“Ô temps ! Quel vêtement neuf n’as-tu pas usé ? Lequel de tes pairs n’as-tu pas ruiné ?”. Ce vers du grand poète syrien Abu-l-Ala al-Maari date d’il y a plus de mille ans, mais il résonne encore entre les murs de la Villa Empain, qui propose jusqu’en juin une expo captivante : “Melancholia”, ou comment l’art s’empare de ce tendre état d’âme. Nostalgia ultra, quand tu nous tiens !

“Senza Titolo” de Claudio Parmiggiani

La mélancolie, ce “signe de distinction du coeur et d’élévation de l’esprit” (Flaubert) : un sentiment donc noble, que Louma Salamé, directrice générale de la Fondation Boghossian, a désiré mettre à l’honneur dans cette nouvelle exposition qu’elle a elle-même commissionnée. Et le résultat est magnifique : en 70 oeuvres d’artistes belges et internationaux élégamment disséminées dans chacune des pièces de la Villa Empain (ce bijou d’Art Déco), l’expo donne sa vision de la mélancolie, tour à tour tristesse, souffrance, solitude, douceur, silence, abandon, onirisme, rêve, regret et vague à l’âme. Quelle autre inclination d’esprit a fait l’objet de tant d’évocations dans l’histoire de l’art ? Quel autre sujet touche autant aux questions existentielles que l’Homme se pose depuis la Nuit des Temps ? De la philo à la théologie, de la médecine à la littérature, elle a toujours été partout.

“Pomeriggio d’Estate” et “Piazza d’Italia” de Giorgio De Chirico – “Homme à mi-corps” d’Alberto Giacometti

Conçue comme un voyage à travers les différentes strates, autant négatives que positives, de la mélancolie, l’expo s’articule autour de six thématiques : “Le Paradis Perdu”, “Mélancolies”, “Ruines”, “Le temps qui passe”, “Solitude” et “Absence”. On s’y promène les yeux écarquillés (voire embués) devant tant de beautés, qui dialoguent entre elles comme autant de nuances d’un seul et même bleu (à l’âme). Oui, l’âme (on se répète), parce que d’âme cette expo n’en manque pas : on s’y perdrait des heures que ça ne nous gênerait pas, entre les toiles de pleine lune (Paul Delvaux, Giorgio De Chirico, Spilliaert) et les installations motivées “in situ”, cristallisant ce qui naît ou disparaît (Parmiggiani, Boltanski, Tatiana Wolska, Abdelkader Benchamma). “Il faut tourner, tourner toujours, par les mêmes idées, les mêmes joies, les mêmes plaisanteries, les mêmes habitudes, les mêmes croyances, les mêmes écoeurements”, écrivait Maupassant. Alors on tourne au milieu de ces oeuvres, emportés par leur poésie et leur force naturelles, le temps qu’il faut pour méditer sur notre rapport au monde… Un “Sentiment qui / Me mène à l’infini / Mélange du pire, de mon désir / Je t’aime mélancolie” (Mylène). On ne pouvait mieux conclure.

“Torso” de Constant Permeke

Où ? Villa Empain, Avenue Franklin Roosevelt 67, 1050 Bruxelles

Quand ? Jusqu’au 19 août

Plus d’infos ? Fondation Boghossian