Cette question semble vaste, mais, en réalité, elle ne signifie pas grand-chose, si ce n’est notre inquiétude face aux enjeux de la quatrième révolution industrielle. Serons-nous à la hauteur du changement ? Est-ce fait pour nous, les femmes ? Faisons sauter les barrières
en déconstruisant les préjugés.
Une étude menée par Women in Tech.brussels en 2017 identifie six freins auxquels les femmes sont confrontées dans l’entrepreneuriat technologique : la conciliation entre vie privée et professionnelle, les stéréotypes et préjugés culturels, l’absence de role models, la discrimination sexiste des investisseurs, le manque de confiance en soi et la peur de l’échec. Il faut surmonter ces obstacles.
La tech’, un secteur pour les nanas
« Il n’y a pas assez de gens en Europe pour cette quatrième révolution, on a besoin des femmes ! On a besoin d’elles pour l’innovation et la diversité. Tout ce qui est codé par des hommes ne conviendra pas à la moitié de la population, le monde virtuel correspondra uniquement à leurs besoins, on ne peut pas laisser faire ça ! » C’est le cri du cœur d’Alexandra Van Hille, Chief of Staff Technology chez Deloitte. Elle dirige une équipe de 600 consultants en technologie et milite ardemment pour soutenir les femmes qui veulent se lancer dans cette voie : « Chez Deloitte, nous avons une croissance de 26 % en technologie, c’est beaucoup d’opportunités. On cherche des gens. Il y a tellement de nouvelles technologies que personne n’a vraiment les compétences ! Alors, on les forme. On peut penser que c’est compliqué, réservé aux hommes, mais c’est complètement faux. Il nous faut des gens qui désirent apprendre et qui ont une affection pour les technologies. »
Au sein de Deloitte, Alexandra gère le programme Women in Tech qui soutient les femmes dans la tech’. « On essaie de motiver les femmes et de recruter des seniors. Elles ne viennent pas via l’université – car le pourcentage d’inscriptions en sciences informatiques est très faible – mais de filières comme le droit ou la psychologie, qui nécessitent une certaine logique. On fait également du coaching, car en tant que femme, on se profile différemment. C’est la conséquence des préjugés sociétaux. Nous les poussons à se mettre plus en avant pour se différencier. Le self-marketing, c’est un bon exercice ! » Les initiatives pour former les femmes à la technologie se multiplient en Belgique. Pendant quatre mois, l’école de code 19 a lancé le programme She Loves to Code en partenariat avec Deloitte et Women in Tech.brussels. « 500 femmes se sont inscrites à nos sessions et 175 sont venues. La majorité d’entre elles n’avaient encore jamais fait de code. Il y avait des femmes de 40 ans, des mamans, qui disaient qu’elles avaient envie d’apporter la technologie dans leur travail. Il n’est pas nécessaire de changer de voie pour se lancer dans le digital », explique Alexandra, qui est ambassadrice du projet. « Plus on donne de la visibilité à ces programmes, plus les femmes montrent qu’elles sont en demande ! » Forte de ce succès, l’école 19 a lancé une « piscine » (nom donné aux immersions créées pour repérer les plus motivés, NDLR) exclusivement féminine en février. Le principe est très ludique : pendant un mois, vingt-cinq « piscineuses » ont appris à coder en « peer-to-peer », c’est-à-dire sans prof, avec le seul pouvoir de leur collaboration. Audrey Manoka en faisait partie : « La première fois que j’ai entendu parler du code, c’était avec le mannequin Karlie Kloss qui a lancé son programme (Code With Klossy, NDLR), je trouvais ça super, mais je n’ai jamais cherché l’équivalent en Belgique jusqu’à ce que j’entende parler de l’école 19. Je me suis présentée, par curiosité. C’était la chose la plus difficile et gratifiante que j’ai faite de ma vie ! Je n’avais aucune expérience là-dedans, et avec tous les préjugés sexistes qu’il y a sur le code, ça a créé un sentiment de solidarité. Pour avancer, on est obligée de s’entraider. » Son rêve ? Se spécialiser dans les algorithmes. « Je trouve celui d’Instagram super nul, si je pouvais le changer… »
« On a besoin des femmes pour l’innovation et la diversité. Ce qui est codé par des hommes ne conviendra pas à la moitié de la population »
Des femmes charismatiques et passionnées
