De « Black Panther », qui sort ce ­­mois‑ci, à « Un raccourci dans le temps » d’Ava DuVernay, l’âge d’or du cinéma noir aurait‑il sonné ?

La cérémonie des Emmy Awards 2017 a fait la part belle aux premières fois. Donald Glover, à qui l’on doit « Atlanta », est devenu le premier homme noir à accéder au titre de meilleur réalisateur pour une comédie, alors que Sterling K. Brown est le premier acteur noir – en dix-neuf ans – à décrocher le Emmy du meilleur acteur dans une série dramatique pour son rôle dans « This Is Us ». Ava DuVernay, elle, a remporté pas moins de quatre statuettes pour son documentaire

« Le 13e », qui traite de la sur-incarcération des Américains noirs aux
États-Unis. Lena Waithe est la première femme noire à recevoir l’Emmy du meilleur scénario comique pour « Thanksgiving », épisode mémorable de la série « Master of None » d’Aziz Ansari. Dans son discours, qui a ému aux larmes toute l’assemblée, elle déclarait, en recevant son prix : « À tous ceux qui ont témoigné tant d’amour pour cet épisode, merci d’avoir fait confiance à un petit Indien de Caroline du Sud et à une lesbienne noire du sud de Chicago. Votre soutien nous va droit au cœur, bien plus que vous ne pouvez l’imaginer. »

Nous avons rencontré Lena, quelques semaines avant qu’elle ne décroche cet Emmy, pour parler de « Thanksgiving », qu’elle a écrit et dans lequel elle a joué. En grande partie autobiographique, cette histoire mêle coming in et coming out, sur un ton tantôt hilare, tantôt tragique. Avant même cette récompense, l’épisode était devenu viral. « J’étais loin de m’imaginer à quel point les gens en avaient besoin », a déclaré l’actrice de 33 ans. « En particulier, les homosexuels de couleur. J’ai reçu une foule de témoignages : “Tu as raconté notre histoire. Nous te sommes très reconnaissants d’avoir porté cette lumière, car nous méritons d’être vus. “ »

Lena considère son travail comme un élément d’un mouvement plus vaste. Ses amis et ses contemporains – Glover, Michaela Coel de « Chewing Gum » et Issa Rae d’« Insecure » – ont tous incarné un personnage dans la série télévisée qu’ils ont créée. « Nous traînons ensemble, nous communiquons, nous échangeons des conseils et du feed-back. Cette communauté rappelle la Renaissance de Harlem et celle de Chicago (des mouvements culturels et artistiques qui ont traversé les années 20, NDLR). Une renaissance qui voit le jour également en ce moment, à Hollywood. » Le nouveau projet de Lena, « The Chi », est une série télévisée qui explore les destins croisés d’habitants du quartier sud de Chicago : « C’est pour moi un honneur d’en faire partie, parce que ce que nous faisons est cool, génial et vraiment actuel ; je peux vous promettre que, dans vingt ans, nous aurons ouvert des portes qui permettront à d’autres de raconter leur histoire. »

Il suffit de jeter un œil sur les principales sorties prévues en 2018 pour constater que le palmarès des Emmys n’est pas un cas isolé. En ce mois de février, Marvel sort « Black Panther », son premier film dédié à un super-héros afro-américain, avec Chadwick Boseman dans le premier rôle. Il sera entouré de Lupita Nyong’o de « 12 Years a Slave » et de Daniel Kaluuya de « Get Out ». Le film de science-fiction d’Ava DuVernay, « Un raccourci dans le temps », devrait arriver au mois de mars dans les salles obscures, tandis qu’une suite du film culte d’Eddie Murphy « Un Prince à New York » est en préparation.

« Le monde est meilleur quand chacun peut raconter son histoire », explique Brian Dobbins, réalisateur de la sitcom « Black-ish », qui aborde des questions telles que la brutalité policière et le racisme institutionnalisé, souvent sous un angle humoristique. « Qu’ils soient noirs, blancs ou latinos, les gens me disent à quel point ils se sentent proches de la série ! »

Icone citation

«Le monde est meilleur quand chacun peut raconter son histoire»

C’est Yara Shahidi, 17 ans, qui incarne Zoey Johnson, une jeune fille intelligente et populaire dans la série « Black-ish ». Hors écran, Yara est une force de la nature. Brillante et politiquement engagée (elle commencera ses études à Harvard l’année prochaine), Yara utilise son compte Instagram pour sensibiliser ses 1,3 million de followers à l’importance de l’inclusivité. Yara ou encore Amandla Stenberg de « Hunger Games » représente une nouvelle génération de célébrités. De jeunes et puissants influenceurs reconnus tant pour leur militantisme que pour leurs rôles d’acteurs (les deux étant souvent liés). En 2017, aux Oscars, on commençait à sentir le vent du changement : « OJ : Made in America » a décroché le prix du meilleur film documentaire et Viola Davis celui de la meilleure actrice dans un second rôle pour son interprétation dans le drame « Fences », alors que « Moonlight » a marqué un véritable tournant dans l’histoire de Hollywood en recevant trois trophées, dont celui du meilleur film. « Est-ce que je pense que ˝Moonlight˝ était attendu ? », demande Tarell Alvin Mc Craney, le scénariste du film. « Que le public attendait de voir des corps noirs dans un espace à la fois vrai et beau ? Oui. Je pense que ce besoin explique en partie l’origine du hashtag #OscarsSoWhite. »

« ˝Moonlight˝, ˝Get Out˝ et la série ˝Atlanta˝ entreront dans l’Histoire comme des projets qui ont changé la perception qu’ont les gens de la toile et de la lucarne noires », explique Lena. « Tout ça est édifiant, car l’industrie n’a pas d’autre choix que de nous tendre la main et de nous dire : ˝O.K., nous voulons vous soutenir, parce que vous touchez visiblement la corde sensible.˝ »

Texte SHANNON MAHANTY  Traduction VIRGINIE DUPONT

Découvrez le magazine de février #Blackedition, en librairies. Le numéro qui sort de l’ombre…