Les #HAPPYMAMAS énervent autant qu’elles fascinent. Décryptage d’un phénomène 2.0 et tips pour dépasser le mythe.
Il y a eu la « working mom » des années 80, qui donnait le biberon d’une main et envoyait un fax de l’autre. La maman bio des années 2000, et sa journée à mitonner des purées de panais. Puis la « bad mom » des années 2010, qui abandonne son nourrisson pour partir aux Seychelles avec son amant. La #happymama version 2016 est un peu tout ça à la fois. Enfants assortis au canapé, réunion de boulot à Oslo, balades en fixie et goûters d’anniversaire XXL, ces mères parfaites sont devenues les attachées de presse de leur bonheur familial ultrascénarisé. Leurs caractéristique principale : l’irrépressible besoin de partager chaque instant de leur existence parfaite sur les réseaux, en clamant que tout ce qu’elles font les rendent incroyablement « happy ».
Qui sont-elles, ces happymamas ? Sur la photo, elle enserre son bébé habillé en Bonton, s’apprêtant à souffler la bougie d’un énorme gâteau. Elle a le sourire Colgate, le blond de Naomie Watts et son appartement, en arrière-plan, fauteuil Eames et livres d’art, est impeccablement décoré. En dessous, les hashtags qui tuent : #happymama #happybaby #happyfamily… Jess Dempsey, blogueuse mode australienne sous le pseudo Whatwouldkarldo, est l’une des happymamas les plus suivies du net. Quand elle n’est pas en voyage, en réunion ou au yoga, elle trône, souriante, dans un intérieur où les bouquets de fleurs sont sauvages, les tapis berbères, les canapés scandinaves et les brioches home made. Mais surtout, plus que tout, elle est heureuse d’être « maman ». Elle est #comblée et elle le clame sur Instagram. Ce que les légendes sous ses photos ne disent pas, c’est que chaque cliché a été pensé, repensé, retouché et minutieusement légendé avant d’avoir été posté. « C’est un travail à temps plein ! », explique la blogeuse qui a fait de ses photos de familles un véritable business.
Et comme elle, des mamans qui portent leurs bambins sur des talons de 12cm, il y en a plein sur les réseaux sociaux. Victoria Beckham, Blake Lively, Jessica Alba, Natalia Vodianova ou Hilary Duff en tête… Résultat, certaines mamans veulent en faire autant et entrent dans la surenchère du plus cool goûter d’anniversaire et des plus incroyables vacances au soleil. Et, surtout, elles prennent en photo chacun de ces mer- veilleux instants, pour les poster sur Facebook et Instagram. Sinon, à quoi servirait tout ça ? Seulement à « vivre un moment de qualité »? Allons…
Pourquoi se mettre une telle pression ? Peut-être bien pour continuer à exister. Avant personne ne voyait ce que les mamans accomplissaient au quotidien, derrière les portes de leur foyer. Aujourd’hui, grâce au smart- phone, non seulement on ne disparaît pas de la circulation, mais on peut carrément devenir une héroïne de la panade et de la promenade au parc. Car les #minimoi en tout genre sont une redoutable machine à buzz. Un peu comme les chatons : comment ne pas les liker ? Enfin, c’est rassurant de lire que junior est un beau bébé et que sa mère est toujours canon. « Je dois avouer que les likes sous la photo de mon petit garçon me réconfortent. C’est comme une rémunération de mon travail précieux mais invisible », témoigne Sophie, photographe et maman ultraconnectée de trois enfants.
Cette maternité heureuse qui vire à la tyrannie… Quand on est abonnée aux départs en vacances à l’arrache, aux nuits sans sommeil, aux traces suspectes sur le pull en laine, à la libido zéro, au baby blues, aux cinq kilos en trop et à la carrière qui piétine, bref, quand on est une mère « normale », spectatrice d’Instagram, on a la pression. Devant les photos de ces vies zéro défaut, on est perplexe, voire frustrée ! Émilie, 34 ans, journaliste, a fini par craquer. À force de vouloir cadrer avec ce modèle impossible, cette mère de deux enfants a frôlé le burn-out. « À la naissance de mon fils, tout le monde me disait que je vivais un moment merveilleux, alors que j’étais épuisée. Je me suis dit que si je ne postais pas de photo de lui, les gens allaient se dire que c’était parce qu’il était moche ! » En réaction au bonheur maternel étalé sur les réseaux, des mères de famille lambda ont incité les instagrameuses à poster des photos de leurs « vraies vies ». Avec #Loveyourlines (« Aimez vos vergetures »), #takebackpostpartum (« Reprise après accouchement ») ou #WomenIRL (« Femmes dans la vraie vie »), elles racontent les nuits éprouvantes, la fatigue, l’inquiétude, le couple fragilisé. Une initiative à l’image du tumblr « Mother I’d Like to Kill », qui n’hésite pas à tourner en ridicule les comportements maternels un peu too much. L’humoriste et écrivaine Véronique Gallo publie sur YouTube des capsules hilarantes, intitulées « Vie de mère » : des enfants qui piquent des crises au super- marché, des lits d’adultes envahis par des petits poneys ou des steaks carbonisés servis pour le dîner… Pour déboulonner la figure de la maman parfaite, Valérie Lavallé, du blog Allo Maman Dodo, s’est amusée à détourner, elle aussi, les clichés les plus en vogue sur les réseaux sociaux. Sur ses photos, le bac inférieur du frigo ne déborde pas de légumes bio mais de bières fraîches, et rien dans son salon ne donne envie d’y passer ses mercredis après-midi. Ses récits et ses vidéos de matinées chaotiques avec ses enfants de 4 et 6 ans suscitent des centaines de commentaires de mères reconnaissantes. Autant d’initiatives qui visent à déculpabiliser les femmes et à leur redonner confiance en elles.
Et si on choisissait la voie du milieu ? Ni happy mamma, ni women IRL. Derrière cette guerre des apparences se cache l’ombre de l’éternelle opposition « mère parfaite » et « mauvaise mère », qui exclut qu’on puisse être les deux. Elissa Strauss, journaliste pour le magazine Slate, résume : «Il est temps de prendre cette femme un peu égoïste, parfois saoulée par ses enfants et occasionnellement défaillante, pour ce qu’elle est : une mère. Pas une mauvaise mère ni une mère parfaite, une mère. » L’ère de la maternité #nofilter aurait-elle sonnée?
L’alternative à cette course effrénée de la perfection 2.0? La maternité en mode slow.
Très en vogue aux Etats-Unis, le slow parenting apprend aux mamans à déconnecter, à ralentir le rythme mais aussi et surtout à profiter pleinement des moments passés avec leurs enfants. Caroline Dufrane, ex-cadre RH, a changé de vie quand elle est devenue maman. Expatriée au Sénégal, elle a lancé Ananas, sa propre marque d’écharpes de portage, vêtements et accessoires pour enfants écoresponsables made in Africa. Entre deux points de couture et un rendez-vous avec un artisan, elle donne des cours de yoga et s’occupe de sa fille en mode bio et écolo. Instagram, elle s’en sert pour partager des moments (des vrais!) de bonheur simples. « Je mène la vie qui me convient, tout simplement, précise Caroline. L’idée n’est pas d’en faire moins, mais plutôt de le faire différemment et surtout de profiter du moment présent avec mon enfant, sans en informer la terre entière. »
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