer à compléter la triade du développement personnel moderne par l’expérience ultime : le pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle. Les jeunes urbains du monde entier y accourent et se mêlent aux dames des paroisses de France et de Navarre. D’un avis unanime, le Chemin redonne du sens, rappelle les priorités et vivifie les valeurs. ça tombe bien, c’est tout ce qui vous manque en ce moment ! D’ailleurs, vous avez lu Jean-Christophe Rufin (« Immortelle Randonnée ») et vous venez de vous racheter un sac à dos. C’est un signe. Mais…

  • Je suis athée, bouddhiste, musulmane

N’allez pas croire que les pèlerins modernes sont motivés par les reliques du Saint-Chevalier et portent des croix autour du cou. On croise, bien sûr, quelques vrais dévots et (surtout en France) l’une ou l’autre familles pleines d’enfants aux noms d’apôtres, mais c’est une infime minorité. L’aventure attire des chrétiens, des agnostiques, des juifs, des boudhistes, des évangélistes et des athées. Les hébergements catholiques (monastères, salles paroissiales, petites chapelles transformées en dortoirs, familles…) sont ouverts à tous. On peut toujours préférer un camping ou une auberge communale ou privée, au risque, parfois, de passer à côté des accueils les plus chaleureux et de lieux grandioses. Si la religion vous donne vraiment des boutons, vous pouvez aussi aller dans un resort au bord de l’eau.

  • Personne ne veut m’accompagner

Très mauvaise excuse ! Énormément de pèlerins partent en solitaire. Sur la route et lors des pauses, tout le monde se salue d’un « buen camino » et le contact est plus facile que n’importe où ailleurs. Dormir à vingt dans un dortoir, sur des lits superposés, tous âges confondus, crée évidemment des liens. D’innombrables histoires d’amour naissent sur un Chemin, très fréquenté par les célibataires. Partir seule peut être une formidable occasion de se retrouver, de se défaire de son image sociale et de s’ouvrir aux autres. Il y a plus de femmes que d’hommes qui voyagent seules et toutes disent la même chose : elles ne se sont jamais senties autant en sécurité qu’en pleine nature, en route vers Compostelle.

  • Je viens de fêter mes 60 ans

Bon anniversaire ! Vous êtes dans la tranche d’âge idéale. En France, les retraités sont légion et prouvent, s’il le fallait, que l’endurance augmente avec le temps. Beaucoup font la route en tronçons d’une ou deux semaines par an. Il existe des services de portage de sac ou même de taxi-secours pour les plus fatigués, qui pourront se reposer dans des auberges privées relativement confortables. Libre à vous de faire des étapes courtes, qui correspondent à votre rythme, comme cette petite dame de 80 ans que l’on a croisée, trottinant gaiement dix kilomètres par jour. Nul besoin de souffrir ou de se faire mal pour vivre une expérience mémorable.

  • J’aime la mode

C’est plus problématique. Car, au moment de faire son sac, la vraie question n’est pas de savoir ce qu’on emporte, mais ce qu’on n’emporte pas. On recommande, pour une femme, de ne pas porter plus de sept-huit kilos. Si vous réservez un ou deux kilos pour l’eau et le pique-nique, et que vous enlevez encore un kilo (correspondant au poids d’un sac à dos « léger »), il vous reste environ cinq kilos d’équipement, avec lesquels vous devez affronter la pluie, le soleil et le froid. C’est pratiquement impossible, à moins de traquer tout le superflu (comprenez : non indispensable à votre survie) au gramme près ! Adieu maquillage, livres, robe du soir et tablette. Pensez aussi que votre lessive doit sécher en une nuit maximum, même les jours de pluie. Il est donc indispensable d’avoir des vêtements techniques ultralégers, mais en général peu réputés pour leur coupe de rêve (à moins d’y mettre le prix). Pour beaucoup de femmes, marcher plusieurs semaines représente une expérience inédite de lâchage antifashion.Vous pouvez toujours partir plus chargée, comme 99 pour cent des marcheurs, et soit vous ruiner le dos, soit faire la fortune des bureaux de poste du Chemin, spécialisés dans l’envoi de colis…

  • Je n’aime pas les dortoirs

Allez donc à l’hôtel ou dans les auberges privées les mieux cotées (de préférence en faisant porter votre sac et en terminant l’étape en taxi, histoire de montrer aux autres que vous n’êtes pas là pour faire un chemin de croix). Mais vous passerez alors à côté de ce qui fait la magie du Chemin : quand quelqu’un propose à la cantonade une gigantesque pasta à la façon de sa maman, que chacun apporte du vin, des fruits ou des fromages achetés en route et que l’on refait le monde, à la tombée de la nuit, sur des tables en plastique.

  • Mon banquier n’est pas d’accord

Il a peut-être raison. Un long voyage, même dans des conditions rudimentaires, n’est pas gratuit. En France, les auberges privées offrent des demi-pensions avec dîners plantureux et arrosés pour 35 euros la nuit. Si on n’en n’a pas les moyens, mieux vaut opter pour une auberge municipale (entre 10 et 25 euros) et cuisiner sur place. En Espagne, on loge facilement pour 6 euros la nuit et on a le choix entre un « menu pèlerin » dans un restaurant du coin ou un petit frichti avec les moyens du bord. Partout, des propriétaires, des paroisses ou des associations proposent le gîte et le couvert en échange d’une participation libre. C’est le principe du « donativo », très en vogue, et qui s’étend maintenant à d’autres services comme les massages. On trouve aussi, partout, le long du Chemin, des thermos de thé ou de café, des fruits ou des biscuits, déposés chaque matin par des villageois à destination des pèlerins.

  • Je ne parle pas espagnol

Soit partez en France, soit débrouillez-vous avec l’anglais, vos mains ou l’aide des autres pèlerins. Le Camino francés (entre Saint-Jean-Pied-de-Port dans les Pyrénées et Saint-Jacques-de-Compostelle) attire les foules du monde entier. Des Américains (côte Ouest), Canadiens, Australiens ou Sud-Africains séduits par le (très mauvais) film « The Way » avec Martin Sheen. Des Coréens super-équipés souhaitant revivre l’expérience d’une de leurs auteures à succès. Des Brésiliens suivant la trace de Paulo Coelho (« Le Pélerin »), ou encore des Argentins, Chiliens ou Mexicains. On y parle souvent toutes les langues en même temps – français compris.

  • Je ne suis pas du genre à finirmes soirées à l’eau

Ca tombe bien. Le Chemin, tant en France qu’en Espagne, traverse des régions vinicoles magnifiques et les étapes se terminent inévitablement autour d’un vin local, d’un jambon du cru ou d’une collection de tapas. Le soir, l’ambiance est clairement plus à l’apéro qu’à la prière. Et de nombreux pèlerins, bien inspirés, déclarent même que la bière et ses sels minéraux les protègent des tendinites. Si, en revanche, vous recherchez le calme, l’ascèse ou la solitude, préférez les chemins les moins fréquentés.

  • LA BIBLE

S’il n’y avait qu’un seul livre à lire avant de se mettre en route, ce serait bien celui-là : « Les Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Bible de l’apprenti pèlerin », d’Alexandra de Lassus (Chêne). Le Chemin est-il une terre de concentration de tous les fashion faux pas de la terre (la réponse est oui) ? La marche est-elle un sport de bras cassés (la réponse est non) ? Que mettre dans son sac, d’où partir et comment identifier les ronfleurs ? L’auteure passe en revue toutes les questions pratiques. Une lecture indispensable pour celles qui veulent partir – ou juste en rire.