Sororité, combats et coups d’éclat. Chaque mois, Juliette Debruxelles revient sur le destin de femmes qui ont changé la face du monde…

Acquittée !
Le jury – composé uniquement de blancs – vient de l’annoncer : Angela est libérée. Elle vient à l’instant d’échapper à la peine de mort qui lui pendait au nez.
Nous sommes le 4 juin 1972, et à l’âge de 28 ans, l’activiste la plus en vue de la planète est relâchée, après 16 mois de détention.
Les chefs d’accusation n’ont pas fait le poids face au mouvement de solidarité national et international qui réclamait que les charges de meurtre, de kidnapping et de conspiration retenues contre elle soient abandonnées.
Les réseaux sociaux n’existaient pas, mais « Free Angela » pesait son poids. Un slogan hurlé par des milliers d’anonymes, mais aussi par tout ce que la planète bobo de l’époque comptait de grands noms : les Rolling Stones, John Lennon, Yoko Ono, Jean-Paul Sartre…). De chouettes gars, quoi.
Ce que la justice lui reprochait : avoir organisé une prise d’otage dans un tribunal de Californie pour libérer les Frères de Soledad, des prisonniers politiques afro-américains.. Quatre personnes y avaient trouvé la mort, dont un juge fédéral. Le bad.
L’arme utilisée par le preneur d’otage était enregistrée au nom d’Angela. Il n’en fallait pas plus au FBI pour l’accuser.
C’est qu’elle avait déjà énervé le gouvernement, entre son appartenance au parti communiste et son engagement auprès des Black Panthers (mouvement révolutionnaire de libération afro-américaine formé en Californie en octobre 1966 par Bobby Seale et Huey P. Newton).

 

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Son seul crime c’est d’aimer l’humanité et d’avoir lutté au péril de sa vie pour la liberté de tous

Là, par peur d’être injustement arrêtée, elle avait filé en cavale et s’était retrouvée fichée parmi les femmes les plus recherchées du pays.
Rattrapée, emprisonnée, juge, acquittée, poing levé.
Maître d’un destin qu’elle a elle-même tracé.
Parce qu’en naissant là où elle est née, on n’aurait pas mis une main à couper sur ses chances de s’illustrer. C’était en 1944, en Alabama (l’un des états les plus racistes du sud des Etats-Unis, là où à l’époque, on affichait dans les boutiques, les bus ou les bistrots des pancartes « white only ») dans Dynamite Hill, quartier connu sous ce nom à cause des maisons que des décérébrés faisaient cramer parce qu’elles étaient habitées par des noirs. C’est de là qu’elle vient. C’est de là qu’elle a tracé son chemin.
Dans ce coin là, la ségrégation raciale, ça n’avait rien d’un truc dont on entend vaguement parler. C’était une violence qu’elle se prennait dans le front chaque matin en allant à l’école. Elle et ses parents, enseignants aussi victimes que leurs enfants. Sauf que la gamine, à l’âge de 14 ans, décide de monter à New York pour poursuivre ses études et découvre une ville où la ségrégation était abolie. Ok, on ne va pas se mentir : c’était pas vraiment l’égalité, le Bronx véhiculait une imagerie qu’il n’a pas encore réussi à se décoller, mais c’était déjà mieux que dans son bled paumé. Et ça, ça lui donne des idées.
Elle rejoint alors un mouvement communiste, étudie les mécanismes de l’oppression. Cette injustice qui conduit les blancs à maltraiter les noirs, mais qui opprime et oppresse aussi la classe ouvrière. Elle est colère.
Au début des années 60, elle entre à l’unif aux Etats-Unis (elle est l’une des 3 seules étudiantes noires de l’université Brandeis, dans le Massachussetts) où elle étudie le français. Puis elle s’installe un moment pour étudier à Paris, puis à Francfort. On est en 1965, l’année des émeutes de Watts (énorme baston commencée suite à une altercation entre 3 familles noires et la police de L.A., bilan : 34 morts et 1100 blessé(e)s ). Depuis l’Europe, elle assiste à l’émergence du mouvement de libération des noirs et vit super mal de ne pas y participer.
Elle rapplique alors aux States vite fait. Elle rame pour s’intégrer aux mouvements qui la font vibrer, affirme ses propres convictions (qui ne vont pas dans le sens du séparatisme blanc-noir prôné par certains mouvements radicaux du Black Nationalism) et ne lâche pas l’affaire. Jamais.
Elle rejoint les Black Panters, puis devient prof à l’Université de Californie, à L.A. et ajoute l’anti-sexisme à ses combats quotidiens (même si elle refuse de rejoindre les mouvements féministes « blancs et bourgeois » des années 70).
Lutte contre racisme et les violences policières, droit à l’éducation, à la justice, au respect… La base, non ? Bin non, si on en croit les réactions et les cris d’orfraie que les instances en place de l’époque osent pousser. Elle fut d’ailleurs virée.
Plus tard, en 1980 et 1984, elle était candidate à la vice-présidence des États-Unis pour le parti communiste américain (sans résultat, mais une femme, communiste et noire de surcroît, n’avait que peu de chance d’être la première Barack Obama…).
Mais revenons au moment où Angela est libérée. Libérée et portée au rang d’icône des gens bien.
Et après le procès ? Non, elle ne l’a pas fermé.
Aujourd’hui, plus de 46 ans après cet acquittement retentissant, elle continue à lutter contre toutes les formes de domination, milite pour les droits de toutes les communautés, y compris LGBTQI (elle a d’ailleurs évoqué son homosexualité en 1997), s’oppose à la peine de mort et au système carcéral industriel américain.
À bientôt 75 ans, elle continue d’éclairer les foules, depuis sa chaire de Professeur d’Histoire de la Conscience à l’Université́ de Californie (elle est aussi docteure honoris causa de l’ULB depuis 2012, btw).
« De quoi Angela est-elle coupable ? D’être le produit naturel d’une société basée sur le racisme, l’exploitation, et la déshumanisation. »*
Libre, Angela !

* Extraits de « Angela Davis parle » (Editions sociales).

À ÉCOUTER

« Sweet Black Angel », Rolling Stones
« Angela », John Lennon et Yoko Ono
« Angela Davis », Winston McAnuff