Frottis du col de l’utérus ? Coché. Mam­mo­graphie tous les deux ans après 50 ans ? Coché aussi. Sur certains fronts, la sensibilisation a fait des progrès notables. Bien qu’il reste encore un immense travail à accomplir. Mais connaissez-vous votre tension artérielle ? Selon les estimations, une personne hypertendue sur deux l’ignore. Pourtant, l’hypertension est impliquée dans plus de la moitié des AVC, selon la World Stroke Organization. « Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle le tueur silencieux », explique la Dre Amina Sellimi, neurologue spécialisée en AVC. « Indolore et invisible, elle abîme peu à peu les vaisseaux des yeux, des reins, du cerveau… » Peu importe l’âge, il vaut mieux la surveiller. Le réflexe à adopter ? Faire vérifier sa tension à chaque consultation.

80 % des AVC pourraient être évités

Car c’est une autre donnée souvent ignorée : 80 % des AVC féminins pourraient être évités grâce à la prévention. La première étape, comme on vient de le voir, consiste à surveiller et réguler sa pression artérielle, surtout en cas d’antécédents familiaux. Mais ce n’est pas le seul levier. « On parle de “risque cumulé”, c’est-à-dire que c’est l’addition de bons réflexes qui va permettre de diminuer drastiquement les facteurs de risque », explique la Dr Amina Sellimi. Pour préserver son cœur et ses artères, tout le monde a intérêt à : manger équilibré, faire 30 minutes d’activité physique par jour et privilégier l’eau aux sodas et à l’alcool. Fumer double le risque d’AVC ischémique cérébral selon la Société française neurovasculaire. Il est également primordial de surveiller son taux de « mauvais cholestérol » (LDL) tous les cinq ans.

Une personne sur six

Ce b.a.-ba pour une bonne hygiène de vie − combien de fois ressassé, mais ô combien important − vaut quel que soit le sexe. Pourtant, les femmes ont tout intérêt à les prendre au pied de la lettre. Car en matière de maladies cardiaques, c’est elles qui paient le prix le plus lourd. Concrètement, un AVC survient lorsqu’une zone du cerveau est brutalement privée de sang. « Dans 80 % des cas, il s’agit d’un accident vasculaire cérébral ischémique. L’un des vaisseaux qui irriguent le cerveau est obstrué par un caillot. Moins fréquemment (20 %), il s’agit d’un AVC hémorragique. Le vaisseau se rompt et provoque une hémorragie cérébrale. On estime qu’une personne sur six sera victime d’un AVC au cours de sa vie », explique la professeure Agnès Pasquet, cardiologue et cheffe de clinique à l’UCLouvain.

AVC

© Klaartje Busselot

Les femmes plus à risque

Plusieurs facteurs expliquent pourquoi les femmes ont plus de malchance de subir un AVC que les hommes. Leur statut hormonal d’abord. Trois périodes sont particulièrement à risque : la contraception hormonale dans leur jeunesse − surtout si elle est associée à la cigarette −, la grossesse et le post-partum où le risque est triplé, et la ménopause, surtout si elle est précoce, qui augmente le risque d’AVC d’environ un tiers. Ensuite, leur espérance de vie plus longue les rend plus vulnérables aux maladies liées au vieillissement, comme l’arythmie cardiaque, souvent à l’origine des AVC. « Leur profil de risque a aussi évolué avec les années : les jeunes femmes fument plus tôt et plus fréquemment, consomment davantage d’alcool et ont une alimentation moins équilibrée qu’avant », observe la Dre Amina Sellimi. 25 % des AVC touchent des personnes de moins de 55 ans.

Fossé médical

Lors d’un AVC, chaque minute fait perdre 2 millions de neurones à notre cerveau. Toutes les 30 minutes, le risque de mortalité et de handicap augmente de 20 %. Dans son livre « Réparée » paru il y a six mois, Sarah Bardin raconte l’AVC auquel elle a survécu à seulement 29 ans. Elle relate comment − malgré avoir reconnu elle-même ses symptômes −, elle a dû affronter la défiance de son médecin traitant, de son conjoint et même de l’équipe médicale à son arrivée à l’hôpital, avant qu’une IRM ne vienne enfin valider son propre diagnostic. Un chiffre édifiant, révélé en 2018 par la Fédération française de cardiologie, illustre ce phénomène : il faut en moyenne une heure de plus pour que l’entourage appelle les secours selon que la personne concernée soit une femme ou un homme.

