L'édito de Béa Ercolini.
Tout le monde ne sera pas d’accord. J’entends déjà les dents grincer. Montrer une fille jolie et presque nue en couverture, ce serait se plier aux diktats masculins, pérenniser le cliché de la femme-objet. Un scandale pour un magazine qui se dit engagé aux côtés des femmes, non ? C’est oublier que, depuis deux ans, les féministes new-yorkaises ont obtenu, au nom de l’égalité avec les hommes, le droit de se promener torse nu. La loi existait en fait depuis 1992. C’est pour confirmer sa bonne application (la police locale avait tendance à verbaliser les femmes qui ne sortaient pas couvertes ), et pour protester contre les règlements des réseaux sociaux, que Scout Willis, la fille de Bruce Willis et de Demi Moore, se photographie seins nus à New York.
Miley Cirus, Cara Delevingne et Lena Dunham lui emboîtent le pas. Depuis, des centaines de filles (et quelques garçons), confrontés aux mêmes interdits, répondent en s’affichant tous seins dehors sur Twitter. Leur bannière : le hashtag #freethenipple, pour « Libérez les têtons » de la pudibonderie. La bataille n’est pas gagnée pour autant. Il y a quelques semaines, c’est « Les Femmes d’Alger », le Picasso vendu chez Christie’s, le tableau le plus cher du monde, qui fait l’objet d’une censure. Cachez, mesdames, ce sein que la chaîne Fox News ne saurait voir ! Résultat : les formes abstraites du Maître sont diluées dans les pixels. Détail piquant : une paire de fesses et un sexe féminin, qui se retrouvent en plein milieu du tableau, ne sont pas jugés dignes d’être floutés. Comme si l’interdit ne venait pas de la sensibilité particulière des journalistes de Fox News, mais de guidelines très précis imposés par la publicité sur internet. Lesquels contaminent petit à petit la manière dont nous sommes informés. Le corset 2015 est digital, le renvoyer au vestiaire ne sera pas coton. Voilà qui donne à réfléchir : et si la presse papier, que l’on dit en voie de disparition, avait des allures de dernier espace de liberté ? Où l’on montre le corps jeune et lisse, c’est vrai, mais aussi le corps rond, celui auquel le temps et les étapes de la vie impriment leurs traces.
Grossesses, cancer, accidents. Le corps tel qu’il est, tout simplement. Où l’on revendique le corps comme lieu de plaisir pour les femmes aussi. Où, oui, on célèbre le corps dans lequel on se sent bien, qu’on le dévoile ou non, qu’on le tende au soleil ou à l’être aimé. C’est mal ? C’est beau, et dans tous les cas, c’est vrai. Bel été !
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