À peine diplômés et d’emblée sous les projecteurs de la scène internationale de la mode. Simple coïncidence ou plan prémédité ? Nous avons posé la question à Rushemy Botter, dont la collection de fin d’études est passée sans transition de l’Académie d’Anvers aux boutiques et aux festivals de mode dans le monde entier.
Botter, c’est le projet commun de Rushemy Botter et de sa petite amie, Lisi Herrebrugh. S’il s’occupe de la conception, elle se charge de la mise en œuvre pratique. Ensemble, ils se portent garants d’un mélange haut en couleur de vêtements conceptuels que l’on pourrait assimiler à des chefs-d’œuvre techniques – bomber ou pantalon ? – aux détails graphiques. Le duo puise son inspiration dans ses origines. Résultat : un dressing d’une rafraîchissante -originalité, inspiré par les dégaines spontanées des Caribéens. Très réussi !
Le jeune label a parcouru un chemin impressionnant en peu de temps : Rushemy et Lisi ont remporté le Prix VFiles avant de pouvoir se dire « diplômés » (lui, de l’Académie d’Anvers en 2017, elle de l’Amsterdam Fashion Institute – AMFI – un an plus tôt). Leur collection de dernière année est, et c’est rarissime, passée en un éclair du catwalk aux rayons de différents concept-stores. Les acheteurs ont perçu ce je-ne-sais-quoi à travers leur vision de la mode conceptuelle. Le jury du prestigieux Prix LVMH – qui a servi de tremplin à Jacquemus, Vetements et Marine Serre – a également été séduit et a permis à Lisi et Rushemy d’arriver en finale. Ce n’est pas tout : ils ont raflé le Grand Prix du Festival international de mode à Hyères. « Les concours sont intéressants pour les jeunes designers. Ils leur offrent une grande visibilité et les mettent en contact avec les bonnes personnes. Il est néanmoins contre-productif de briguer tout et n’importe quoi. Nous choisissons consciemment les concours auxquels nous participons et essayons de ne pas surcharger Botter. »
Si beaucoup d’anciens étudiants souhaitent d’abord acquérir de l’expérience dans les studios de maisons de mode établies, après l’obtention de leur diplôme, cela n’a jamais été une option pour Lisi et Rushemy. « Nous avons toujours voulu avoir notre propre marque et notre collaboration a été scellée peu de temps après notre rencontre. Nous avions un plan et considérions nos études comme une période d’essai. Nous avons appris à travailler ensemble, tout en développant chacun notre talent et notre réseau. Lisi se sentait bien à l’AMFI, qui accorde une grande attention à l’aspect technique de la mode. Je rêvais de l’Académie d’Anvers et je n’ai pas été déçu. Cette école a tout d’une famille. Ma formation m’a aidé à développer une esthétique claire. Lisi et moi avons également fait un stage chacun de notre côté, elle chez Viktor & Rolf, moi avec Jeroen Van Tuyl. Est-ce que ça suffit pour foncer ? Non, il faut accepter de sauter dans l’inconnu pour apprendre toujours plus. Lorsque j’étais en troisième année, je bénéficiais déjà de l’attention des médias grâce à VFiles. J’aurais pu en profiter pour me lancer, mais je tenais à terminer mon master afin de trouver l’équilibre entre le commercial
et l’artistique. »
“Une pièce ne prend vie que lorsqu’une personne l’enfile et l’utilise pour montrer qui elle est.”
Le passage du cocon de l’Académie aux affres de l’industrie de la mode est, et reste, la grande étape que chaque étudiant doit franchir. « Le démarrage de notre entreprise n’a pas été facile. À la confection et à la vente de beaux vêtements s’ajoutent la -comptabilité, la logistique et l’organisation. Nous travaillons en tandem et la production se fait -également ici. Récemment, nous avons fait appel à deux stagiaires et cette collaboration s’est avérée un processus d’apprentissage pour nous aussi. Il est difficile de déléguer et de compter sur quelqu’un d’autre que sur soi-même ! »
Par ailleurs, il existe un fossé entre la mode conceptuelle et la mode commerciale, mais cela ne constitue pas un réel problème pour Botter. « À l’Académie, j’ai vécu dans une bulle créative et j’ai eu la possibilité de m’épanouir en tant que designer. Aujourd’hui, je suis toujours à la recherche d’un moyen de traduire mes idées expérimentales en -créations portables. C’est à partir de ce moment-là que l’on peut parler de mode : une pièce ne prend vie que lorsqu’une personne l’enfile et l’utilise pour montrer qui elle est. Nous sommes bien entendu conscients qu’un sweat à capuche à message se vend mieux qu’un blouson-qui-est-en-réalité-un-pantalon, mais un rapport équilibré entre la créativité et le commerce est essentiel à nos yeux. Dans tous les cas, le paysage de la mode actuel est ouvert aux vêtements conceptuels. Au sens strict, nous fabriquons des vêtements pour hommes, mais les acheteurs les envisagent aussi pour les femmes. Nous ne perdons pas de vue notre démarche artistique, mais nous empruntons -également la voie commerciale. Le succès dépend en grande partie de la façon dont un vendeur représente une marque et raconte son histoire. C’est pourquoi nous préférons être -distribués dans quelques points de vente forts plutôt que dans un large éventail de boutiques. Après tout, il s’agit d’une relation de confiance qui va durer – espérons-le – de -nombreuses saisons. Cette vision ainsi que le fait que nous assurons toute la production entravent bien entendu une croissance rapide. Mais nous ne ressentons pas le besoin de faire grandir Botter très rapidement. Ce qui compte, pour nous, c’est de raconter une histoire cohérente et de sortir de notre zone de confort en tant que designers. Nous savons pertinemment où nous voulons aller, mais nous n’arriverons à destination qu’en nous renouvelant constamment et en faisant preuve de flexibilité par rapport à notre environnement. Et la croissance suivra naturellement. »
En vente chez Smets à Bruxelles.