Rien qu’en France, la mode représente 150 milliards d’euros de chiffre d’affaires direct. En Belgique, 7 milliards. Peut-elle encore s’autoriser à rire d’elle-même ?

Les enjeux économiques sont conséquents. Collections pluri-annuelles, pré-collections, capsules, Couture, accessoires… Les marques avancent au rythme d’un calendrier devenu fou, plébiscité par la majorité des consommateurs, poussé par les acheteurs des boutiques en quête de nouveautés pour maintenir l’intérêt de leur clientèle. On crée « efficace », on décuple la production de coton et de matières synthétiques, et on ne pense plus les vêtements que rigoureusement vendables. Oubliées, les délirantes années 80, où Alaïa réinventait la séduction avec ses créatures de cuir bandées. Où Mügler transformait les femmes en Goldorak d’or et d’acier. Où Rabanne les rhabillaient en cottes de mailles. Où Gaultier organisait des défilés-concert qui tenaient le troisième arrondissement de Paris éveillé jusqu’à l’aube. Loin, ses corsets à seins (i)côniques, et ses kilts pour hommes provocants, même si en 2014 encore, lors d’un défilé Haute Couture, une fanfare bretonne au grand complet en portait, cornemuses à l’épaule, et stand de crêpes à la sortie.

Désormais, dans la mode, milieu où le designer est un loup pour l’homme, on reste concentré. Le poids des grands groupes du luxe, le choc du mass-market. Heureusement, quelques trublions résistent, principalement « en périphérie » de la grande industrie : créateurs d’accessoires, chroniqueurs ou DJ, ils apportent une touche de légèreté dans le métier. Et ne font pas seulement du fun pour mieux vendre. Chez Moschino, le facétieux Jeremy Scott qui donne aussi des ailes à Adidas, casse la baraque avec des logos Mc Do, des tenues complètes de Barbies et des panoplies de poupées 2D.

Moschino SS17

Moschino SS17

Philip Plein lance des collections fondées sur l’excès, avec succès. Il s’ancre avec humour et glamour dans son propre « Ghettoland ». Olivier Roustaing, jeune, sexy et hyperconnecté directeur artistique de Balmain (4,2 millions d’abonnés sur Instagram), champion du monde toute catégorie de selfies, compare l’humour au bonheur : « Souvent, la mode devient trop snob. Il faut garder le sourire, et cultiver cet humour. Il faut en mettre dans sa mode, et surtout l’appliquer à soi-même. Il est important de savoir jouer avec son image, sinon, à se prendre trop au sérieux, on se sclérose. » Son rêve avoué ? « Combattre l’étroitesse d’esprit qu’on voit encore dans la mode ».

Philipp Plein SS17

Philipp Plein SS17

Tout un programme. Jean-Paul Gaultier encore, pour son dernier défilé prêt-à-porter en 2014, avait organisé un vaste défilé de miss, dévoilant une rétrospective de sa carrière. Hilarant, et émouvant.

Jean Paul Gaultier, Spring-Summer 2015 Ready To Wear Paris, France

Jean Paul Gaultier SS15

Le plus important, ce qui maintient l’art vivant dans cette industrie hyper-prolifique, c’est l’insolence que nourrissent ces postulats, la rébellion de créateurs qui assument se moquer du « bon goût Couture ». Mais derrière ces postures enfantines, reste un solide business. Pour Christophe Lemaire, qui signe les superbes et rigoureuses collections studio pour le géant japonais Uniqlo, « il faut toujours se permettre l’humour. Ca permet de garder une distanciation. Mais dessiner des vêtements, c’est sérieux. S’habiller aussi ». Restent les humoristes du métier, Loïc Prigent et son « J’adore la mode mais c’est tout ce que je déteste », et les pastiches pleines d’autodérision de sa comparse Mademoiselle Agnès.

Peut-on rire de tout ? Seulement si c’est facile à vendre. Le marché a changé : quand des sommes à six ou sept chiffres sont en jeu, on réfléchit à deux fois avant de risquer un plantage. La mode reviendra à l’humour, quand elle aura retrouvé le goût de sa liberté. Et de son indépendance.

Les Tweets de Loïc Prigent

C’est le must-read absolu des fashion weeks. Avec ses Tweets qui sont en réalité des quotes indiscrets des énormités entendues lors défilés et des cocktails de circonstance, il déshabille le milieu mieux qu’avec des pages de critiques circonstanciées. No comment ? L’angle de ses citations en est un en soi. Inratable, percutant. Impitoyable. D’ailleurs dès qu’on l’aperçoit, on se tait (à tout hasard) :

« Il a plein d’idées mais aucune n’est la sienne ».

« – Tu ne fais pas ton âge
– Je n’ai pas pris de drogues pendant des années, c’est pour ça »

« C’est un hipster Ellnett »

«  Si ça existe déjà ça ne m’intéresse pas »

« Can you teach me how to cry in italian ? »

« Je voulais une nouvelle perspective sur le costume masculin, du coup on a posé la veste sur les épaules ».

« -Elle ne ressemble pas du tout à sa mère
– Normal, chirugiens esthétiques différents ».