De « petit boulot un peu chaud » à services sexuels tarifés, il n’y a qu’un pas ? Vraiment ?

« Vidéaste amateur de 39 ans, je cherche des modèles féminins entre 18 et 35 ans, de corpulence mince ou sportive pour tourner dans des vidéos fétichistes des pieds. Il n’y a aucune nudité ni acte sexuel. La prestation est rémunérée. Anonymat garanti. » Le message a été publié en janvier dernier par un Liégeois sur le site de petites annonces « Vivastreet ». Et les candidates répondent à l’appel. Il faut avouer que la proposition peut séduire, de la même façon que le job de cam girl* attire. Le homeworking est privilégié, le sentiment de sécurité assuré et l’argent vite compté… Agiter ses seins ou ses orteils devant une caméra, en dernier recours, beaucoup d’entre nous se sont déjà dit « pourquoi pas ? »

MAIS LA PROSTITUTION, ELLE DÉBUTE OÙ? 

De quoi parle-t-on ? De faire le trottoir ? De procurer un « happy ending » à la fin d’un massage ? De vendre ses petites culottes au plus offrant ou d’épouser un homme pour des rivières de diamants? Le service de la Politique criminelle belge** définit la prostitution comme le fait de « proposer ou d’accepter, moyennant une rémunération ou un avantage matériel autre qu’affectif, des contacts physiques, de quelque nature qu’ils soient, qui ont pour but de satisfaire les besoins ou les plaisirs sexuels ». Espace P, une association qui vient en aide aux travailleurs du sexe, voit encore plus large et évoque « l’échange d’un service sexuel contre une rémunération quelconque. »

« Derrière ces termes, il y a plusieurs significations. Les ” services ” sont très variés et il n’y a pas systématiquement de contact, ni d’acte, comme on se l’imagine souvent. Dans le milieu SM, par exemple, il y a d’ailleurs très peu de rapports sexuels », explique Tereza Tylova, sociologue et travailleuse sociale à Espace P. « Il n’existe pas vraiment de définition officielle puisque la prostitu- tion n’est pas encadrée par la loi. En Belgique, elle est simplement tolérée. Il appartient à chaque femme de se définir comme elle en a envie, mais certaines ne se considèrent pas comme des prostituées, notamment à cause du regard des autres. »

TEREZA TYLOVA DÉNONCE D’AILLEURS LE PARADOXE DE NOTRE SOCIÉTÉ. 

D’un côté, une liberté sexuelle encensée et une overdose de pubs de filles dénu- dées. De l’autre, un retour à l’ordre moral en matière de droits sexuels… Après six ans d’investigation, Alessandra d’Angelo, avocate de formation, vient de sortir un livre baptisé « Prostituées alimentaires ». Ici, les jugements de valeur sont absents et les témoignages s’enchaînent. L’auteure y relate la précarité économique des femmes en Belgique et plaide pour une révision des grilles salariales. Page après page, elle décrit un phénomène grandissant chez nous : des filles diplômées ou issues de familles aisées, obligées de vendre des services sexuels pour manger. Mais qui ne se définissent pas forcément comme des prostituées.

« J’ai connu une période où je ne pouvais même plus m’acheter un pain à la fin du mois. Cet homme m’a alors proposé ce que je considère aujourd’hui comme ma première passe. Depuis, cela s’est transformé en service sexuel régulier, une à deux fois par semaine. (…) En général, cela se passe sur le temps de midi. Je ferme, je mets un mot sur la porte et j’arrive », explique dans le livre Morgane, une vendeuse de 43 ans. «Est-ce que c’est un client? Est-ce que jesuis une pute ? Je ne sais pas. Ces mots sonnent durement à mon oreille. Je sais, en tout cas, que c’est mon revenu de survie. Ce n’est pas de l’argent facile, mais de l’argent rapide. Je peux payer l’internat de mes filles, les fournitures scolaires et faire des courses normales. »

LES SITES DE « SUGAR BABIES » JOUENT ALORS AVEC LES MOTS. 

