Les make-up artists, les nez de la parfumerie et les directeurs de la création attirent tous les regards. Or, il existe d’autres profils intéressants dans le paysage de la beauté, comme celui de designer de flacons de parfum. Interview de Catherine Krunas, déesse en la matière.

Avant que votre nez ne vibre pour un parfum, vos yeux ont déjà inspecté le flacon sous tous ses angles. Plus son design est séduisant, plus vous avez envie de découvrir et d’acheter le parfum. » Ces trente dernières années, la Française Catherine Krunas a créé des dizaines de flacons pour les plus grandes maisons du monde, de Fendi à Lancôme. Rencontre. 

Comment êtes-vous entrée dans l’univers des parfums ?

Ma première passion était la danse moderne. J’ai pris des cours de danse très tôt et, une fois mon diplôme en main, j’ai suivi des stages dans différentes compagnies. J’étais très assidue, mais j’ai finalement dû renoncer à cette carrière. Je suis ensuite devenue une fana de design et d’architecture, ce qui prouve que le processus de création en soi me passionne. Je porte un regard critique sur tout ce qui m’entoure et je cherche en permanence comment je peux améliorer les choses. J’ai décidé de participer à l’examen d’entrée de l’École Boulle à Paris dans la section Design & Crafts pour accéder directement à la troisième année dédiée à l’étude des volumes et de l’architecture.

Entre-temps, j’avais fait la connaissance de Pierre Dinand, un créateur de flacons de parfum. J’ai eu la possibilité de passer six mois aux Ateliers Dinand, mais je ne tenais pas en place. J’avais besoin de plus, je voulais explorer de nouveaux horizons. Finalement, j’ai passé deux ans à voyager. Je suis ensuite retournée aux Ateliers Dinand, où j’ai décidé de me consacrer à la création de flacons de parfum.

Pouvez-vous nous raconter l’histoire du premier flacon que vous avez créé ? 

Fendi a sorti son premier parfum au milieu des années 80. Je travaillais à l’époque chez Pierre Dinand. Karl Lagerfeld avait confié qu’il rêvait d’un flacon en forme de pyramide. J’ai opté pour un design épuré, plat et élancé avec des proportions à la fois élégantes et outrancières. L’atout de cette bouteille à mes yeux était son capuchon de très petite taille entièrement intégré dans l’ensemble. J’ai dessiné une première version qui n’a suscité aucun intérêt. J’ai ensuite créé une variante plus grande tout en respectant les mêmes proportions et je l’ai placée sur mon bureau pour me convaincre moi-même de l’intéret de l’objet. Mon flacon a été choisi à l’unanimité par Karl Lagerfeld et les cinq sœurs Fendi qui l’ont trouvé fantastique ! C’était mon premier gros projet.

Quand on a envie d’un nouveau parfum, le flacon établit le premier contact visuel. Quel est son impact selon vous ?

L’apparence représente la première étape dans un jeu de séduction. Elle doit faire naître une attirance, donner envie de la posséder ou de l’acheter pour faire plaisir à un proche. Créer, c’est réfléchir aux choses mais aussi les ressentir. Je veux que mes produits touchent le grand public. Une création originale, intemporelle et sensuelle permet de refléter parfaitement la puissance d’une marque. Le flacon doit surprendre et devenir un objet de désir auquel on ne peut pas résister.

Où puisez-vous votre inspiration ? Quelle est votre marge de liberté ?

Quand je me lance dans un projet, je commence par me plonger dans l’histoire de la marque. Je lis beaucoup, je discute avec les créateurs et j’écoute leurs idées. Je note des mots-clés en fonction de ce que je dois faire et éviter. Ensuite, je définis un concept et je commence à dessiner des volumes qui correspondent à la direction choisie. Je laisse parler mon intuition, je fais énormément confiance à ce que je ressens. J’affine ensuite ces volumes pour les optimiser. Je ne présente le projet à l’équipe marketing que quand j’ai l’intime conviction d’être dans le bon. Ce processus demande beaucoup de temps.

À partir de quel moment une création vous satisfait-elle ? 

Quand je peux affirmer en toute confiance : c’est beau ! La plupart du temps, il y a un mais… Je suis sceptique par nature et je pense toujours que je peux faire mieux. 

À quelle difficulté majeure est-on confronté quand on crée un flacon pour un parfum ?