Plusieurs biais entrent en compte. « Les études montrent que les femmes appellent moins vite pour elles-mêmes que pour leurs proches », constate Anissa d’Ortenzio, chargée d’études santé et genre chez Soralia. « Elles minimisent souvent leurs symptômes, les attribuant à un simple “ça va passer” ou “ce n’est rien”, une habitude ancrée depuis l’enfance », explique la professeure Agnès Pasquet. Ensuite, leurs symptômes ne correspondent pas toujours aux « signes typiques » d’un AVC, comme l’affaissement du visage ou des troubles de l’élocution. « Il s’agit souvent de signes plus anodins comme des maux de tête, des nausées ou des troubles de l’équilibre. Toute perte de force ou de fonction doit alerter. Si vous ressentez un mal de tête particulièrement intense et inhabituel, n’allez pas vous coucher, mais appelez le 112. »

« Le sexisme médical nuit gravement à la santé des femmes », déplore Anissa d’Ortenzio. « Trop souvent, leur santé est réduite à des questions gynécologiques ou obstétricales, tandis que l’anatomie féminine reste largement méconnue. Dans la recherche, le corps masculin continue de servir de référence universelle : des essais cliniques aux outils de diagnostic, en passant par les médicaments. Conséquence dramatique : les femmes ont 27 % moins de chances de recevoir un massage cardiaque en urgence, simplement à cause du tabou entourant leur poitrine. À quand des mannequins d’entraînement fémi­nins ? » 

Et après ? 

La gravité de l’AVC dépend de la zone du cerveau touchée. Les séquelles les plus fréquentes et invalidantes sont l’hémiplégie (paralysie d’un côté du corps) et l’aphasie (troubles du langage). Parfois, on parle de « handicap invisible » lorsque l’apparence extérieure semble rétablie. « C’est comme si une partie du cerveau avait été amputée. On ne parvient plus à reprendre le travail car la moindre tâche nous épuise, et on ne peut plus faire deux choses à la fois », explique le Dr Amina Sellimi. 

Aurélie Schoonjans, rédactrice en chef du ELLE à Table, a survécu à un AVC il y a deux ans, alors qu’elle n’avait que 37 ans. « J’étais au carnaval avec mon compagnon et mes deux filles, lorsque j’ai commencé à avoir très mal à la tête. Je pensais faire une chute de tension, puis j’ai commencé à convulser et à vomir. La police a tout de suite appelé le SMUR qui m’a dit que je faisais un AVC. » Aurélie passera deux mois en soins intensifs, dont un mois dans le coma. « Je voyais et entendais tout, mais je ne pouvais pas bouger. Les médecins pensent qu’il s’agit d’un “locked-in syndrome”. » Heureusement, dans son cas, la prise en charge a été rapide. « À mon réveil, les médecins m’ont dit que je ne marcherais plus jamais. Heureusement que je n’écoute personne », confie Aurélie. Aujourd’hui, elle se déplace avec une canne à quatre roues, baptisée Wheeleo. Le véritable défi ? Réapprendre les milliers de gestes quotidiens : se brosser les dents, mettre du parfum, ouvrir un pot de Nutella. « Tenir debout une minute, c’est comme courir un marathon. En semaine, ça va, mais les week-ends avec mes deux filles de 4 et 8 ans, je suis épuisée ! » « Ta vie bascule du jour au lendemain », poursuit-elle. « Heureusement, j’étais entourée de mon compagnon, mes parents, mes amies, mes collègues… sinon, tu sombres. Ce qui est étonnant, c’est qu’on te dit pour la première fois de t’occuper de toi avant de t’occuper des autres. » 

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© Klaartje Busselot