C’est l’histoire d’un paradoxe : notre époque cultive l’individualisme, le zapping et le contrôle autocentré, mais fantasme les passions dévorantes. Rencontre avec Jean Claude Bologne*, auteur au propos… foudroyant.

Sociologiquement, à quoi sert le coup de foudre ?

« Au XIXe siècle, au moment de l’exode rural, lorsque les jeunes gens quittaient leur campagne pour s’installer tout seuls en ville, le coup de foudre leur servait à se recréer une famille. Ils étaient loin de leurs parents, et n’avaient plus de marieurs à disposition. L’industrialisation et l’école obligatoire ont donné de la liberté aux jeunes, ont fait naître en eux la liberté et le désir de se positionner socialement. On attribue souvent le coup de foudre aux femmes, ce qui est historiquement faux. D’ailleurs, les féministes ont protesté contre ce cliché dès la fin du XIXe siècle, en argumentant qu’il existait d’excellents paratonnerres. »

Comment est née cette notion ?

« Toute la valorisation de l’amour a émergé au moment de l’époque romantique en 1830, et a abouti à la fin du mariage éternel, et à la réintroduction du divorce, qui avait été créé au moment de la révolution française, et supprimée au moment de la Restauration. À partir de là, on a investi le fantasme d’une relation éternelle sur un sentiment volatile. »

C’est quoi, un coup de foudre ?

« C’est un mélange d’amour, d’immédiateté et d’intensité. Mais personne ne prétend qu’il doit être éternel ou réciproque. La psychanalyse l’explique à sa façon, avec l’idée qu’il « n’y a pas de trouvailles, que des retrouvailles », c’est-à-dire qu’on a le coup de foudre pour quelqu’un en qui on se retrouve. Pour Roland Barthes, c’est « l’encadrement », c’est-à-dire se voir tomber amoureux, qui compterait autant que le sentiment lui-même. On adore être le spectateur de son propre sentiment. Ajoutons aussi un peu de magie à l’équation… »

Et ça dure longtemps ?

« Il existe beaucoup d’études, mais elles sont presque toutes fondées sur des déclaratifs, ce qui les rend partielles. Mais globalement, les coups de foudre mèneraient dans 40 % des cas à des relations durables. La durée moyenne de ces amours serait de 6,5 ans (donc le double de l’amour de 3 ans, ce qui n’est déjà pas si mal), et 20 % mèneraient à des mariages. »

Il n’existe qu’un seul coup de foudre ?

« Il peut être sentimental ou sensuel, mais  maintenant on appellerait plutôt ça un coup de sang. C’est un peu l’histoire d’Obélix qui tombe platoniquement amoureux de Falbala vs le loup de Tex Avery. D’ailleurs, Cupidon manie à la fois une flèche et un cœur. Un symbole de chasseur, emblème sexuel, et la représentation de l’amour. »

Faut-il céder au coup de foudre ?

« Notre époque nous y pousse, puisque les relations brèves sont acceptées, et les relations hors mariage déresponsabilisées : on peut donc prendre le risque de l’erreur. Mais la foudre, c’est brutal, et ça peut faire mal. »

Comment se remet-on d’un coup de foudre ?

« Le coup de foudre, c’est la négation du temps. Alors, il faut rendre ce temps au temps. En outre, il existe depuis l’Antiquité des livres pour trouver des remèdes à l’amour. À toutes les époques on l’a craint, et on a essayé de s’en protéger. En vain, évidement. »

Peut-on avoir le coup de foudre pour ce livre ?

« Je me suis toujours intéressé aux sentiments forts et excessifs. Il existe pour moi un rapport évident entre l’émergence d’un sentiment violent et quelque chose de mystique. Je suis intimement convaincu que nous sommes dépendants des clichés des cultures de notre époque. En amour, comme pour le reste. Et si on ne les connaît pas, on peut en devenir esclave. » Eh bien le voilà, le paratonnerre : c’est la connaissance. Ou une marche pour saisir la foudre au passage.

Coup de foudre

*Jean Claude Bologne est romancier, philologue, médiéviste, journaliste, enseignant et conférencier. Auteur d’une trentaine d’ouvrages, dont Histoire de la pudeur, Histoire de la conquête amoureuse : De l’Antiquité à nos jours, Histoire du célibat et des célibataires, et Histoire du sentiment amoureux.