Stéphanie a toujours été confiante et détachée. Mais en rencontrant Nicolas, elle a découvert un comportement qu’elle ne connaissait pas.
Je n’ai jamais, je le jure, jamais fouillé, suivi, interrogé ou piégé un homme. Jamais. Toutes mes relations, des plus sérieuses aux plus brèves, on été teintées de confiance et de liberté individuelle. J’ai été mariée pendant cinq ans et mon mari et moi avons chacun eu quelques aventures qui ont finalement conduit à notre divorce, mais il était moins question de jalousie que d’incompatibilité et de complicité brisée.
J’ai rencontré quelques hommes jaloux et je les ai quittés rapidement parce que je ne supportais pas le regard inquisiteur qu’ils posaient sur moi. Je ne suis pas volage, je ne suis pas menteuse ni manipulatrice, je ne pouvais donc pas comprendre que l’on me soupçonne de quoi que ce soit.
Puis j’ai rencontré Nicolas. Ou plutôt j’ai re-rencontré Nicolas. On avait flirté quand on était ados, je me souvenais du beau gosse un peu rock’n’ roll qu’il était, avec sa mob’ et sa dégaine qui rendait les filles folles d’amour et les gars dingues de jalousie. Vingt ans plus tard, il était toujours le chef de bande. Un charisme incroyable, une façon unique de séduire les foules. Il pouvait obtenir à peu près n’importe quoi d’à peu près n’importe qui, faisait rire les gens, savait écouter et réconforter. Le type parfait.
Le truc un peu compliqué, c’est qu’il avait besoin d’être tout le temps entouré et occupé. Les soirées à deux pouvaient vite devenir ennuyeuses pour lui si elles n’étaient pas organisées autour d’une surprise, d’un événement ou d’un excès.
Très vite, ce que j’avais adoré chez lui a commencé à m’inquiéter. Mon boulot m’amenait à m’absenter souvent, je devais m’occuper de mes parents, âgés, à qui je rendais visite régulièrement durant des week-ends entiers. Nous étions « officiellement » ensemble, on se voyait plusieurs fois par semaine, on passait de super moments, mais je ressentais quelque chose de bizarre quand je n’étais pas avec lui.
Le gamin que j’avais connu n’avait pas vraiment changé, il continuait à séduire tout ce qu’il approchait. Pas une séduction d’ordre sexuelle ou ambigüe, mais il devait plaire, être le centre de l’attention. Je découvrais souvent sur Facebook ou Instagram des photos de soirées où il était identifié. Il récoltait des likes à la pelle, venus de ses 5 000 amis virtuels. Sur un de ces clichés de groupe, j’ai repéré une fille, très belle, qui le regardait de loin, visiblement fascinée. J’ai senti mon sang bouillir. Je me suis sentie très mal en remontant et recoupant les infos jusqu’à découvrir son profil à elle. Rien de particulier, une connaissance d’amis d’amis. Je lui en ai parlé, il ne savait même pas comment elle s’appelait. Mais ce non-événement a eu l’effet d’un déclencheur. J’avais ouvert en moi une porte qui était toujours restée fermée. Dans les jours qui ont suivi, j’ai épluché les réseaux sociaux, examiné chacune de ses photos, chacun de ses statuts, chacune des chansons qu’il partageait. J’ai commencé à poser des questions à nos potes, inquiète de savoir comment il se comportait en mon absence. De l’avis général, il était impeccable, très amoureux de moi et d’une fidélité à toute épreuve. Mais comment faire confiance à des gens qui se seraient coupé un bras pour être admis dans son crew ? Je me suis rendu compte petit à petit que je lançais, presque à mon insu, des regards assassins à toutes les femmes qui l’approchaient à moins de cinq mètres. Même sa meilleure amie était devenue suspecte à mes yeux.
Au début, il trouvait ça mignon, d’autant que je lui avais expliqué n’avoir jamais ressenti ça avant. On a tous les deux décidé de mettre ce que je ressentais sur le compte de l’amour exceptionnel qui nous unissait.
Mais les choses se sont envenimées. Il m’arrivait d’annuler une visite chez mes parents ou un voyage professionnel uniquement pour débarquer au dernier moment à un dîner auquel il assistait. De planter mes copines au milieu d’une soirée pour le surprendre à une terrasse. D’organiser un lunch avec des collègues dans un resto qu’il fréquentait dans l’espoir secret de l’y croiser et de… De quoi ? Je ne le savais pas vraiment. Le prendre en flagrant délit d’infidélité m’aurait anéantie et je n’aurais pas su comment réagir à cette humiliation publique. Et puis il me suffisait de lui parler pour obtenir les réponses aux questions que je pouvais me poser. Alors quoi ? Aujourd’hui encore, je n’arrive pas à bien définir ce qui me motivait. Ma meilleure amie a résumé ça par « chercher la merde ». Il fallait que je me rende à l’évidence : le problème venait de moi.
Je me dégoûtais. Je ne comprenais vraiment pas pourquoi je me comportais comme une petite chose fragile et craintive face à une possible trahison qui ne s’annonçait même pas. J’ai passé le dimanche au lit à regarder des comédies romantiques et le lundi matin, j’étais chez mon médecin. Il a souri quand je lui ai expliqué l’objet de la consultation : « Je suis jalouse, docteur ». Il m’a diagnostiqué un léger épuisement et m’a prescrit trois jours de repos que j’ai pris sans hésiter. J’en ai profité pour m’enfermer chez moi, me jurant de ne rien tenter pour espionner Nicolas qui me croyait au fin fond de l’Allemagne pour affaires.
Je me suis déloguée des réseaux sociaux, ce qui fut le plus difficile, et je me suis documentée, via internet et quelques forums, sur le mal qui me frappait.
Je ne voulais pas voir de psy, je voulais juste redevenir moi-même. Je n’avais jamais mesuré la légèreté qu’était la mienne avant de découvrir ce sentiment qui dévore tout. J’ai écrit pour essayer de décrypter le pourquoi du comment. Je me suis rendu compte que j’étais surtout jalouse de ses plus belles qualités. De son aisance, de sa générosité. Il arrivait à se démultiplier pour être sur tous les fronts, alors que je voulais me sentir exceptionnelle à ses yeux. Placée plus haut et devant les autres. Ce n’était pas très noble de ma part, mais c’était clair.
Je lui ai adressé un long mail qui expliquait ma souffrance. J’imaginais qu’il allait l’accueillir comme le reste : avec bon sens et compréhension. Au lieu de ça, il s’est fâché très fort. Il était blessé, déçu, il trouvait ça profondément injuste. Et il ne pouvait pas avoir de meilleure réaction. Sa colère m’a fait du bien. Je l’ai interprétée comme une preuve d’attachement. Il n’a rien changé à son comportement, si ce n’est qu’il m’accorde davantage d’attention en public. Des petits gestes qui disent « Je suis là », quand nous sommes ensemble, des petits mots qui disent « Je pense à toi », quand nous sommes occupés chacun de notre côté. Mes réactions se sont apaisées. Je ne suis plus hérissée en permanence. Je me dis que ce que j’ai ressenti était le symptôme et la preuve que cette histoire si belle m’a déstabilisée, sortie de ma zone de confort. Pour l’heure, on s’aime, depuis plus d’une année et on compte bien continuer…