La nouvelle manière de quitter quelqu’un en le niant, tout simplement. C’est inélégant, redoutablement efficace. Démonstration.
Dix millions de SMS sont envoyés chaque jour en Belgique. Et pourtant, en 2015, plus on a de moyens de s’exprimer, plus on la boucle. « Ghoster », en français de Shakespeare, c’est « fantômiser ». Autrement dit, rendre folle la partie adverse. Voici comment on fait.
La people ghosteur
Charlize Theron, après un an de relation avec l’ex-bad-boy-actuel-american-hero Sean Penn, l’a purement et simplement zappé de sa vie, bloquant ses suppliques et sms pendant des mois.
La people ghostée
C’est Vanessa Paradis, plaquée en trois secondes par Benjamin Biolay pour Anna Mouglalis, qui posait pourtant à côté d’elle, en bonne copine, à chaque défilé Chanel.
Le ghosting qui se tait pour dire « Disparais »
- En quoi ça consiste ?
On bloque l’autre sur tous les réseaux de communication possibles : Facebook, téléphone, e-mails, Instagram, etc. On fait comme s’il n’avait jamais existé, et on l’empêche d’avoir de nos nouvelles. Une méthode qui trahit un courage à l’échelle de l’atome, mais qui n’est pas neuve. C’est l’histoire du type qui part acheter des allumettes, qui les trouve dans une rue du Massachusetts, et qui rentre dix-huit ans plus tard. Selon une étude menée par le Huffington Post et YouGov*, 11 % des sondés avouent avoir déjà ghosté quelqu’un pour s’en débarrasser. Les victimes de la transparence imposée s’élèveraient elles à 13 %. Charlotte Ledent, sexologue et psychothérapeute, s’émeut : « C’est tout à fait cohérent avec l’époque : l’autre est une marchandise consommable. On est en relation avec un objet, plus avec une personne. On n’en veut plus ? On le jette, en oubliant qu’on a un être sensible en face de soi. »
- Comment on gère ?
En prenant le ghosteur au pied de la lettre, et en diversifiant ses relations, très vite. On voit ses amis le plus possible, on se distrait, on s’étourdit. Et rapidement, on s’aperçoit qu’on est mieux seule qu’avec un con niais.
Le ghosting pour rendre fou
- En quoi ça consiste ?
C’est la démarche agressive dans son essence la plus perfide. On ne donne plus aucun accès à l’autre, pour jouer sur le manque. Pour la psy, « on devient fou car l’autre se prend pour un être tout-puissant qui s’arroge le droit de nous faire disparaître. C’est hautement pervers, comme mécanisme. » C’est la négation « pas de moi, pas de chocolat ». En réalité, un appel à réaction. Il peut être tordu, l’ectoplasme. S’en rendre compte, un jour, nous donnera un orgasme. Et plus c’est long, plus c’est bon.
- Comment on gère ?
Pour Charlotte Ledent, « s’adresser au ghostant devient impossible vu qu’on est bloqué partout, et y parvenir rendrait l’autre encore plus rigide sur ses positions. On va devoir soigner soi-même ce traumatisme, sans attendre l’aide de celui qui nous quitte. Comprendre qu’on l’a mal évalué. Il s’agit ici de travailler sur l’illusion de la relation. » Et en cela grandir. Un jour, on le remerciera. Mais pas tout de suite.
Le ghosting de l’abstinence réparatrice
- En quoi ça consiste ?
Quand notre moitié nous en a tellement fait baver que pour se protéger, on le fuit. On est le « quittant », mais pour sauver sa peau. Et on le barre de sa vie. C’est la détox de l’ex-toxo.
- Comment on gère si on a été fui ?
« On peut entrer en contact avec quelqu’un sans lui parler. Par le biais d’une lettre, par exemple. Demander quelques mots d’explication pour surmonter. Lui dire ce qu’on vit, pour que le ghostant en prenne la mesure et entende le besoin qu’on a d’avoir des mots pour réparer. L’absence de sens est extrêmement violente. Or, le ghostant n’est pas forcément malintentionné. Il souffre peut-être trop lui-même. » On peut apprendre ainsi des choses sur soi-même, mais surtout, il faut respecter la volonté de celui qui a besoin d’air.
Le ghosting du trahi
- En quoi ça consiste ?
C’est l’autre qui a tout fichu en l’air, et on ne supporte plus de le voir ou de recevoir de ses (bonnes) nouvelles. Pour lécher ses plaies – et le fond du pot de Ben & Jerry – , on le bloque, on le nie, on le zappe. C’est la méthode dite « on récolte ce qu’on s’aime plus ». Il ne veut plus de vous ? Parfait. Vous disparaissez.
- Comment on gère ?
La vengeance est un plat surgelé. « Le silence violent peut être l’arme ultime pour faire payer l’autre. Voire pour l’inviter à réagir. Quand les actes de l’autre sont insensés, on en perd ses mots. Ne plus en prononcer, c’est le lui faire comprendre. On a aussi le droit, enfin, de ne pas vouloir entrer en contact avec quelqu’un qui nous a blessé. » C’est la technique du museau dans la litière. Un grand cri silencieux, qui appelle en général une prise de conscience du chacal.
Le ghosting qui appelle une suite
- En quoi ça consiste ?
On se drape dans sa dignité et sa douleur. On joue la grande scène de l’amoureuse blessée et, ce faisant, on poireaute pour la rédemption. Un amant de passage dans notre lit fait passer le temps, en attendant que le front de l’imbécile qui a failli tombe dans le marécage fétide de sa faute impardonnable. Du moins, jusqu’à que notre silence fermé ne le pousse à s’ouvrir, lui.
- Comment on gère ?
Pour Charlotte Ledent, c’est une méthode à double tranchant : « C’est risqué. Il faut doser la réintroduction de la communication. En amour, il y a toujours une part de jeux de pouvoir. Si on tombe sur quelqu’un qui ne veut pas se prêter au bras de fer, on perd tout. Si on gagne, qu’il craque et rampe pour avoir de nos nouvelles, ça n’est pas forcément très sain non plus. Le problème dans tous ces cas de figure : on ne prend pas la parole, donc le silence est sujet à interprétation, avec un fort risque de malentendu. » C’est l’option « sélection naturelle » : on laisse pourrir, en espérant que quelques lotus émergent du cloaque. Et si ça rate, on tourne la page : ghosting, Casper et gagne.
* Auprès de 1 000 personnes en 2014.