Dans le jargon, on parle de métier Stim (sciences, technologies, mathématiques et ingénierie) et TIC ou IT (technologies de l’information et de la communication). Selon une étude Eurostat de 2015, les hommes belges sont 11,5 fois plus nombreux à suivre des études supérieures dans les TIC. Les femmes belges sont d’ailleurs quatre fois moins nombreuses que la moyenne des étudiantes européennes dans le secteur. Amélie Alleman et Elisa De La Faille ont trouvé le métier de leur rêve à travers des parcours inspirants. Si on s’accorde sur le manque de mise en avant de role models féminins dans l’IT, il est peut-être temps d’en désigner nous-mêmes. « J’ai créé deux sociétés en recrutement et consultance IT au cours des dix dernières années : Akros Solutions et Akros Europe (entre 55 et 60 personnes y travaillent). J’ai décidé de tout revendre il y a deux ans et viens de terminer ma période d’earn-out la semaine dernière ! Je suis également “business angel” (investisseuse , NDLR) dans des boîtes tech’. » À seulement 37 ans, Amélie a déjà un sacré passé d’entrepreneure. Après un master en communication d’entreprise, elle atterrit chez Modis, une entreprise de recrutement IT et devient rapidement “team leader”. « Je me sentais bien dans ma fonction, c’était un cercle vertueux, mais la crise est passée par là et j’ai dû licencier mon équipe. J’ai alors démissionné pour créer ma propre société, j’avais 27 ans. Au début de mon parcours professionnel, je n’avais aucune compétence dans l’IT. En tant que recruteur, il ne faut pas forcément être spécialisé pour poser les bonnes questions ! En découvrant l’entrepreneuriat, je me suis rendu compte que j’aimais la partie créative, l’innovation et l’idée de lancer de nouveaux projets, c’est très stimulant. Aujourd’hui, je suis en train de préparer une nouvelle start-up. » Depuis dix ans, elle recherche des candidats dans le secteur des technologies forgeant le constat que le plus important est avant tout l’esprit logique et le désir de se former. « Nous recrutions vraiment large, du profil “helpdesk” (la personne qui décroche au téléphone) au directeur IT, en passant par les développeurs, les “business analysts”, les spécialistes en “user experience”, en référencement et SEO, les “project managers”, autant de métiers qui demandent des compétences à la fois techniques (“hard skills”) et humaines (“soft skills”) comme l’adéquation à une culture d’entreprise, la personnalité, etc. »
Elisa est project manager chez Isabel Group, une des plus grandes entreprises de « fintech » (technologie financière) belges. « À l’origine, j’ai fait des études en sciences politiques parce que je n’aimais pas les maths et les sciences. Je m’intéressais à la technologie, j’aimais les cours d’informatique, mais j’avais ce cliché du développeur geek aux cheveux gras assis derrière son bureau toute la journée. Ce n’était pas pour moi. Jusqu’au jour où j’ai entendu parler d’une formation gratuite pour devenir développeur, Becode. Dès le début, nous avons été réunis en groupe pour créer une start-up fictive et là j’ai compris que la technologie allait bien au-delà des lignes de codes. J’y avais ma place. » Après sept mois de formation, Elisa se découvre une passion pour la gestion de projets : faire le lien entre le client et les développeurs. Elle s’intéresse en particulier à la « blockchain », cette technologie qui transmet les informations sans organe de contrôle. C’est comme ça qu’elle a été embauchée chez Isabel Group. « Cette technologie est utilisée par les banques pour ne pas multiplier les processus de vérification. Au quotidien, je communique avec les banques et les développeurs pour traduire leur demande en termes techniques. Je suis extrêmement contente d’avoir réussi à trouver mon chemin dans le secteur des technologies, cette science qui bouge tout le temps ! J’ai envie de faire partie de ceux qui déterminent comment les nouvelles technologies seront appliquées dans notre société. On ne peut pas y échapper, alors autant participer au mouvement. »
Croire en ses capacités