Ici, on ne parle pas de«prostitution » mais « d’arrangement » ou de « relations mutuellement avantageuses ». Les clients n’existent pas, seuls des «papas gâteaux» répondent à l’appel pour « prendre soin » de jolies filles, payer leurs études et leur offrir un sac Chanel en fin de semaine. « On essaie de rendre ça glamour alors que ça ne l’est pas. Oui, un accord peut se conclure entre deux parties majeures. Maintenant, il faut voir s’il n’y a pas d’abus de confiance et si chacun est conscient des termes de l’accord, des différentes clauses. À 18 ans, on peut être naïve et le consentement est souvent dicté par la contrainte économique », analyse Alessandra d’Angelo.

«Ce qui est inquiétant, c’est de démarrer sa vie sexuelle avec un rapport arrangé, qui n’est pas basé sur la désir. L’identité sexuelle n’est pas encore réellement construite. Ce n’est pas la même chose de rentrer dans le milieu à 18 ou à 30ans, on ne dispose pas des mêmes armes », ajoute Tereza Tylova. Certaines sugar babies arrêtent alors leurs études et tombent complètement dans la prostitution. Difficile d’assurer ses exams quand on a accompagné un businessman pendant trois jours à Dubaï. Et de se rendre compte qu’on gagne plus d’argent en une nuit qu’en un mois de travail… Beaucoup ne mesurent pas non plus l’ampleur de l’impact psychologique. C’est le cas de Marie. Inscrite sur SeekingArrangement, un site de sugar dating, la jeune fille de 24 ans a livré son témoignage à Alessandra d’Angelo.

«Je n’ai pas de problème à utiliser mon corps pour survivre. En plus, j’aime le sexe et je l’assume. (…) Mais, le dernier “daddy” que j’ai rencontré m’a vraiment fait basculer sournoisement dans l’enfer. Il a subrepticement gagné du terrain par rapport aux limites que je m’étais fixées. (…) Lorsque je me suis rendu compte qu’il égratignait mon intégrité, que je ne m’estimais plus, j’étais déjà allée très loin, trop », raconte-t-elle. « On a une autre vision de l’amour et de la sexualité par rapport au vécu d’un homme de 50 ans. Ces types nous volent notre jeunesse et nos idéaux. Et cette réalité, il n’y a personne qui vous en informe. On la découvre en immersion. J’ai souffert d’un manque d’argent, aujourd’hui j’ai mal à ma dignité. Je nourris un sentiment noir majeur : celui de ne plus pouvoir un jour aimer… »

ET SI LA VRAIE QUESTION, CE N’ÉTAIT PAS DE DÉFINIR LA PROSTITUTION ? 

Mais plutôt de savoir si elle est réellement choisie en toute connaissance de cause, effectuée sans rapports de force et dans de bonnes conditions ? Laisser ses préjugés et ses conceptions morales de côté. Ne pas vouloir mettre les femmes dans des cases à tout prix mais les informer et les accompagner. « Selon moi, la dénomination n’est pas si importante que ça. Une femme est libre de se définir comme elle le souhaite. Du moment qu’elle est en accord avec ses choix et que son bien-être est respecté, il n’y a pas de jugement de valeur à porter », explique Tereza Tylova. Et on partage son avis. Mais alors la prostitution, elle débute où ? Là où on estime individuellement que ça commence, tout simplement. Les femmes ont le droit de disposer de leur corps comme elle l’entendent. Mais encore faut-il que ce choix soit éclairé, qu’elles aient en main toutes les cartes (distance, lucidité, maturité…) pour prendre leur décision. La vraie préoccupation, elle se situe là.

EN BELGIQUE, ON EN EST OÙ ? 

/ Chez nous, la prostitution n’est pas une infraction. Elle n’est pas encadrée au niveau de la loi, c’est-à-dire qu’elle n’est ni légale, ni illégale mais tolérée. Ce qui est interdit en revanche, c’est le proxénétisme (les revenus tirés de la prostitution d’autrui), le racolage et la traite des être humains.

/ Dans le cadre de la gestion des mœurs, chaque commune peut gérer son territoires et établir des règlements en matière de nuisances liées à la prostitution.

/ Être prestataire de services sexuels n’est pas reconnu comme une activité professionnelle. La seule façon d’avoir un statut pour les prostituées est de se déclarer comme indépendantes (comme serveuses par exemple). Alors qu’elles évoluent parfois dans un contexte d’insécurité et de violence, beaucoup n’ont pas accès à la sécurité sociale, à la pension, au congé maternité, etc.

Crédit photos: série The Deuce

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