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En 1990, après des années de combat, l’IVG est enfin dépénalisée en Belgique. Retour sur l’histoire d’un droit chèrement acquis.

Avant, loin loin avant… 

La débrouille

Le premier traité médical connu, le papyrus Ebers, donne des tuyaux pour avorter dans une Égypte plutôt conservatrice. Plus tard, dans la Rome antique et la Grèce classique, l’avortement n’est pas interdit, mais carrément mal vu. Avec l’arrivée et le développement du christianisme, vers le IIIe siècle après JC, on voit fleurir un peu partout des lois punitives. Les femmes se débrouillent et n’en sont d’ailleurs pas à une cause de mortalité près…

Aux XVIiIe et XIXe siècles, chez nous 

La clandestinité

Pas de contraception fiable. Pour les femmes qui n’en peuvent plus de voir s’agrandir la famille, reste l’option dilatation et curetage. Une intervention pratiquée par qui veut bien prendre le risque de perforer un utérus à l’aide d’une aiguille à tricoter mal désinfectée. En Belgique, la loi de 1867 interdit l’avortement, parlant d’un « crime contre l’ordre des familles et la moralité publique ». Un délit puni d’amendes ou d’emprisonnement, tant pour la patiente que pour le praticien.

Les années 60 et 70

La fuite

L’Angleterre dépénalise l’avortement en 1967 et voit des femmes venues de toute l’Europe, mais en particulier de Belgique et de France, débarquer dans ses cliniques. Conditions médicales et sanitaires correctes, anonymat garanti, la solution est accessible à celles qui disposent de moyens financiers. Pour les autres, ça reste les « faiseuses d’anges » -– soit des praticiennes clandestines – ou l’introduction d’objets divers dans le col de l’utérus en vue de provoquer une infection qui les conduira à l’hôpital pour un curetage « légal ». Pour celles qui traversent la Manche, la barrière de la langue est un problème de taille, comme le raconte Paula, 65 ans aujourd’hui. « J’ai pris le ferry d’Ostende à Douvres avec ma cousine. Je me suis retrouvée face à un médecin que je ne comprenais pas. J’ai dessiné un ventre avec un bébé, et j’ai tracé une croix pour signifier que je n’en voulais pas. J’ai payé quelques milliers de francs, je ne me souviens plus exactement combien, puis j’ai été admise, endormie et libérée le lendemain matin sans avoir échangé un seul mot avec le personnel hospitalier. Je n’ai jamais regretté mon choix, mais les conditions dans lesquelles tout cela s’est passé étaient épouvantables. »

Aujourd’hui encore, des femmes se rendent au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, où le délai pour pratiquer une IVG est de
vingt-quatre semaines d’aménorrhée (contre quatorze semaines chez nous).

1973

L’affaire Peers

Le gynécologue et humaniste Willy Peers est arrêté, suite à une dénonciation anonyme, pour avoir pratiqué un avortement sur une jeune femme de 27 ans handicapée mentale. Il est inculpé  pour avoir pratiqué 300 avortements durant les neufs mois précédents, et est incarcéré. La réaction est immédiate : une manifestation pour sa libération réunit 10 000 personnes, et la question de la dépénalisation de l’avortement en Belgique devient cruciale. Willy Peers restera 34 jours en prison.

1977

Le combat

Alors qu’en 1975 en France, la loi Veil dépénalisant l’IVG a été votée (non sans mal), la Belgique tarde encore à accorder aux femmes ce droit fondamental. En mars 1977, une marche pour la légalisation de l’avortement réunit 7 000 personnes à Bruxelles, tandis que patientes et médecins continuent à être poursuivis en justice. Les gens descendent à nouveau dans la rue en 1979. Les propositions de loi s’enchaînent et sont enterrées les unes après les autres par les partis socio-chrétiens.

30 mars 1990

La peur du roi

Le roi Baudouin refuse de signer la loi sur l’avortement. Pour éviter une crise institutionnelle, le gouvernement le déclare dans l’incapacité morale de régner pendant deux jours. Juste le temps de faire passer ce texte qui va à l’encontre des convictions morales et religieuses du souverain. Du jamais vu.

3 avril 1990

Le droit 

La loi Lallemand-Michielsen autorise l’avortement en Belgique sous certaines conditions. La patiente doit présenter un état de détresse reconnu par un médecin. L’IVG, en partie remboursée par la mutuelle, doit être pratiquée par un profesionnel. Un délai de six jours doit être respecté entre le premier contact avec le médecin et l’avortement. Les mineures ne doivent pas obtenir l’accord de leurs parents. Aucun médecin ou personnel médical n’est obligé de pratiquer l’IVG. Le délai de quatorze semaines d’aménorrhée peut être dépassé si la femme est menacée par la grossesse ou l’accouchement, ou si l’enfant présente de graves anomalies… Une victoire.

2011

Le recul

Une « marche pour la vie » est organisée par des anti-IVG. Dans leur discours, il prétendent « affirmer ensemble que les femmes confrontées à une grossesse non désirée doivent être soutenues et aidées à garder leur enfant plutôt que de se voir proposer un avortement ». La manif réunit 3 000 personnes, dont Monseigneur Léonard, qui déclare : « Je voudrais qu’on laisse une chance à chaque enfant de naître. Chacun ici a un jour été un embryon ou un fœtus. Pourquoi certains devraient-ils être privés de la chance de venir au monde ? ». Une contre-manif est organisée pour rappeler à tous qu’il existe encore des gens capables de remettre en cause ce droit légal à l’IVG.

2015

L’anniversaire

Alors que nous fêtons les vingt-cinq ans de la dépénalisation de l’avortement en Belgique, nombre de rétrogrades, pour des raisons obscures et variées, continuent à faire pression. Des médecins sont harcelés, des patientes sont insultées et culpabilisées… Malgré les moyens mis en place, le droit à l’avortement reste un acquis fragile. L’Espagne l’a prouvé, l’an dernier, avec un projet de loi qui n’a pas abouti et qui remettait en cause la liberté des femmes à choisir l’IVG.

Rappelons que l’interdiction de l’avortement n’en réduit pas le nombre, mais augmente les interventions clandestines qui tuent, chaque année, 80 000 femmes à travers le monde.

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