D’un père marocain et d’une mère espagnole, Farah, 32 ans, se sert de la scène pour faire entendre sa voix et briser les tabous. Un humour piquant, “trash mais didactique” à découvrir d’urgence.
La journée, Farah est marketing manager dans une banque. Le soir, elle monte sur scène et réalise son rêve. Depuis deux ans, cette jeune femme à la bonne humeur contagieuse s’est lancée dans le stand-up. Un peu au hasard, “juste pour voir“. Depuis, elle joue son premier spectacle à Bruxelles, participe à des festivals d’humour et anime des chroniques à la radio. L’homophobie, le racisme, la misogynie sont autant d’injustices qu’elle dénonce sur scène. Un humour percutant et engagé ? On dit merci Farah !
Comment passe-t-on de marketing manager à humoriste ? Quel a été le déclic ?
Il y a deux ans j’ai vu une annonce pour un stage à l’académie du Kings of Comedy Club, à Ixelles. C’est une idée qui me trottait dans la tête depuis quelque temps et je me suis lancée. J’ai tenté l’expérience comme une sorte de crise de la trentaine (rires). Et ces deux semaines ont été une révélation.
À partir de quand t’es-tu sentie à ta place en te disant “j’ai fait le bon choix” ?
Le côté positif de l’humour c’est que le rire est immédiat donc on sait tout de suite si on a sa place ou non. À l’académie je me suis vite sentie à l’aise surtout lorsque j’ai commencé à avoir le retour des coachs et des organisateurs qui m’ont dit que j’avais du potentiel. Et à partir de là tout s’est enchainé, les scènes, les premières parties, les concours, la radio… Mais avec le recul je me dis que le bon choix c’était d’oser, peu importe la finalité.
Raconte-nous tes débuts sur scène. Qu’est-ce que ça fait de se retrouver seule sur la scène face à un public pour la première fois de sa vie ?
C’est horrible (rires) ! C’est un stress qui ne part jamais. Tu te poses la question “est-ce que je vais réussir à les faire rire ?“. À chaque fois c’est le même stress, que ce soit devant 10 personnes ou 1000. Il y a toujours ce pic d’adrénaline assez puissant. Mais si tu réussis à faire rire le public et qu’il est avec toi alors là c’est le pied !
Récemment, tu as joué ton spectacle au Koek’s Théâtre à Bruxelles et Stromae qui était dans le public est venu te saluer à la fin. Ça fait quoi d’être encouragée par un artiste reconnu comme lui ?
C’est incroyable et très flatteur surtout que j’admire beaucoup son travail et son écriture. J’ai la chance d’avoir à mes côtés la société Coup de Pouce qui m’accompagne comme agent et Stromae est l’un de leur principaux soutiens. C’est quelqu’un de curieux, accessible et très bienveillant qui encourage la création artistique et le développement de jeunes artistes quelque soit leur discipline. Mais je dois avouer qu’à chaque fois qu’il se déplace pour m’encourager ou qu’il me fait un compliment sur mon travail je me dis que c’est juste fou et que j’ai beaucoup de chance (rires) !
Tu viens de jouer ton premier spectacle à Bruxelles. C’est quoi la suite ?
L’idée maintenant c’est de roder le spectacle en faisant un maximum de scène en Belgique et en France. Mais aussi de participer à des Festivals d’humour et surtout de continuer à écrire pour la scène et la radio. Depuis la rentrée, j’ai rejoins toute la bande des Enfants de Chœur sur Vivacité avec Kody, James Deano, et Christophe Bourdon. Donc plein de beaux projets en cours…
Quel est ton plus grand rêve en tant qu’humoriste ?
Pouvoir en vivre.
On parle beaucoup de Nawell Madani, notre compatriote belge qui fait rire jusqu’en France. Est-ce que son parcours te fait rêver ?
C’est un exemple à suivre, elle a osé partir à Paris pour réaliser son rêve. C’est quelqu’un de courageux, elle est travailleuse et se donne les moyens pour atteindre ses objectifs. Rien que pour ça, en tant que femme humoriste, je trouve que c’est un exemple à suivre.
Justement, quelles sont les femmes humoristes que tu admires ?
