À trop espionner, on finit par noyer sa propre crédibilité…

«Chéri, va falloir qu’on upgrade notre niveau d’autonomie. » Voilà ce que je souffle à l’oreille de l’Élu, un jour de prise de conscience. Car vu qu’on n’arrive plus à aller d’un point A (notre appart’) à un point B (le resto d’à côté) sans programmer un Waze, j’avoue que l’idée de me déconnecter me traverse parfois brièvement l’esprit. Mais brièvement seulement. Plus tard dans la soirée, ma très fraîche bonne résolution déjà oubliée et alors que je tente d’installer insidieusement un traqueur GPS sur son smartphone, Chéri m’interroge : « Tu fais quoi, là, avec tes doigts ? »

Prise sur le fait, je décide d’utiliser les dites extrémités à des choses moins virtuelles, histoire de lui faire oublier qu’à dater de l’instant, le moindre de ses déplacements me sera notifié. Pas pour le traquer, mais pour me rassurer quant à son niveau d’activité. Car à moins de 5 000 pas par jour (mesurés par un ­podomètre), un homme moderne ne devrait pas mériter ses 29 points Weight Watchers (l’app’ de mesure de valeur de nourriture en ­question à la main). L’espionnage systématique d’un conjoint pourrait être plaidé par un bon avocat comme de la bienveillance patentée. Tout stalking devrait être considéré comme un sain intérêt. C’est ma religion et toi aussi, tu es sans doute déjà convertie. Avoue que tu as déjà pensé à pucer ton gamin comme tu l’as fait avec ton chien ! (L’idée t’es passée quand tu as regardé « Arkangel », l’épisode 2 de la saison 4 de « Black Mirror » dans lequel une mère implante une puce à sa fille pour mieux la « protéger ».) Avoue que la technologie est ta meilleure amie quand il s’agit de te signaler par « Rappel » ­interposé que c’est la fin de ta semaine de garde partagée.

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“L’agenda partagé : cette merveille de technologie qui te notifie la totalité des vacances et rendez-vous médicaux des gens de ton bureau…”

Pas que sans ça tu aurais oublié, mais tout de même, après 3 fêtes et 7 l de Piña Colada dans le sang, on ne sait jamais…
Ton smartphone t’aide à être une bonne maman. Une bonne épouse. Une bonne citoyenne. Une bonne consommatrice. Du genre qui aime bien anticiper. Du genre chef de la ­sécurité. Du genre qui chérit son app’ de commande au supermarché et achète 18 l de pâte à crêpes pré-touillée parce qu’à cette condition, la livraison sera sans frais. Organisée. Tu as bien sûr un agenda partagé. Cette merveille de technologie qui notifie les vacances et rendez-vous médicaux de gens avec lesquels tu as bossé 17 minutes et qui t’ont donné accès à leur Drive sans plus jamais y penser. Au bureau, tout le monde sait que le gars du bureau de droite a la prostate abîmée vu le nombre de dates qu’il a programmées avec son urologue attitré. Et toi, Lindsay V., on ne sait plus qui tu es ni dans quelle réunion on t’a rencontrée, mais le 17, tu as un avion pour Jersey. La technologie est un puits sans fond à exploiter. Une occasion inestimable de collecter les infos disponibles pour améliorer son quotidien. Perso, je followe et surveille de virtuellement près la totalité des gens qui, même de loin, pourraient avoir un quelconque rapport avec mes gamins (les miens et ceux de mes amis. Une bonne mère, je te dis).

C’est ainsi que je peux juger, du haut de mon immanence autoproclamée, les autres parents qui laissent leurs gamins manger des burgers à réchauffer (avec story sur Insta à la clé). Je me prends pour Jesus ­(prononce « Djizusse » si tu veux en être), j’ai les stigmates des touches de mon clavier. Je sais tout, je fais des dossiers. T’es pas venu à mon barbec’ du 21 juillet parce que t’étais crevé ? Qu’est-ce que tu foutais avec ma sœur à Saint-Trop’ à affonner du rosé ? Rien ne m’échappe. Et si moi j’arrive à le faire, je te raconte pas l’ex de ton mec, ton banquier, ton boss et même ta mère. La technologie est un puits sans fond qui peut te couler. Et personne, même pas toi, ne sait vraiment comment bien l’utiliser. Quand on me demande à une caisse si je veux une carte de fidélité, je fais la maligne en scandant que je ne tiens pas à communiquer mes coordonnées. Sauf qu’elles sont en libre accès sur la toile à peu de frais. Grillée.