sugarbabies

Un homme, âgé et fortuné, qui entretient une femme jeune, belle et fauchée, le concept ne date pas d’hier…

En 2011, la plate-forme Seekingarrangement.com voit le jour aux états-Unis. Son but : offrir à des hommes mûrs, baptisés « sugar daddies », la possibilité de nouer des relations avec des femmes jeunes, souvent étudiantes, les « sugar babies », et de les entretenir en échange de quelques « faveurs ». Trois ans plus tard, la plate-forme se lance sur le marché français, faisant dans la foulée de nombreux adeptes chez nous, comme en témoignent les centaines de profils de sugar daddies belges présents sur le site.

Depuis, l’idée est devenue un phénomène et des dizaines de sites, fondés sur le même principe, sont apparus, proposant un abonnement mensuel à des hommes qui recherchent « de la compagnie » en échange de « récompenses ». Les termes sont ambigus et le vocabulaire spécialement choisi pour éviter les questions de « sexe » et de « tarif », à la connotation sulfureuse… Une astuce qui permet à ces plates-formes de s’installer dans une zone indistincte, non contrôlée, entre le site de rencontre et le réseau de prostitution. Pierrette Pape, coordinatrice du Lobby européen des femmes, ne se laisse pas berner par ce flou lexical : « Ça a l’air élégant, et pourtant, cela saute au yeux : nous sommes en plein dans la marchandisation du corps. Même si c’est fait de manière sournoise, il s’agit bien d’une forme de prostitution. »

Une demande à 90% masculine

Sugar daddies, sugar mommies, sugar babies, les termes utilisés entretiennent en effet la confusion… « ça donne l’illusion d’une relation de confiance, d’un père ou d’une mère qui gâte son enfant, poursuit Pierrette Pape. Ces sites jouent avec les notions de “papa gâteau” et de “maman gâteau” pour faire croire qu’il y a une réciprocité dans l’échange. Pourtant, la demande y est à 90 % masculine. » Les chiffres le confirment : sur Seekingarrangement.com, on trouve 100 000 profils de sugar daddies et 20 000 sugar mommies pour 900 000 sugar babies féminines et 200 000 sugar babies masculins… No comment.

Test à l’appui, il suffit de s’inscrire sur l’un des sites pour que les choses se précisent très rapidement. À côté des questions habituellement posées sur les sites de rencontre, il est d’emblée demandé à la canditate sugar baby de sélectionner le « mode de vie » qu’elle souhaite obtenir. Sur seekingarrangement.com, les choses sont très claires : « Le mode de vie choisi est le montant que vous attendez de votre sugar daddy ou de votre sugar mommy pour entretenir votre train de vie. » Et plus loin : « C’est le montant de l’aide, de l’“indemnité” que vous souhaitez pour vous aider à payer vos factures, vos frais scolaires, ou toute autre forme de chouchoutage : cadeaux, voyages, repas… »

De son côté, le sugar daddy potentiel doit, quand il s’inscrit, préciser dans quelle fourchette de revenus annuels il se trouve, de « moins de 50 000 $ » jusqu’à « plus d’1 million de $ ». Il doit aussi préciser la valeur totale de son patrimoine et le mode de vie qu’il compte offrir à sa sugar baby. Une fois ces questions réglées, le sugar daddy peut contacter les filles. Et, là encore, c’est sans ambiguïté : les messages vont droit au but, proposant souvent un échange d’adresses mail, de numéros de téléphone et un rendez-vous dès la première prise de contact. Les hommes qui arrivent à ce stade de l’« échange » gagnent en moyenne 200 000 $ par an (environ 150 000 €) et en dépensent 3 000 (environ 2 200 €) chaque mois pour une ou plusieurs sugar babies. Quarante pour cent d’entre eux sont mariés et leur âge moyen est de 39 ans.

Sugar babies et princesses Disney, même combat ?

« Toutes les femmes ont un jour rêvé d’être une princesse et, à mesure qu’elles grandissent, elles souhaitent être traitées comme des reines. » C’est ainsi que Brandon Wade, fondateur de Seekingarrangement.com, expliquait l’intérêt de son site dans une interview au Huffington Post. « Les dessins animés Disney ont mauvaise presse auprès des féministes et des gens réalistes, poursuit-il. Pas étonnant, à partir du moment où seules quelques héroïnes de la vraie vie arrivent à se débrouiller sans l’aide d’un prince charmant ! »

Une vision du rapport homme/femme qui est non seulement particulièrement rétrograde, mais qui peut surtout s’avérer dangereuse. « Nous sommes en plein dans les stéréotypes sexistes, s’indigne Pierrette Pape. Si certaines petites filles rêvent d’être des princesses parce qu’elles sont formatées, il n’en existe aucune qui rêve d’être prostituée. » Quand on essaie de savoir qui sont les sugar babies, on découvre pourtant qu’elles sont loin d’être des oies blanches, un peu écervelées, qui ne se rendent pas compte de ce à quoi elles s’engagent.