Il y en a beaucoup ! Je suis une fan absolue d’Amy Schumer et Sarah Silverman aux États-Unis et de Blanche Gardin en France mais il y a aussi Florence Foresti, Laurence Bibot, Valérie Lemercier, Nawell Madani et tellement d’autres encore !
Comment gères-tu le fait de travailler dans un milieu majoritairement masculin ?
L’avantage c’est que j’ai déjà l’expérience de la banque qui est un milieu assez masculin. C’est vrai que parfois c’est plus difficile pour une fille, mais il faut oser s’imposer et ne pas se censurer. On est parfois confrontées à des remarques misogynes que ce soit du public ou dans le milieu professionnel. Justement cela doit être un moteur plutôt qu’un frein. Comme pour toutes les femmes dans n’importe quel métier, il faut rester soi-même et oser bousculer les codes. Et si c’est vrai que le monde de l’humour est majoritairement masculin il faut le voir comme une force et une opportunité parce que du coup, en tant que femme, on a encore 1000 tabous à briser et des tonnes de sujets à exploiter. Un jour après une scène, il y a un jeune homme qui est venu me voir en disant “c’est bien ce que tu fais, mais j’adhère pas c’est un peu trop féministe” Du coup il est dans mon spectacle (rires) ! C’est l’avantage, on a un droit de réponse. Heureusement ce n’est pas la norme, il y a aussi des hommes qui sont venus me voir en me disant que le spectacle avait été une “belle claque” pour eux et que ça les avait fait réfléchir.
Est-ce que tu penses qu’on peut rire de tout ?
Je pense que oui mais il faut le faire intelligemment et ne pas être méchant gratuitement. Par contre, lorsqu’on décide de rire de tout, il faut être conscient que ce n’est pas le cas de tout le monde. Il faut donc être prêt aux réactions parfois négatives. Comme je le disais, j’ai un humour engagé, je dénonce l’homophobie, le racisme, la misogynie donc forcément il y a des personnes qui vont peut-être se sentir jugés ou qui ne partagent pas mes opinions. Il faut donc être prêt à faire face à la désapprobation d’une partie du public. Mais si c’est pour une cause qui vous tient à cœur alors ça vaut le coup !
Comment définis-tu ton humour ?
Souvent les gens disent que je fais de l’humour trash… c’est vrai mais comme je le dis sur scène c’est “trash mais didactique”. C’est de l’humour noir, piquant et engagé mais promis c’est drôle quand même… Enfin j’espère ! Comme dans la vie de tous les jours, j’ai des idées et je les défends. Dans la vie j’ai un principe: laisser les gens tranquilles, ne pas juger les autres, vivre sa vie et arrêter de se mêler de la vie intime ou des convictions des uns et des autres. Mais comme malheureusement tout le monde ne partage pas ce principe il y a encore beaucoup de choses à dénoncer.
Où trouves-tu l’inspiration ?
Partout ! Entre humoristes, on en rigole parce que parfois il ne faut même pas inventer de punchline tellement les faits en eux-mêmes sont drôles. Il faut juste être curieux, écouter, s’informer et observer les gens. L’inspiration est vraiment partout, ce qui est difficile c’est de le retranscrire sur scène et de faire en sorte que ce soit drôle et universel.
Tu es comme ça dans la vraie vie ?
Sur scène, c’est une version de nous mais une version plus théâtrale. Quand ils me voient sur scène, mes amis me disent “c’est toi sans être toi“. Et c’est vrai que, même si au quotidien j’adore rire, sur scène, je suis plus à l’aise et j’ose dire et faire beaucoup plus de choses que dans la vraie vie. En tant qu’humoriste, on exagère les traits pour créer notre personnage comique. Par contre, ce que je dénonce et les thèmes que j’aborde, j’en ris sur scène mais dans la vie de tous les jours ça ne me fait pas rire du tout. Par exemple, quand je vois qu’on remet en cause le droit à l’avortement ou qu’on s’oppose au mariage pour tous, ça m’énerve profondément et je peux me lancer dans des débats enflammés. Mais au scène il ne faut pas se prendre au sérieux sinon ça fait “donneur de leçon” et surtout parce que selon moi le rire est la meilleure arme pour faire évoluer les mentalités.
Retrouvez Farah en spectacle le 30 novembre au Kings of Comedy Club, 489, Chaussée de Boondael, 1050 Bruxelles. Infos et réservations sur kocc.be