Parmi les limites que l’on s’impose, il y a le manque de confiance en soi. Le doute. Vais-je y arriver? Bien sûr ! Mais peut-être faut-il un petit coup de boost d’estime de soi ? « On s’est rendu compte que les hommes faisaient leur demande de promotion un an avant d’être prêts et les femmes un an après. Que peut-on faire pour changer ça ? » Caroline Coesemans est head of legal and public policy chez Google. Avec son équipe, elle a lancé le workshop #Iamremarkable. « C’est une initiative qui permet aux femmes de célébrer leurs réalisations sur leur lieu de travail et bien au-delà. L’atelier ne dure que 90 minutes, c’est le temps qu’il suffit pour mettre en évidence l’importance de l’autopromotion et pour fournir les outils qui vont vous aider à développer cette compétence de façon positive. » Si au début l’atelier était uniquement destiné au personnel Google, il est désormais accessible à tout le monde. Quel type de conseils peut-on en tirer ? « Pour pouvoir donner le meilleur de soi-même, il faut dépasser le questionnement sur sa personne, se concentrer sur le contenu ou le projet que l’on veut délivrer et sur l’audience à laquelle on s’adresse. C’est ça qui compte. » Une philosophie directement appliquée dans le processus de recrutement du géant américain… « Nous cherchons des personnes multilingues, engagées, motivées, inspirées, inspirantes, créatives, débrouillardes, qui excellent dans leur matière, humbles, qui ont l’esprit d’équipe, qui respectent leurs collègues et les autres en général… en bref, des personnes “Googley” ! »
Vaincre ses peurs et se lancer
Les entreprises IT sont-elles les ennemies de la vie privée ? Trop chronophages, trop masculinisées, elles ne prendraient pas en compte les contraintes d’une femme active, mère de famille. Ce sont encore des idées fausses : Alexandra Van Hille, maman de trois garçons, le confirme : « C’est justement grâce à la technologie que l’on peut travailler de façon plus flexible. J’ai un environnement de travail qui me donne la possibilité de m’organiser comme je le veux. Certains jours, je peux travailler jusqu’à 16 h pour aller chercher mes enfants, et le soir ou le week-end, je me reconnecte à notre plateforme. Ce qui compte, ce n’est pas les heures, c’est le travail accompli. » Et ce n’est pas uniquement une affaire de secteur privé. Marguerite Frébutte est directrice IT d’Actiris et cherche des profils féminins pour son équipe. « Chez Actiris, il y a 20 % de femmes, le pourcentage chute à 8 % dans les jobs techniques. On essaie de les attirer, mais ce n’est pas évident ! On a des avantages : de nombreux congés, supérieurs au privé, et de la flexibilité. » On aurait tort de ne pas se lancer. Alors par quoi commencer ? « Il faut s’informer et aller parler avec des gens, dans les tech’ cafés, les formations, il faut s’insérer dans un réseau et parler avec d’autres femmes qui travaillent en technologie pour cibler ce qu’on veut faire. Il faut avoir envie d’apprendre et de changer ! Un job, ce n’est plus un CV que l’on envoie. C’est une discussion », conseille Alexandra. Pour Amélie Alleman, il faut faire preuve de curiosité et faire de la veille stratégique. « Surveiller le marché, la concurrence, les nouveaux outils, comprendre les enjeux du référencement, des réseaux sociaux, des nouveaux médias, la vidéo, le podcast. » Et surtout, il faut aller pousser les bonnes portes avec une profonde conviction : le digital, c’est fait pour moi.
Quelles sont les portes à pousser pour se lancer dans le digital ?
- Becode : formation gratuite en horaire de jour au développement web et intelligence artificielle. Bruxelles, Liège, Charleroi.
- Coder Dojo : atelier de codage gratuit pour enfants dès 7 ans, à Dilbeek.
- Cyber WayFinder : formation de trois ans en cybersécurité (cours du soir) pour femmes à Bruxelles.
- Girleek : blog sur la high tech au féminin qui organise des masterclasses pour se lancer dans le digital.
- I am Remarkable : session de coaching de 90 minutes initiée par Google pour apprendre à se réaliser au travail.
- Interface 3 : formations gratuites en informatique pour les femmes (game developer, application developer, webmaster, etc.) à Bruxelles.
- L’école 19 : école de codage gratuite à Uccle, sans prof, ouverte 24h/24.
- Molengeek : espace de coworking qui propose une formation gratuite au code de six mois pour les demandeurs d’emploi à Molenbeek.
- She Leads digital : ASBL qui forme les femmes à la technologie. Elle propose, entre autres, des bootcamps de trois jours intensifs à Etterbeek (200 €).
- Technofutur TIC : centre basé à Gosselies qui propose des centaines de formations à distance dans le digital. Prix de 0 à 250 €.
- Wagon : formation au codage sur neuf semaines. 5.900 €
- Women in Tech : le premier réseau européen de femmes dans la technologie et l’innovation qui soutient le travail des femmes dans la technologie.
- Wild Code School : cinq mois de formation aux métiers du Web (data analyst, product manager, développeur) à Bruxelles. 6.000 €
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