À l’ère du tout au digital et de l’interactif, nos musées rivalisent de poésie et de talent pour se réinventer en lieux de savoir 2.0. Du nouveau MUDIA à nos institutions royales, on est parti s’immerger dans ce nouveau bouillon de culture.    

Klimt du sol au plafond à l’Atelier des Lumières de Paris (© Culturespaces/E. Spiller)

Du sol au plafond Klimt virevolte, dans un déluge de couleurs qui chavire nos sens. Nous sommes à l’Atelier des Lumières à Paris, le premier « centre d’art numérique » au monde. Pas un musée, non, puisqu’aucun tableau du maître autrichien n’est exposé au regard du public. Aucune cimaise. Aucune œuvre. Et pourtant le Gustav est partout, dans chaque recoin de cette ancienne fonderie transformée en espace immersif : 140 projecteurs laser font éclater les chefs-d’œuvre symbolistes du peintre dans toutes les directions, à l’infini, tel un ballet d’images folles, un grand huit digital plus proche du clip à 360° que d’une exposition habituelle. « Nous ne sommes plus dans la contemplation statique d’un tableau sur un mur, mais dans l’expérience vécue à l’intérieur d’une œuvre », précise Bruno Monnier, le boss de Culturespaces (un organisme privé assurant la gestion de nombreux musées français) à l’origine du projet. On ne l’a pas interviewé : c’est une quote de YouTube. Après tout ça se tient, vu qu’on est ici dans le fuyant, l’insaisissable, l’immatériel. L’éther. Bienvenue dans les musées du XXIe siècle ?

La réponse à cette question n’est ni oui ni non : plutôt dans l’interstice, parce que personne n’a envie que nos très chers musées disparaissent. Qu’ils privilégient la Toile au lieu des toiles. Mais la muséologie se doit d’évoluer avec son temps, sous peine d’éroder son public, de perdre les nouvelles générations, ces « digital natives » pendus à leur smartphone. L’ambition de cette « expérience » Klimt n’est d’ailleurs pas de remplacer le sacro-saint musée comme lieu d’exposition d’un patrimoine : c’est plutôt, justement, de lui (re)donner l’envie d’y entrer, d’y retourner, pour voir l’original sous un œil rafraîchi. « Ce n’est pas une concurrence », considère Christophe Gaeta, expert multimédia et scénographe muséologue à la pointe de ces techniques en Belgique. « Ça permet au contraire d’attirer un public qui ne va plus dans les musées, et qui par ce biais pourrait l’y reconduire… Et quand il verra un Klimt en vrai, il le contemplera différemment. Plus longtemps ». Grâce à cette expérience d’immersion qu’il aura vécue au préalable.

La Belgique pionnière

Demandez aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB) ce qu’ils en pensent. Pour eux, pas question de jouer les puristes accrochés à leurs vieilles habitudes. Il est l’heure d’affranchir le musée de son image de lieu de connaissance sacré qui intimide le visiteur lambda. En faisant entrer la technologie en ses murs. Et dans le genre, nos Musées royaux se présentent, pas peu fiers, comme des « pionniers ». En 2016, ils initient ainsi le projet « Bruegel Unseen Masterpieces », une série d’initiatives virtuelles et digitales qui « révolutionnent le monde du musée » (dixit leur directeur Michel Draguet). Soit deux ans avant l’Atelier des Lumières.

Qu’il s’agisse de réalité virtuelle (contempler « La Chute des Anges Rebelles » en 3D avec un casque virtuel en carton) ou d’immersion dans la « Bruegel Box » (une salle du musée où sont projetées des œuvres du génie flamand, dans leurs détails les plus infimes), l’objectif consiste à renouveler l’expérience muséale. À la désacraliser, en la rendant plus ludique et plus interactive. Et le pari est réussi, puisqu’au final « la plupart des visiteurs restent plus longtemps devant le tableau, parce qu’ils ont pu contempler ses détails en très gros plans dans notre Box », insiste Karine Lasaracina, à la tête du département technologique des MRBAB (ou « Musée Numérique »).