Il n’est pas très difficile de créer un joli flacon, il suffit de le dessiner. Les choses se compliquent quand on vise un flacon hors du commun qui doit cartonner. Un flacon qui établit un lien direct entre la marque et la fragrance, un flacon qui se distingue tout en restant en harmonie avec le reste de la gamme, etc. Il peut s’écouler pas mal de temps avant que chaque élément soit au point. Il faut avoir le sentiment que le projet est abouti et que le client ne se lassera jamais de ce flacon, ni dans son sac à main ni dans sa salle de bains…

Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Pour La Vie est Belle L’Éclat de Lancôme, le processus a été long et relativement compliqué mais le résultat en valait la peine. Il s’agissait d’habiller la nouvelle déclinaison d’un parfum existant – La Vie est Belle – dont j’avais déjà dessiné le flacon. Cette fragrance allie rigueur et sensualité, deux éléments qui se retrouvent dans son écrin original qui évoque les lignes arrondies d’un sourire. Nous voulions conserver cette élégance et cette pureté dans la nouvelle version tout en transmettant l’héritage Lancôme dans un design féminin totalement nouveau. Lors d’une réunion, l’équipe marketing m’a montré un magnifique flacon dessiné en 1949 par George Delhomme pour le parfumeur Armand Petitjean et fabriqué par un maître verrier. Une œuvre unique, impossible à produire en masse. J’en suis directement tombée amoureuse et je m’en suis inspirée pour La Vie est Belle L’Éclat. Pour traduire la senteur, j’ai travaillé le verre de manière détaillée à coups de petites formes de diamant. Ces reliefs véhiculent la lumière et créent une infinité de reflets sur la paroi extérieure, ce qui amplifie le volume du flacon et produit un magnifique jeu de lumière. Une sorte d’art optique.

Le parfum lui-même est-il un guide et une source d’inspiration ? 

La senteur est en réalité le dernier élément pris en considération. La plupart du temps, le flacon est déjà en production avant même que nous découvrions le parfum ! Le flacon est la toute première étape d’un long processus. En règle générale, on a d’abord le flacon, ensuite la campagne publicitaire et enfin seulement le parfum.

Comment décririez-vous le flacon parfait ? 

Le flacon idéal est toujours le fruit d’un savant mélange. Il constitue à la fois un bel objet et une traduction fidèle de tout ce que représente la marque. Il doit être attractif et reconnaissable, du capuchon à la base. Selon moi, le flacon parfait combine un design pur et exceptionnel avec une certaine intemporalité pour donner envie de le garder pour toujours. Il doit aussi laisser présager une senteur agréable. Le nom d’un parfum est également essentiel : pensons à La Vie est Belle (Lancôme), Mon Paris (YSL), Chance (Chanel), J’Adore (Dior)… Quand je crée un flacon pour une fragrance, je tiens à connaître dès le départ son nom. 

Vous arrive-t-il de faire face à des limitations d’ordre technique? 

Le temps et l’argent sont les paramètres qui impactent le plus le processus de création. Que peut-on faire tout en respectant le budget et le délai ? Sur le plan technique, il faut bien entendu composer avec des petits formats. Traduire l’élégance, la beauté et la force d’un parfum dans une si petite échelle constitue un défi. Je me suis déjà heurtée à pas mal d’obstacles d’ordre technique, mais j’ai la chance de pouvoir m’appuyer sur une équipe de professionnels. Pour La Vie est Belle – et aussi pour mon premier parfum Fendi – les maîtres verriers ont repoussé les limites du possible. Aujourd’hui, nous transmettons des projets en 3D au verrier pour nous assurer qu’il respecte le design au maximum. Avec davantage de temps et d’argent, j’accorderais encore plus d’attention à la qualité du système de fermeture. J’adore les fermetures magnétiques, elles renforcent le sentiment d’avoir quelque chose de précieux entre les mains.

Avez-vous un flacon préféré ?

Plusieurs flacons – que j’ai créés ou que j’aurais voulu créer – occupent une place spéciale dans mon cœur. J’ai un faible pour les flacons synonymes d’innovation lors de leur sortie sur le marché ou pour ceux qui sont devenus inoubliables par leur nom ou leur design particulier. Certains de ces flacons ont disparu au fil des années, mais d’autres ont évolué avec leur époque, ce que je trouve génial. Je les surnomme les « new classics ».

Traduction : Virginie Dupont

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