Quand Marie a rencontré Paul, elle ignorait ce qu’ils allaient devoir traverser. Il s’est écroulé, elle est restée. Par amour…
“Quand Paul est arrivé à cette fête organisée chez des amis, il s’est passé quelque chose d’irréel. On a d’abord plaisanté parce qu’on portait tous les deux les mêmes baskets, une édition limitée des sneakers vintage de notre adolescence. Ça nous a permis d’engager la conversation. On ne s’est pas quittés de la soirée, évoquant nos souvenirs d’enfance, nos références musicales, nos films préférés. De retour à la maison, mon amoureux m’a fait une grosse crise de jalousie. J’ai appris quelques jours plus tard que la compagne de Paul avait, elle aussi, très mal pris la complicité que j’avais eue avec son mec. Nous étions tous les deux engagés dans une relation sérieuse, avec deux enfants de son côté, un du mien. On a gardé le contact via les réseaux sociaux, sans aucune ambiguïté : nous n’étions pas partis vers une histoire d’amitié. C’était évident. On s’aimait. Ça avait été instantané. Nos couples respectifs ne fonctionnaient plus et cette rencontre a été l’occasion d’y mettre fin. Les choses se sont plus ou moins bien passées, sans cris ni larmes. Nous étions impatients. Sans doute un peu trop.
Nous nous sommes installés ensemble deux mois après notre coup de foudre. Anne, son ex-femme, avait rapidement trouvé un appartement et je suis arrivée chez lui avec ma fille de sept ans et quelques bagages. On a été très critiqués, même par nos proches. Parce que tout cela se faisait avec un empressement qui effrayait tout le monde… sauf nous. C’était comme si on se connaissait par cœur. Comme si on était des amis d’enfance qui se retrouvaient trente ans plus tard. Ses deux fils étaient très gentils et même s’il a fallu mettre au point quelques petites choses pratiques, on s’en sortait bien.
Pour se remettre de ces changements et prendre un peu de temps rien qu’à nous, nous sommes partis un week-end en thalasso à la frontière entre la Belgique et les Pays-Bas. Sur le chemin, il m’a demandé si je pouvais conduire. Il avait un peu mal à la tête et sa vision se brouillait. On n’y a pas vraiment prêté attention, mettant cela sur le compte de la fatigue. Nous sommes arrivés à la réception de l’hôtel et tout s’est accéléré. Je m’occupais du check-in, il était derrière moi. Il y a eu un bruit de chute. Je me suis retournée, il était à terre. J’ai ri, persuadée qu’il s’était pris les pieds dans les bagages. Je n’ai pas tout de suite réalisé. C’est la réceptionniste de l’hôtel qui s’est inquiétée. Il n’avait pas perdu connaissance mais il était livide, incapable de se relever ou de parler. Là, j’ai paniqué. Je n’ai gardé que le souvenir de l’ambulance qui partait. Je n’avais pas pu y monter. On m’a indiqué, en néerlandais, dans quel hôpital on l’emmenait. La dame qui avait appelé les secours m’y a emmenée. J’étais incapable de conduire, de bouger. Je n’avais absolument pas compris ce qu’il avait. Tous les scénarios me sont passés par la tête. Heureusement, sur place, une infirmière parlait français. Elle a prononcé ces trois lettres qui m’ont horrifiée : AVC. Un accident vasculaire cérébral, à 38 ans, comme ça, sans raison. La première personne que j’ai appelée a été mon ex-compagnon. Il a été parfait. Il a contacté Anne, l’ex-femme de Paul et lui a proposé de garder nos trois enfants. Pendant ce temps, le bilan vital était annoncé : Paul était sauvé, mais il était impossible de mesurer les séquelles dont il allait souffrir. Pour l’heure, il était dans le coma et j’étais à 250 kilomètres de chez moi. Il s’est réveillé le lendemain. Anne m’avait rejointe. Il n’y avait aucune animosité entre nous. Nous n’avions, jusque-là, pas vraiment échangé, mais nos places étaient déjà définies : j’étais la compagne, elle la mère des enfants de Paul. Nous avions un intérêt commun : protéger les petits et gérer la situation au mieux.
Il a été rapatrié en Belgique au bout d’une semaine. Nous savions que la rééducation allait être longue. Il était hémiplégique et aphasique.
C’est là que j’ai pu faire le tri entre mes vrais amis et les autres. Certains m’ont conseillé de le quitter, d’autres ont mis en doute mes sentiments pour lui, d’autres encore ont osé parler d’un « retour de karma », comme si nous avions à payer le mal que nous avions peut-être causé.
Mais il n’était pas question que je m’en aille. Je l’aimais profondément et cette épreuve n’allait pas me décourager.
La famille s’est montrée à la hauteur et même au-delà : le père de ma fille et Anne ont géré l’intendance, se sont occupé des trois enfants, des activités extrascolaires, des appels au boulot, de l’aménagement de la maison que nous occupions avec Paul… Durant ses deux mois d’hospitalisation, ils ont tout mis en place pour que je puisse passer le plus de temps possible auprès de lui. La rééducation s’est incroyablement bien déroulée. Il a eu beaucoup de chance, car les zones du cerveau touchées réagissaient bien aux stimulations des kinés et logopèdes. Il a progressé rapidement.
Au niveau du langage, notamment, c’était impressionnant. Comme il ne parvenait pas à formuler ses pensées en phrases compliquées, il allait à l’essentiel, alternant mots écrits, mots prononcés et petits dessins. J’ai tout conservé. Nous qui avions démarré notre histoire d’amour sur nos souvenirs de gamins, nous en étions à nous échanger des cœurs griffonnés et de chastes baisers comme si c’étaient les premiers.
Il m’a avoué plus tard avoir eu l’impression d’être un petit garçon. Une situation terrifiante mais qui s’était apaisée grâce aux regards que nous échangions. Nous avons développé un métalangage que nous utilisons encore aujourd’hui, avec des sons et des gestes qui veulent dirent des choses que nous seuls comprenons.
Il a bien sûr eu peur que je le laisse tomber. Mais jamais je n’ai eu cette idée. Paul est l’homme de ma vie. Il ne m’en aurait pas voulu et personne n’aurait eu le droit de me juger si j’avais décidé de ne pas l’accompagner. Je ne suis pas une sainte ni une infirmière, je n’ai pas le sens du sacrifice. Et nous n’avions pas encore eu le temps de bâtir les fondations de notre couple lorsque c’est arrivé. Mais on l’a fait après. Ses amis disent que son caractère a changé. Il est plus fonceur, plus pressé, moins patient qu’avant. Moi, je n’ai pas remarqué. Je ne le connaissais pas encore suffisamment avant son AVC pour pouvoir dresser des comparaisons. L’homme qu’il est devenu après ce gros souci de santé est l’homme que j’aime. Et ça dure depuis sept ans maintenant.”
Crédit photo: Grey’s Anatomy