Avec une simple prise de sang, il est possible de connaître le sexe d’un fœtus dès la neuvième semaine de grossesse. Et de faire un choix ?
On peut tout acheter sur internet. Même le sexe de son enfant. Enfin, façon de parler. Des laboratoires d’analyse en ligne proposent aux femmes enceintes de déterminer très tôt le sexe de l’enfant à venir. Pourtant, les médecins belges ne délivrent jamais cette info à ce moment-là. « Parce qu’en Belgique, l’IVG est autorisée jusqu’à la douzième semaine. On dépasse toujours ce délai pour annoncer à une patiente le sexe de son bébé », explique le professeur Jani du service de gynécologie à Brugmann. De peur que, déçus, certains parents ne gardent pas l’enfant ?
Depuis la nuit des temps, les femmes enceintes essaient de prédire le sexe de leur bébé. En interprétant la couleur d’un téton, la taille des seins, la forme du ventre, leurs humeurs, leur libido ou leurs envies alimentaires… Moins aléatoire, l’échographie réalisée aux alentours du troisième mois. À condition que le fœtus soit bien placé. Il est ainsi arrivé que parents et gynéco confondent un mini-pénis avec un doigt. Bref, même l’échographie n’est pas fiable à 100 %.
La méthode la plus sûre, pour déterminer le sexe d’un fœtus, c’est l’analyse de son ADN. Dans la majorité des cas, une seule information suffit pour trancher : la présence d’une paire de chromosomes XX pour les filles ou d’une paire XY pour les garçons. «À partir de la neuvième semaine de grossesse, le sang de la femme enceinte contient suffisamment d’ADN du fœtus pour déterminer le sexe du bébé à partir d’un simple prélèvement de sang de la mère, explique le professeur Jani. Technologiquement, ce n’est pas une prouesse, on est capable d’effectuer cette analyse depuis assez longtemps. » En Belgique, l’analyse ADN du fœtus n’est toutefois pratiquée par les labos que depuis quelques années. « Cet examen est désormais courant pour dépister la trisomie 21. Il est moins risqué que la méthode qu’on utilisait avant, l’amniocentèse. Extraire du liquide amniotique du ventre de la mère à l’aide d’une aiguille, c’était invasif , poursuit-il. Lorsqu’on effectue cette analyse ADN, on peut bien sûr en profiter pour établir le sexe du fœtus, si le couple le souhaite. »
Et ce test, il n’est même pas cher. Loin des blouses blanches et des odeurs d’hôpitaux, des labos en ligne le proposent. Sur easydna.fr, dont l’adresse de contact est située à Braine-l’Alleud, l’examen est en vente pour la bagatelle de 279 euros (on y trouve aussi toute une série d’analyses basées sur votre ADN ou celui d’un tiers. Le test « ADN d’infidélité », par exemple, analyse les traces laissées sur un coussin ou un drap par votre partenaire et une éventuelle autre personne, le tout à partir de 349 euros). Pas besoin de médecin, il suffit d’envoyer un échantillon de sang qui sera analysé dans un labo en Angleterre. Les résultats seront communiqués par email après une dizaine de jours. Moyennant un supplément, on peut même recevoir les résultats en express, dans les six jours. « Ces laboratoires font du business en ligne, ce sont souvent des charlatans qu’on déconseille aux patients. Ils se déchargent de toute responsabilité et pratiquent des prix beaucoup trop élevés car en réalité, déterminer le sexe du bébé à partir de l’ADN ne coûte pas cher du tout ! » estime le spécialiste du CHU Brugmann.
Et si le résultat déçoit ? Un couple, une femme peuvent-ils vraiment choisir de ne pas garder un enfant juste parce que son sexe ne leur convient pas ? « Mon mari est fils unique et aimerait que son nom se perpétue. Donc, pour le deuxième, on veut vraiment un petit gars », confie une maman. Une autre : « Je ne veux pas un bébé, je veux une fille ! Déjà pour mon fils, j’étais vraiment déçue lors de l’annonce du sexe. C’est peut-être l’envie d’avoir un “petit moi”. »
Claire et son partenaire se sont rencontrés sur le tard. Quand leur désir d’enfant se confirme, Claire doit suivre un traitement hormonal. Après plusieurs fausses couches, dont des jumelles, elle donne finalement naissance à un garçon. Pour son deuxième, elle veut une fille, sans concession. « J’avais déjà 40 ans, il n’était pas question d’en avoir un troisième, je voulais vraiment une fille. » À l’époque, on parle beaucoup d’une méthode basée sur un régime alimentaire appelé « régime du Dr Papa ». Pour une fille, la future maman consommera plus de magnésium et de calcium, donc plus de fruits, de légumes et de produits laitiers. Pour un garçon, plus de potassium et de sodium, donc de la viande, des lentilles. Claire suit le régime à la lettre pour avoir une fille. Finalement, elle l’a. « Si j’avais pu, j’aurais fait ce test », confie-t-elle. Même si elle n’aurait pas été jusqu’à l’avortement en cas de résultats contraires à son souhait.