Un phénomène qui touche les étudiantes

Un article paru dans Le Figaro révèle ainsi que, sur les 40 000 sugar babies françaises inscrites sur le site, 7 500 sont étudiantes. Dans Le Monde, l’une d’entre elles, Cécile, 26 ans, confie que « cinq généreux bienfaiteurs réguliers lui assurent, selon les mois, entre 3 000 et 4 000 euros d’argent de poche, intégralement versés en liquide ou sous forme de cadeaux. » Ce qui la rend différente d’une prostituée ? « Une relation suivie, des hommes qui la traitent comme une princesse et l’impression de pouvoir choisir. » Mais s’agit-il vraiment d’un choix ?

On peut se poser la question quand on sait, comme le rappelle Pierrette Pape, que « 90 % des filles qui se prostituent disent que si elles en avaient la possibilité, elles arrêteraient. Elles commencent pour des raisons économiques, et, ensuite, elles n’arrivent pas à décrocher… Parce que, souvent, il ne s’agit pas d’un choix réel et qu’elles se trouvent prises dans un engrenage. »  Le constat est un peu glauque, effrayant, d’autant plus que rien de tout cela n’est illégal, comme l’explique Tine Hallevoet, porte-parole de la Police fédérale belge. « Il n’y a pas de mineurs, pas de violences et, d’ailleurs, la prostitution n’est pas interdite en Belgique. De plus, le site est américain. Si des faits de cet ordre étaient signalés, c’est devant la justice des états-Unis que seekingarrangement.com devrait en répondre. Quant aux sugar daddies et sugar babies belges, ils ne risquent rien en se rendant sur ce type de plate-forme. » Dommage… « C’est une interprétation facile, s’indigne le Lobby européen des femmes. Il faut oser dire que c’est un proxénétisme 2.0, via les réseaux sociaux, via internet. Faire du profit sur des relations tarifées entre hommes et femmes, c’est interdit. » Et du profit, Brandon Wade en fait effectivement et, pas qu’un peu, puisqu’il dégage un bénéfice annuel de 10 millions d’euros avec Seeking Arrangement.

Une mauvaise image de la femme

 

Et puis, rappelle encore le Lobby européen des femmes, « quand on fait passer le message que le corps d’une femme est une marchandise, toutes les relations sont alors affectées : professionnelles, de couple, amicales. La notion de respect est bafouée. Même si les jeunes garçons ne sont pas directement concernés, ils se construisent une image négative des rapports entre hommes et femmes. » Caroline, escort girl, met elle aussi en garde les jeunes filles qui seraient tentées de se faire de l’argent facile : « Ce métier entraîne une perte d’identité, c’est un monde qu’on ne connaît pas. Une fois qu’on y entre, on devient différentes des autres femmes. On devient la fille que les hommes veulent que l’on soit et ne sait plus qui on est. Les cheveux, les ongles, le corps, tout est destiné au travail. Qu’est ce qui reste ? Rien. On n’en sort pas. C’est une toile d’araignée, que l’on tisse au fur et à mesure des années. Tout ce qu’on peut faire, c’est grimper en haut de la toile et devenir escort. La drogue, il est possible de s’en sevrer, l’argent facile, jamais. »

Une sugar baby témoigne…

Isabelle, 23 ans, est escort et entretient une relation avec un « papa gâteau » de 70 ans. « J’ai commencé à me prostituer à 18 ans. J’avais un enfant, je voulais subvenir à ses besoins. Avec internet, il est très facile de se lancer. J’en ai rapidement fait mon métier. Cela fait des années que j’ai un sugar daddy. J’ai aussi d’autres clients, mais lui bénéficie d’un statut particulier. Concrètement, je le vois trois jours par mois. Il paie moins cher la nuit que mes autres clients. C’est le privilège de la “fidélité“, une sorte de contrat entre nous. Mes activités me permettent d’avoir un train de vie élevé. Je gagne plus de 3 000 euros par mois. Ce qu’il recherche ? Que je sois jeune. Des belles filles, il y en a partout, mais je suis jeune. Je sais me tenir, je sais ce qu’il aime, ou pas. Je m’intéresse à lui, on a un lien qu’il ne trouve pas ailleurs. Cette relation n’est pas simple. Après des années, la barrière entre vie privée et professionnelle s’effrite. Je lui ai dévoilé des informations personnelles, je me suis rendue plus vulnérable. Avec le temps, il a fini par croire qu’on est amis. Il se permet de me donner des conseils sur ma vie privée. C’est malsain. Il me téléphone quand il a un problème, sur mon téléphone privé. Il a tendance à me confondre avec une petite amie. Il ne m’a jamais proposé qu’on “se mette en couple“. Heureusement. Il est réaliste. Quand nous nous voyons, les conversations sont passionnantes, il m’apprend beaucoup de choses. Il a beaucoup d’expérience, il est très cultivé. Suis-je heureuse ? Je gagne bien ma vie, c’est vrai, mais la normalité me manque : rentrer du boulot et raconter ma journée à quelqu’un. Je fréquente peu de personnes qui ne font pas partie du milieu. J’aimerais m’arrêter un jour. Malheureusement, pour l’instant, c’est impossible. Je ne peux pas renoncer à mon niveau de vie. »