Le week-end dernier à Bruxelles, La Cambre Mode[s] a donné toute sa mesure lors du show de fin d'année. L'école y présentait les étudiants parmi les plus prometteurs de la nouvelle génération.
Avec Saint Martins et l'Académie d'Anvers, c'est l'une des meilleures écoles d'Europe, et probablement du monde. L'édition 2015 du défilé de fin d'année, qui sert aux étudiants de jauge de leur évolution, aux enseignants à les évaluer, et aux professionnels présents de les repérer, et dans de nombreux cas, de les recruter, a révélé des trésors de techniques et d'imagination.
Rituellement, les passages des premières et deuxième années recèlent la partie la plus spectaculaire de l'événement.
Les premières années, des étudiants qui ont généralement déjà entrepris et validé une formation en art, développent ensemble des couples de silhouettes d'une poésie extrême, passage allégorique du vêtement sous toutes ses formes : armure et délire, architecture du désir.
Avec un travail de réflexion sur l'équilibre, celui de chapeaux monumentaux et de l'harmonie du corps auquel on accrochait des volumes encore insoupçonnés.
Pour les deuxièmes années, même démarche d'exploration avec des silhouettes surréalistes, jubilatoires et tourmentées. Recherches sur les volumes, réflexion sur la nature même du vêtement comme moyen d'expression, les étudiants nous ont livré des créatures fantasmagoriques d'une délicieuse complexité.
Les troisièmes années, qui proposent traditionnellement des collections homme, ont réfléchi des coupes et des assemblages qui détournaient le traditionnel tailoring pour pousser leur créativité vers un univers urban ethnique ou ludique.
En quatrième année, Marine Serre, avec une collection inspirée de l'esprit des Maîtres Flamands de la Renaissance, a décliné tout son travail sur les plissés accordéons, allégés par des découpes aux endroits stratégiques du corps, dévoilant haut de la cuisse et seins nus, sous une apparente pudeur mise en scène. Elle avait imaginé des trompe-l'œil en demi-robes, une jupe d'Amazone, poitrine dehors. A superposer, un manteau cape en laine de couverture, et en filigranes, le concept des collerettes des médecins de toute l'imagerie « à la Molière », culotte en dentelle et basque théâtralisée, pour produire une collection d'une absolue modernité, parfaitement maîtrisée. Marine Serre a également fabriqué, dans l'atelier "accessoires" qui complétait sa formation, toute une série de bijoux détournés, boucles d'oreilles qui devenaient des colliers, le tout délicieusement emperlousé. Une magnifique réalisation, quia emballé le jury.
Mariam Mazmishvili a quant à elle développé une collection en broderie réalisées à la main, et bustiers froncés de manière à créer des motifs. Des vêtements pour une femme libre, qui refuse le carcan de lignes contraignantes, et arbore les broderies comme des tatouages qui n'affecteraient pas son corps. Elle a créé des pièces modulables, qu'on peut porter dessus dessous, pour inventer son identité. Déclinant des jupes tabliers, des capes et des structures en portefeuille à nouer à l'envi autour de la silhouette, trompe-l'œil shorts derrière, robe devant elle a proposé une collection majestueuse, déjà très proche d'un prêt-à-porter commercialisable.
Julian Klausner de son côté a construit sa collection sur l'idée du tailleur reconstruit, et barré de rayures flottant aux couleurs du drapeau belge. Au pied, les mannequins évoluaient avec des chaussures/santiags recomposées. Il a imaginé ces pièces en patchwork de matière, jersey, cuir et maille, et déstructuré des robes en manteau sur pantalons. Au final, des lignes élégantes, ludiques et prometteuses.
En cinquième et dernière année, c'est Naomi Courau qui a remporté tous les suffrages au moment de la remise des prix qui a suivi la première soirée de défilé.
La jeune femme a remporté le prix elle Belgique X La Cambre, qui consistera en une carte blanche pour présenter son travail dans le spécial mode du mois de septembre. Elle a également conquis Pascaline Smets, qui lui apportera son soutien en boutique. Le MAD Brussels lui a également attribué son prix, ainsi que la ville de Bruxelles, avec son award "Atomium". S'il y avait eu un Oscar à rafler, elle l'aurait eu aussi.
Naomi Courau a développé sa collection sur le détournement de pièces militaires, entièrement déclinée à partir de poches démesurées, et assemblées en pièces de vêtements. Elle y a ajouté des résilles oversize, des tirettes magistrales, et des mailles épaisses. Ses jupes crayon et ses pantalons construits en grandes poches à soufflets ont produits des volumes intrigants, et paradoxalement très seyants. On a adoré le jumpsuit pile et face, tailleur bleu marine à l'avant, treillis à l'arrière. Les pantalons dont la taille se rabattait, les faux-cols en carton. Naomi Courau a construit des vestes à basques, et des bombers modulés. Un idéal d'Amazone urbaine, baroudeuse et assertive.
Delphine Baverel, avec ses lunettes en cloche de muguet – en fait, un œil de Bouddha – et ses croquenots ouverts à l'avant avec semelles de gazon, a apporté un côté léger et très fluide avec des silhouettes aériennes inspirées de l'univers des parachutistes. Elle a joué des volumes avec des harnais, est décollé avec des broderies de plumes d'une incroyable précision. Coupant sa collection dans du nylon K-way et des mousselines aux imprimés fleuris, malgré les superpositions, elle réussissait à allonger chaque ligne vers le ciel. On a aimé ses capuches casquette, et ses bracelets de force en fleurs fraîches.
Samantha Cazenave, avec des jupes et pantalons à grandes poches, et tabliers de garçon de café, surmontés de lunettes psychédéliques, a elle aussi joué des volumes, avec de très longues manches, des ajouts de longues lanières sur robe bustier noire, la fabrication de blouson montés « comme à l'envers » une maîtrise de la coupe de la veste, qui a impressionné Diane von Furstenberg, présidente du jury.
Une édition porteuse, comme chaque année depuis la création de l'atelier stylisme de La Cambre en 1986, d'espoirs jubilatoires pour la mode belge. Donc internationale.
Maquillage : Florence Samain pour DIOR.