Celles qui sont aussi belles en vêtements de marque devant l’objectif de Lalo + Eva qu’en jogging et baskets se comptent sur les doigts d’une main. Inge Onsea (54) en fait partie. La femme à la tête du label de mode le plus coloré de Belgique est une force de la nature. Un tourbillon qui emplit l’espace en un éclair de son enthousiasme contagieux et de son énergie juvénile. Comme si les années n’avaient aucune prise sur elle. Lorsque nous la rencontrons une semaine après le shooting au siège d’ Essentiel Antwerp, elle nuance nos propos : “Le lendemain du shooting, mon âge s’est rappelé à moi. Je me donne toujours à 100 % et je cours partout comme une hystérique, mais tout ça se paie (rire).”
Interview d’Inge Onsea, fondatrice d’Essentiel Antwerp
Elle boit une gorgée de café et s’inquiète de savoir si ça nous dérange qu’elle allume une cigarette. Plus tard au cours de l’interview, elle évoque ce qu’elle appelle son seul péché de jeunesse. “Je suis occupée à lire un livre censé m’aider à arrêter de fumer. Je suis à la page 100. J’ai le droit de fumer jusqu’à la page 200 et ensuite c’est terminé, comme le livre. Cette fois, ça va vraiment marcher.” Ce n’est pas la première fois que le ELLE Belgique publie une interview d’Inge Onsea. Essentiel Antwerp a déjà 25 ans. Mais l’angle d’attaque de la marque – “plutôt choquer qu’ennuyer” – reflète aussi la personnalité de sa fondatrice. Elle ne s’ennuie jamais. Les petites digressions amusantes qu’elle glisse dans ses réponses sont très plaisantes à entendre. Nous apprenons ainsi qu’elle a rencontré son petit ami, de 18 ans son cadet, dans une église, qu’elle veut vieillir comme Elizabeth Taylor, qu’elle répond aux e-mails haineux par un T-shirt “Love is Essentiel” et que son ancien mari, Esfan Eghtessadi, avec qui elle partage deux fils et Essentiel Antwerp, reste l’homme le plus important de sa vie.
Contrairement à beaucoup d’ex qui ont du mal à s’entendre, vous dirigez ensemble une entreprise de mode qui emploie 230 collaborateurs et s’appuie sur 780 points de vente et 40 boutiques en propre.
Essentiel Antwerp est notre troisième enfant. Si nous n’arrivons plus à accorder nos violons, l’histoire s’arrête et notre monde s’écroule. Je pense que Esfan et moi sommes suffisamment intelligents pour le comprendre. D’ailleurs, notre entente est meilleure aujourd’hui que lorsque nous étions encore mariés. Nous sommes tous les deux de grands passionnés, aussi têtus l’un que l’autre. Après des disputes fracassantes pour un bouton ou une nuance de bleu, une certaine distance s’est aujourd’hui installée entre nous et ça se ressent dans la communication. Nous sommes… plus diplomates (rire). Je dois parfois mettre mon ego de côté, ce qui n’est pas évident car j’ai un gros ego !
Vous pouvez vous le permettre car vous incarnez Essentiel Antwerp. Après toutes ces années, savez-vous encore où s’arrête votre personnalité et où commence l’ADN de la marque ?
À peine, la frontière est ténue. Mais il n’a jamais été dans mes intentions de me mettre en avant. Ça s’est fait spontanément. Chaque saison, nous concevions quelques pièces un peu plus extravagantes. La cerise sur le gâteau. C’était en quelque sorte “mes créations”. Avec des paillettes, des broderies, de la fausse fourrure… Grâce à nos réseaux sociaux et à nos points de vente à l’international, le succès a été au rendez-vous à chaque collection. Et ces pièces flamboyantes et sophistiquées partent toujours en premier.
Je dois parfois mettre mon ego de côté, ce qui n’est pas évident car j’ai un gros ego !
Votre style a toujours été aussi original ?
J’ai grandi à Edegem, qui n’a rien d’un haut lieu de la mode. Mais ma mère avait bon goût. Elle m’emmenait dans des magasins de seconde main des environs comme le Pardaf. Je me souviens qu’à l’école, tout le monde portait une veste Millet de couleur bleue sur son uniforme tandis que moi, j’arborais un manteau Montana avec des épaulettes militaires (rire). La passion des couleurs est née un peu plus tard, pendant mes années à Mumbai. J’y ai vécu de 1990 à 1995 (lors de sa love story avec l’acteur de Bollywood Karan Kapoor, NDLR) et je me suis habituée à cette explosion permanente de couleurs et d’imprimés. En rue, les hommes portaient un longhi à carreaux et une chemise à fleurs, comme dans un défilé de Dries Van Noten. Un vrai plaisir pour les yeux. Avec Tom (De Poortere, NDLR), mon bras droit, nous nous rendons encore régulièrement en Inde pour trouver l’inspiration. Ce pays est notre caverne d’Ali Baba.