En effet, et heureusement, très rares sont les couples qui utiliseraient le fameux test comme méthode de « sélection ». Aux États-Unis, des labos spécialisés parlent d’une clientèle toute trouvée : les familles qui ont déjà trois ou quatre enfants du même sexe, et rêvent d’un petit dernier de l’autre… Ouf, on n’en a pas trouvé chez nous !
« Je dis clairement à mes patientes que je ne souhaite pas qu’elles fassent ces tests sur internet. » Pour cette gynéco, la question du sexe de l’enfant cache souvent quelque chose. « Quand, avant même d’être enceinte, une femme me tient un discours sur son désir d’avoir uniquement une fille, qu’avoir un garçon la rendrait malade, qu’elle ne l’aimerait jamais, etc., je l’envoie chez le psy. Cette femme veut-elle vraiment d’un enfant ? Qu’arrivera-t-il s’il ne correspond pas au fantasme de sa mère ? » Forte de ses trente ans de métier, la gynécologue ajoute :« Imaginez que la fille soit un garçon manqué avec un caractère très viril, ou un garçon féminin, au caractère doux et rêveur ! Les catégories perdent leur sens. En somme, on ne peut jamais vraiment prédire l’avenir. »
Et si, au pire, des parents souhaitaient ne pas garder l’enfant ? En Belgique, un avortement est toujours accompagné par une psychologue ou une assistante sociale. « Nous nous assurons qu’une femme ait bien mûri sa décision, ce qui ne veut pas dire que nous lui demandons de se justifier, et quand bien même elle nous confie que c’est à cause du sexe, on ne peut pas refuser un avortement », reconnaît une conseillère d’un planning familial bruxellois. « Jusqu’à présent, nous n’avons pas l’impression que beaucoup de femmes avortent après avoir découvert le sexe de leur enfant. Cela pourrait arriver, oui. Et non, nous ne nous en rendrions pas forcément compte. »
Et dans le cas d’une procréation médicalement assistée, on peut choisir ? Non. Une loi de 2007 interdit la sélection du sexe d’un embryon dans ce cadre. En revanche, rien n’interdit de sélectionner le sexe du bébé en effectuant un test ADN après la conception et en avortant au besoin. On a quand même du mal à imaginer qu’une femme qui souhaite un bébé au point de passer par la PMA ne le garde pas ensuite… « En Belgique, une femme a le droit d’avorter sans invoquer de motif. Dans le délai prévu par la loi, ce choix sera le sien, rappelle Antoinette Rouvroy, docteur en sciences juridiques à l’Université de Namur. Dans le cadre de ses travaux, la jeune chercheuse étudie les bouleversements sociétaux, politiques et économiques induits par les sciences et les nouvelles technologies. « Il ne faut pas confondre le droit et la morale. La loi sur l’avortement ne peut pas être appliquée différemment selon le motif qu’invoque une femme. Il n’y a pas, pour la loi, de raison plus ou moins éthique à pratiquer une IVG. »
Dans des pays comme l’Inde ou la Chine, des familles préfèrent encore les garçons aux filles. Des tests comme celui d’easydna.fr, qu’ils soient légaux ou illégaux, y sont couramment pratiqués et donnent lieu à des avortements en cas de résultats « décevants ».
Le déséquilibre en Chine est particulièrement inquiétant. D’ici 2020, la population devrait compter environ 30 millions d’hommes en plus, qui ne pourront pas se marier (à moins que les femmes ne deviennent polygames…) et n’auront pas d’enfant…
« Mes patients souhaitent juste avoir un bébé en bonne santé, estime le professeur Jani. Le danger, c’est la facilité », conclut le médecin. Claire, à l’époque où elle souhaitait sa fille, avait investi beaucoup de temps (« dans des séminaires, en effectuant des tas de recherches, en discutant avec des psys ») et d’énergie pour exaucer son vœu. « Et si des femmes dans mon cas, habituées à avoir tout tout de suite, avortaient sur un coup de tête ? Et si on finissait par envisager un enfant comme quelque chose qu’on peut calculer, quelque chose à consommer ? » Heureusement, nous n’en sommes pas là…
Louise Culot