Dans un décor de musée revendiquant que « l’acte de création est un acte de résistance », Alessandro Michele pour Gucci a annoncé ses intentions : il ne cédera pas au rythme effréné de la saturation de collections.

Chaque saison, les quatre Fashion Weeks, points cardinaux de la mode, donnent les directions des tendances à venir. Plus internationale et transversale depuis deux-trois ans, Milan concentre toute l’attention. Et la collection la plus attendue, la plus commentée, la plus prescriptrice vis-à-vis de toutes les autres, c’est Gucci.

Dès sa première prise de responsabilités en janvier 2015 comme directeur créatif, Alessandro Michele, lauréat du British Fashion Award du meilleur designer cette même année, et qui succédait au style chamarré de Frida Giannini, annonçait sa couleur à lui : l’androgynie baroque, les mélanges de styles et d’époques. Non par opportunisme stylistique, mais par inclusion sociologique.

Alors que la plupart des maisons présentent quarante ou cinquante silhouettes par défilé, Gucci en a exhibé mercredi plus de cent. Chacune porteuse de son identité propre, de son message ethnologique, désirable, un peu intello. Si dans le rythme soutenu du show, avec musique saccadée et pénombre relative du décor, on pouvait se sentir parfois décontenancé face à la prolifération des propositions sur les mannequins, hommes et femmes, il faut voir la collection – il faudrait dire « les collections » tant il y a d’inspirations mixées – au showroom et dans quelques mois en boutique : le poids des pièces du défilé, leur qualité, leur variétés, les finitions. A la sortie du défilé, on pouvait entendre « c’était un peu la même chose que la dernière fois ». C’est plus subtile que cela mais surtout, c’était l’idée. Mais c’est aussi et surtout un parti pris – rappelons que la collection était présentée dans un « musée » archéologique. A une époque où toute la profession tire la sonnette d’alarme face à la surproduction et à l’obligation de sortir quasiment une nouvelle collection tous les mois, Alessandro Michele fonde des bases.


Au sein de la marque, on confirme : « depuis l’arrivée d’Alessandro, c’est le carton plein ! Chaque produit qui sort du studio devient iconique. Il est tellement à l’opposé de ce qui avait été fait jusqu’à présent, que ça a chamboulé tout Milan ». Autre indicateur, depuis 2015, on « se bat » pour assister au défilé. La presse s’emballe, les acheteurs sont prêts à attendre les réassorts. Gucci a viré au phénomène. Mais pas par magie. Alessandro Michele, déjà présent dans la maison depuis une dizaine d’année, en a fait un univers cohérent et veille à tout. Des collections enfants aux parfums, tout ce qui est sous licence. Pour autant, ceux qui travaillent auprès de lui témoignent tous de sa grande accessibilité : les designers superstars, c’est fini. Alessandro est réputé charmant, abordable. Il est l’anti « DA tour d’ivoire », et c’est grâce à cela qu’il a pu fédérer autant de gens autour de lui. « Aujourd’hui à Milan, c’est lui qui tient la dragée haute aux autres », dit son entourage. En mars 2016, puisque le défilé allait commencer avec une heure de retard, le service de presse a appelé tous les invités, un à un, pour prévenir, par courtoisie. Le respect dans les manières, une  identité précieuse et accessible à la fois. Et une collection radicale, no gender, décalé, ostensiblement à contre-courant de « l’Italie Riviera ».

Pour l’été prochain, le designer assoit son identité créative avec ses mélanges de cultures, de genres, et d’histoires de mode : période médiévale ou Renaissance, garçons arrangés en filles quoique vêtus de costards, et déploie son art de l’excès, sa passion de l’ennoblissement des pièces à l’extrême. Son postulat appelle à “résister”, on voit même des logos « Guccy », clin d’oeil à Sega.

Iconoclaste, Alessandro Michele ? S’agissant de dénoncer – d’une façon relative, on s’entend – le fait que la chaîne de la mode est en train de dérailler dans une pente raide, il vient en effet de poser son point de vue de façon claire, et brillante puisque tout le monde ne parle que de ça dans le milieu (et sur les bords).

On aime beaucoup ce message, « résiste ». Mais pas à la collection : quand on l’a touchée, on en veut les trois quarts. Le désir est paradoxal et à Milan, les saisons changent.

 

 

Il faut regarder pour comprendre :