Pour son défilé automne/hiver 2018, Chanel a envoyé du bois… et créé l’émoi.
Coutumière des shows spectaculaires à scénographies stupéfiantes (décollage d’une fusée sous la coupole du Grand Palais, le célèbre “supermarché Chanel”, la composition d’un décor de banquise en ville…), la Maison Chanel a présenté sa dernière collection de prêt-à-porter dans une forêt imaginaire, avec feuillage au sol, et parfum de sous-bois.
Une mise en scène au diapason avec les couleurs de la saison – camaïeux mordorés, vert chlorophylle, cognacs lumineux. Pour donner vie à cette forêt enchanteresse, une palette de roux, de rouge érable, de bruns écorce, d’imprimés feuillages et bois grisé pour accompagner les noir et blanc signatures de Chanel. Comme pour chaque nouvelle collection, des accessoires second degrés inspirés du thème : ici, des colliers en nervures et des sacs-bûches.
Les silhouettes se distinguaient par des lignes longues et tubulaires, des statures aux épaules architecturées, des cols nets et hauts. A l’orée de la collection, la petite robe noire trouvait sa place au tombé du soir, raffinée, essentielle.
Et parce qu’on ne se met pas au centre de l’attention (de la tension, en l’occurrence) sans parfois soulever de point épineux au coeur des résineux, voici que ce défilé magnifique et onirique a fait polémique. En cause : les arbres installés au centre du Grand Palais. France Nature Environnement, fédération française des associations de protection de la nature et de l’environnement, a généré une controverse à propos du décor, déplorant l’abattage d’arbres “centenaires” pour “quelques heures de show” haute couture. Bon, aucun défilé de mode au monde ne dure “quelques heures”, c’était du prêt-à-porter, et il s’agissait de six arbres coupés dans un contexte d’exploitation encadré, mais on ne va pas pinailler. La question ici est celle d’un décalage de compréhension. La maison au double C a réagi dans un communiqué : “Chanel souhaite préciser qu’il ne s’agit en aucun cas de chênes centenaires mais de chênes et de peupliers en provenance d’une forêt française du Perche, acquis dans le cadre d’un plan de coupe autorisé. Lors de l’acquisition des arbres, Chanel s’est engagé à replanter une parcelle de 100 nouveaux chênes au sein de la forêt”. S’il est évidemment fondamentale que des associations et ONG impliquées dans la préservation de l’environnement veillent à l’impact de l’industrie du textile sur la planète, il faudrait sans doute remettre le vieux chêne au milieu du sous-bois : en terme de dégâts écologique, les six arbres du show Chanel ne sont pas ce qui affectera le plus la planète cette année. Rappelons que depuis l’avènement de la fast-fashion, la production de textile a doublé, que rien que pour produire du polyester, on consomme chaque année 70 millions de barils de pétrole, que 40% des terres cultivées sur Terre sont dédiées au coton, et que selon les sources qui varient, 15% à 25% des pesticides utilisés le sont pour ce même coton. Certes, il faut veiller au grain, mais peut-être faudrait-il surveiller le bon…
En attendant, ce qui poussera l’hiver prochain, sera une collection au tons naturalistes et conçue par la grâce d’un savoir-faire exclusif et inimitable, artisanal, garant d’une production respectueuse, dans un secteur dans lequel, parfois, l’arbre qui tombe fait plus de buzz que la forêt qui pousse.