Votre amour pour le vintage n’a jamais faibli.
(quitte son fauteuil pour sortir des rayons des vieux Ricardo Tisci, Krizia, Sacai et Comme des Garçons) La mode va trop vite. Les pièces qui sont aujourd’hui en ligne seront déjà démodées dans six mois. Et se retrouveront en boutique ! Ça explique peut-être mon attirance pour le passé. La question est de savoir ce qu’on considère comme vieux et comme nouveau… La mode se répète éternellement. J’adore faire du shopping vintage avec Tom. Rien ne me procure un tel sentiment de liberté. Mon regard s’attarde généralement sur des robes longues garnies de plumes et de paillettes. Je lâche alors un “ce sera pour quand je serai vieille”. Pour déambuler dans mon appartement. Ne riez pas, mais je suis déjà en train de remplir ma garde-robe pour vieillir avec grâce comme Elizabeth Taylor.
Avant d’en arriver là, avez-vous encore des ambitions pour Essentiel Antwerp ? Il y a dix ans, vous aviez confié à ce magazine que vous rêviez d’une boutique à New York. Un rêve devenu réalité.
La boutique de Soho a effectivement représenté une étape importante. J’aimerais encore en ouvrir une à Miami, mais ça n’a plus autant d’importance à mes yeux. Mon seul souhait est de pouvoir continuer sur ma lancée avec le même enthousiasme débordant. Diriger une marque est une activité d’une grande intensité, qui frise la schizophrénie. Tous les deux mois et demi, nous créons une nouvelle collection et nous travaillons en permanence sur deux collections en même temps. Rien d’impossible mais il faut avoir une motivation à toute épreuve. Ne jamais ressentir mon travail comme du travail est un avantage que j’apprécie à sa juste valeur. Il m’arrive de me plaindre d’être fatiguée. Mais si vous m’accordez un week-end d’oisiveté, je me sentirai complètement inutile.
Votre page Instagram se place clairement sous le signe de la fête. Êtes-vous une fêtarde ?
(sans hésiter) Oui, j’en ai besoin pour me vider la tête. Je ne sais absolument pas danser, mais j’y mets tout mon enthousiasme (rire). Je préfère me déchaîner sur la piste dès 21 h pour pouvoir me mettre au lit à minuit. Je trouve la partie préparatifs, où je m’habille et je me fais belle, beaucoup plus excitante…
Avec qui aimeriez-vous passer une soirée sur la piste de danse ?
Courtney Love, qui a l’air d’être une femme cool. Quelqu’un qui a vaincu ses démons et peut partager des leçons de vie. Et Lenny Kravitz !
De l’avis général, vous êtes aussi une hôtesse très divertissante.
La cuisine n’est pas ma tasse de thé, les gens viennent toujours pour l’ambiance et la convivialité, jamais pour manger. Mon cercle d’amis est très diversifié, j’aime rassembler les gens. Il m’arrive de rédiger à l’avance un poème pour chaque convive. Je le lis et chacun tente de deviner à qui il est destiné. Aussi étonnant que ça puisse paraître, mes fêtes sont une ode à la poésie (rire).
Nous ne sommes pas fans des bonnes intentions, mais bien des bons conseils. Lequel donneriez-vous aux jeunes marques ?
Ne pas trahir son identité. Construire un ADN et ne pas avoir la folie des grandeurs. Esfan et moi l’avons appris à nos dépens. En 2006, Essentiel Antwerp avait perdu son image. Nous n’accordions pas d’exclusivité et nous vendions à tout le monde. Les acheteurs ne supportaient plus de devoir se contenter de collections de 800 pièces. C’est compréhensible. La décision de tailler dans le nombre de magasins multimarques s’est imposée. L’histoire s’est répétée pendant la pandémie. Nous sommes passés de 120 boutiques multimarques en Belgique à 60. Heureusement, notre marque n’a cessé de se renforcer. Avec ces 60 points de vente, nous réalisons le même chiffre d’affaires qu’avec le double à l’époque. Comme on dit, ce qui ne vous tue pas… Ça semble assez incisif, mais c’est la réalité.
Trouvez-vous difficile de choisir une seule vie ? Vous arrive-t-il de vous demander où vous en seriez aujourd’hui si à l’époque…
Non, mais j’ai effectivement le sentiment que plusieurs vies s’offraient à moi. J’ai été mannequin pour Max Mara et Mugler, choriste en playback pour les Dinky Toys, assistante du magicien Jan Bardi… Et puis il y a eu ma vie en Inde, ma vie de femme mariée avec Esfan, ma vie de célibataire de 50 ans… Mon compagnon actuel a 18 ans de moins que moi et la vie que je mène avec lui ne ressemble à aucune autre. Et ce n’est pas fini. Un jour viendra où je porterai mes robes à plumes !