L’invitation envoyée par email a eu le don de titiller notre curiosité : « Vendredi 17 janvier, Meth Gala, 19 h, buffet disponible »… Comme chaque année, Dorothée F. organise sa fête d’anniversaire en grande pompe. Baptisée Meth Gala (jeu de mots entre le Met Gala d’Anna Wintour et la drogue de synthèse crystal meth), cette soirée a pour but de faire la fête sous l’effet de substances psychédéliques prises en petites quantités (soit environ un dixième de la dose classique pour un « voyage » stupéfié). La reine de la fête et ses invités entendent ainsi profiter des effets amusants de ces stupéfiants (stimulation cognitive, ivresse visionnaire, résonance avec la nature et l’inconscient…) sans en subir les effets trop puissants ou négatifs (hallucinations, mauvais trip, dissociation…).

Ici, l’ambiance se veut bon enfant. Pas question de s’enfermer dans les toilettes pour prendre de la coke en solo, l’esprit est au partage et au lâcher-prise. Du coup, le soir J, nous sommes invités à aller nous servir au fameux « buffet » où s’empilent de petites boîtes de Magic Truffles aux noms amusants. Entre « Pink Paradise » ou encore « Over the Rainbow », notre cœur balance… On ne sait ni choisir ni comment et combien en prendre. Heureusement, Fabrice, apôtre du microdosing, est là pour tout nous expliquer : « Le but du jeu est d’éviter le bad trip », me souffle celui qui sera notre guide pendant toute la soirée. « Autrement dit, tu dois y aller molo et garder le contrôle afin de ne rien ressentir de dérangeant. L’idée étant de s’amuser tout en profitant de l’apport psychostimulant et euphorisant des champis. » Soit de ne garder de ces psychédéliques que l’activation de la sérotonine, le neurotransmetteur associé à la bonne humeur et l’activité intellectuelle tonifiée. Briefé, on prend une toute petite poignée de ces champignons magiques et on les mastique religieusement…

Une heure après, les effets se font toujours attendre. Tellement qu’on aurait presque envie d’en reprendre. Et puis, mine de rien, nos pieds se mettent à faire le moonwalk jusqu’à la piste de danse, on prend notre ami Thomas dans nos bras pour lui montrer combien on l’aime, on parle longuement du bonheur d’être maman avec Marie qui vient d’accoucher d’une petite fille, on rit beaucoup, on kiffe la musique… Mais est-ce le champignon ou juste le plaisir d’être à cette fête ? En y réfléchissant, peut-être est-on plus présent, plus attentif – plus « carpe diem » que d’habitude. On déguste vraiment le fait d’être là, conscient d’être vivant et de ressentir un doux sentiment de bien-être. Les idées parasites qui quelquefois nous gâchent les bons moments semblent s’être évaporées. On se trouve dans un état de conscience comme augmenté. On sait très bien où on est et avec qui. 

Meth gala

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Troquer le café pour du micro LSD ?

La vague du microdosing de psychédéliques pour stimuler son imagination, se concentrer, tout en se sentant bien dans sa peau, est courant chez les nerds de la Silicon Valley. Là-bas, les usagers cherchent la voie rapide pour doper leur créativité et améliorer considérablement leurs performances au travail. Se microdosent aussi ceux qui cherchent à se débarrasser de leurs idées sombres, à vivre plus sereinement − « Je me sens présent, mes mauvaises pensées s’envolent », nous raconte Olivier qui suit une psychothérapie assistée par psychédéliques −, ou à se rapprocher de la nature − « c’est une joie indescriptible de se promener dans la forêt quand on a pris une microdose de LSD. On a l’impression de ne faire qu’un avec l’univers », ajoute-t-il. Olivier est entrepreneur, il roule en Porsche Cayenne et porte un pull noué autour de ses épaules : il n’a rien d’un hippie ni d’un teufeur de festival techno. Adepte du microdosing, il décrit les champignons magiques comme une sorte d’antidépresseur, de tonique positiviste qui diffère des anxiolytiques qu’il a pris pendant des années pour se sentir mieux. « Cela améliore mon humeur, ma concentration. Je peux enfin finir une tâche que j’ai commencée, ce qui est difficile pour moi qui suis hyperactif », conclut-il.

Quant aux méthodes d’administration, elles sont infinies. Dorothée, elle, suit le protocole Fadiman, l’un des plus populaires, développé par le Dr James Fadiman, psychologue américain, pionnier des psychédéliques dans les années 1960. Le principe est simple : une prise tous les trois jours d’un dixième à un vingtième de la dose récréative de champignons hallucinogènes, et ce, pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. « En vrai, avec le microdosage, chacun est son propre cobaye », détaille cette cadre en entreprise qui assure que cela l’aide à rester ultra-concentrée toute la journée… « Et puis, il ne suffit pas d’ingérer une substance psychédélique pour qu’elle ait des effets vertueux, encore faut-il le faire dans de bonnes conditions, c’est-à-dire dans un cadre apaisant, avec des personnes de confiance », ajoute-t-elle. « Dans les jours qui suivent la “prise”, tu as ce sentiment diffus de bien-être qui perdure, tes pas sont plus légers, ton regard plus aiguisé. Avec le recul, je dirais que cela m’a permis de prendre un peu de distance par rapport à mon ego. C’est ce qu’on apprend à faire au bout de plusieurs années de psychothérapie ! », plaisante-t-elle avant d’ajouter : « Évidemment, cette expérience reste risquée et je pense qu’elle n’a pu être possible pour moi que parce que je suis bien entourée et que je prends des mini-doses. » Sachant que les entreprises pharmaceutiques investissent des sommes énormes dans le microdosing, espérant produire demain, en série, des pilules proactives, cela nous inquiète d’un coup.

Est-ce que le microdosing ne risque pas de devenir non pas une nouvelle manière de jouir du présent, d’éprouver une connexion enrichie avec son environnement et ses proches, une légère ivresse de vivre, mais une sorte de nouvelle coke pour booster les jeunes cadres pressés ? Est-ce que le microdosing n’est pas en passe de transformer l’expérience psychédélique en un juteux marché de dopage ? Un monde où nous serions de bons petits soldats toujours heureux et enthousiastes, psycho stimulés, infatigables… Jamais déprimés.

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Mangez-moi, mangez-moi, mangez-moi (ou pas) ?

Alors que de plus en plus de travaux récents montrent l’intérêt des psychédéliques dans le traitement des maladies psychiatriques, les scientifiques restent très réservés sur le microdosage. Quand dans les études ils interrogent les utilisateurs, les bénéfices semblent nombreux. « Mais les recherches en laboratoire n’ont jusqu’à présent pas montré d’effet positif. Il existe des preuves assez claires que le microdosage provoque des changements dans l’état conscient et l’activité cérébrale des personnes, mais jusqu’à présent, il est moins clair si ces changements conduisent à des avantages cliniques ou cognitifs significatifs », admet la psychiatre Astrid Kaiserman qui a étudié pendant de nombreuses années l’avenir des psychédéliques en psychiatrie. Difficile donc, pour le moment, d’avoir un avis définitif sur cette pratique.

Seule certitude, les substances psychédéliques, microdosées, sont considérées sans grand danger pour la santé. Le vrai risque, finalement, est juridique. Ces produits sont considérés comme des stupéfiants en Belgique et un peu partout dans le monde d’ailleurs. Créée il y a cinq ans, l’association Psychedelic Society Belgium plaide pour que l’utilisation de ces substances soit retirée du Code pénal belge afin de les exploiter en accompagnement thérapeutique. 

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