Bruegel en tablette

Crédit : Olivier Anbergen

D’ailleurs pour elle, tout cela n’a rien à voir avec le « divertissement » Klimt à Paris : « Notre but reste de présenter nos résultats de recherche aux visiteurs, de faciliter et de multiplier les accès à nos collections ». Ce qui passe également par la mise en ligne de plus de 10000 œuvres consultables gratuitement sur le net, et l’étroit partenariat avec Google Art Project… Sans oublier la « Digital Experience », une table tactile multimédia installée dans le forum des Musées (à l’entrée) et qui permet de « naviguer » (« swiper » ?) dans la collection et les archives d’une façon très spontanée… Autant d’outils « qui donnent envie d’aller creuser » dans le musée, le vrai, bref d’attiser encore et toujours la curiosité… Qui s’en plaindra ?

Vivre le musée au lieu de le visiter

Direction le Musée royal de l’Afrique centrale, fermé depuis 5 ans pour rénovation, et qui rouvre ses portes le 9 décembre prochain. De paquebot ultra « old school » (1898) à l’un des musées les plus modernes du royaume (2018) : c’est bien cette destinée que Guido Gryseels, son directeur général, compte lui offrir pour ce nouveau millénaire. Outre le nouveau toit, les marbres, les bois et les peintures murales restaurés, la construction d’un pavillon vitré qui accueillera les visiteurs, ce nouveau Musée fera la part belle à l’audiovisuel et à l’interactif.

Musée d'Afrique centrale

« On est passé de 4/5 écrans à 160 ! Et on a le même système de casques audio infrarouges qu’au Château de Versailles et qu’au Musical Instrument Museum de Phoenix : avec ça il suffit de regarder en direction de l’œuvre, et le son se déclenche ! ». Selon Guido Gryseels, toutes ces prouesses techniques et ces rénovations devraient « servir d’exemple », tant l’homme est fier du travail accompli. Cela étant dit, « un musée reste un musée : le centre ce sont les collections ». Pas l’appli ou le dispositif 3.0 qui claque. Et de confier qu’« un musée doit s’adapter, mais pas devenir 3D ! ». Autrement dit s’ouvrir à la technologie afin d’« offrir du contenu supplémentaire au visiteur intéressé »… Surtout quand l’histoire qu’on raconte (ici celle coloniale) s’avère très complexe : « On doit en effet éviter d’être un livre imprimé sur un mur, et tous ces moyens nous facilitent la tâche. Ça renforce les possibilités de vivre les collections ». Vivre. Créer du lien. De l’intime. Du vécu. C’est le nouveau nerf de la guerre. Et le MUDIA l’a bien compris.

« L’art autrement »

Une « attraction-musée » qui invite le public à « participer tout en lui permettant d’apprendre en s’amusant » : voilà comment se présente le MUDIA, un nouveau lieu d’exposition qui ouvre en cette rentrée à Redu (Luxembourg), dans un ancien presbytère entièrement rénové. Plus de 300 œuvres, de Warhol à Picasso en passant par Franquin et Magritte, y sont exposées selon un dispositif « moins conventionnel que dans les musées habituels ». La « manager » (sic)/conservatrice du MUDIA, Karlin Berghmans, parle elle aussi d’« expérience au-delà de la contemplation », et de sa volonté de « créer une nouvelle impulsion » en bannissant les « frontières » entre le visiteur et l’œuvre : « On voulait que le public s’amuse tout en apprenant des choses. Montrer l’art d’une autre façon. Il n’y a pas une salle (le musée en compte 20, ndlr) sans interaction pour découvrir l’art de façon ludique ».

Mudia

Mais qu’on ne s’y méprenne pas : « Le multimédia n’est pas là pour prendre la place de l’art, mais pour affûter le regard du visiteur ». Xavier Wielemans, qui a bossé en tant qu’expert en la matière sur le projet, l’explique mieux que personne : « Beaucoup de musées aujourd’hui veulent offrir à leur public ce que les autres n’ont pas – une ‘expérience’ – et ça passe par la technologie. Mais l’important là-dedans, c’est la médiation. C’est le lien qui est créé entre le visiteur et le contenu. Si la technologie, aussi innovante soit-elle, ne propose aucun lien avec l’œuvre, ça n’a pas de sens. La technologie pour la technologie, « l’effet gadget », c’est le piège à éviter. Le contenu d’abord, et le visiteur au centre. Et de la magie. De la poésie. Parce que l’innovation n’est pas tellement dans la technologie, mais dans les nouvelles manières de l’utiliser. Si l’histoire est solide (sa société multimédia s’appelle « Tiny Big Story », ndlr) et que c’est cohérent et bien exécuté, qu’on ne voit pas les coutures, alors c’est réussi ». Et le visiteur d’être ému, son intellect galvanisé et son souvenir de l’œuvre cristallisé. Banco.

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